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Actualités - REPORTAGE

Féroce bataille entre Hariri et Saad pour le leadership de Saïda (photos)

Rixes limitées, insultes réciproques, tentatives d’intimidations, listes fabriquées, rappel de toutes les troupes, y compris les Sidoniens à l’étranger,aucune manœuvre n’a été négligée à Saïda, tant la bataille y est serrée. Placée sous la haute surveillance de l’armée,pour éviter les dérapages toujours possibles, la ville est prise d’une frénésie électorale, qui résume à elle seule la tension entre les deux parties rivales et leurs nombreux partisans. D’un côté, le courant du président du Conseil, M. Rafic Hariri ( représenté par sa soeur Bahia),qui veut contrôler la ville, pour des raisons à la fois affectives (Saïda est un symbole pour M. Hariri puisque c’est de là qu’il est parti, obscur professeur, à la conquête de l’Arabie séoudite et de la fortune) et économiques (en raison des multiples projets de dévelopement qu’il envisage d’y exécuter) et de l’autre, le député Mustafa Saad, héritier du leadership de son père, Maarouf, dont le nom est désormais lié à celui de la ville et qui joue, à travers cette bataille, son avenir politique. Entre les deux, le choix est clair et si la liste appuyée par Mme Bahia Hariri (présidée par M. Hilal Kobrosli) semble le fruit d’une alliance hétéroclite entre les partisans du président du Conseil, ceux de la Jamaa islamiya et ceux de l’ancien ministre et député Nazih Bizri, celle présidée par le frère de Mustafa Saad, Oussama,affiche une coloration nettement opposante, et regroupe des personnes appartenant à la mouvance gauchiste, ainsi que tous les mécontents du «mandat Hariri»soit parce qu’ils ont été oubliés par la manne, soit parce qu’ils ont des opinions politiques divergentes. Ville belliqueuse Depuis l’échec des tentatives d’aboutir à une liste unique, les deux courants se livrent à une lutte sans merci, qui divise d’ailleurs la ville et mobilise ses habitants. Nul ne reste indifférent à ce duel féroce et, dans cette ville connue pour son courage et sa tendance belliqueuse (c’est d’ici qu’est partie la première étincelle de la guerre libanaise avec l’assassinat de Maarouf Saad en 1975, et c’est de là aussi qu’est partie la première action de résistance contre l’occupant israélien en 1982. De même, c’est à Saïda qu’a commencé la guerre des deux CGTL en avril1996 et que la grève décrétée par Elias Abou Rizk en 1995 s’est terminée par des actes de violence), dans cette ville donc les divergences se règlent souvent à coups de poing. Tout au long de la campagne électorale, les incidents se sont multipliés entre les partisans des uns et des autres et, la veille du scrutin, des membres du courant Hariri ont attaqué la voiture dans laquelle se trouvait l’épouse du député Mustafa Saad, Najla, nécessitant une intervention directe de l’armée. C’est d’ailleurs pourquoi, en cette journée ensoleillée, les soldats sont partout à Saïda, quadrillant tous les quartiers et surveillant attentivement les passants.Mais, malgré leur vigilance, ils ne parviennent pas à réduire la tension, qui se traduit, dans plusieurs quartiers,par des bordées d’insultes. A 7 heures du matin, les 26 bureaux de vote ouvrent leurs portes aux 46.797 électeurs inscrits à Saïda, qui doivent choisir les 21 membres du Conseil municipal (dont deux chrétiens) entre deux listes principales, celle de la décision de Saïda (appuyée par la coalition Hariri-Bizri-Jamaa) et celle de Saïda (appuyée par Mustafa Saad), et une trentaine de candidats indépendants, dont plusieurs avaient été encouragés par Mme Hariri, avant d’être sacrifiés aux exigences de la coalition. Dès l’aube, la guerre des rumeurs bat son plein. Alors que l’équipe Saad passe sa matinée à démentir les nouvelles de retrait de certaines candidatures, Mme Bahia Hariri est contrainte de faire une tournée des bureaux de vote, en compagnie du chef du bureau politique de la Jamaa islamiya, Ali Cheikh Ammar et du Dr Abdel Rahmane Bizri (fils de Nazih) pour mettre un terme aux rumeurs sur la précarité de l’alliance. Contrairement à son habitude, Mme Hariri est assez énervée et elle adopte un ton de défi pour attaquer ses adversaires de la liste rivale. Mais les habitants de Saïda ne sont pas vraiment convaincus, d’autant que, depuis l’annonce de la liste de coalition, vendredi, cheikh Maher Hammoud, très populaire dans les milieux islamiques, a appelé à son boycott, accusant la Jamaa d’avoir trahi ses convictions. Les Islamistes sont donc divisés et en dépit des encouragements du Dr Ali Ammar, tardent à voter. Expectative générale D’ailleurs, à Saïda, jusqu’à midi, les bureaux de vote restent pratiquement déserts, les électeurs hésitant à se rendre aux urnes. Selon les partisans de la liste Saad, les «haririens» n’ont pas confiance dans la Jamaa et chaque partie attend le vote de l’autre, avant de demander à ses partisans de se rendre aux urnes. Les partisans des Saad attendent eux aussi leurs rivaux...et toute la ville passe sa matinée dans l’expectative. Dans les nombreuses pâtisseries de la ville, transformées en cafés, en raison de la fermeture des lieux publics, les Sidoniens discutent, analysent et multiplient les prononstics. Abou Karim, un vieux en keffieh, fait partie des nombreux déçus du haririsme. «Il (le président du Conseil) est actif dans la ville depuis 1982, à travers sa société Oger-Liban. Il nous avait alors promis monts et merveilles. Nous attendons toujours». Pour de nombreux habitants de Saïda, M. Hariri représentait, en effet, le rêve devenu accessible. Avec la réussite fulgurante de l’un de ses fils, c’est toute la ville qui avait cru pouvoir connaître une ère de prospérité. De 1982 à 1994, les membres de la Fondation Hariri avaient d’ailleurs multiplié les aides en produits de première nécessité, distribués à tous les habitants de la ville, comme prélude à une paix riche en projets. «Les membres de la fondation, poursuit Abou Karim, faisaient alors du porte à porte pour promouvoir le président du Conseil. Aujourd’hui, il vous faut mille et un pistons pour obtenir un rendez-vous d’une secrétaire à la Fondation...Ils traitent désormais les habitants de haut et le groupe des pauvres, des chômeurs et des déshérités ne cesse de grandir. Avant les élections, ils ont distribué des caisses de produits de première nécessité, croyant ainsi acheter les consciences. Mais nous ne sommes plus dupes. Nous ne voulons pas de ces caisses de l’humiliation..». A la pâtisserie d’en face, on n’est pas moins virulent. Mais cette fois, c’est à Mustafa Saad qu’on en veut, accusé d’avoir fait échouer la liste de coalition avec le courant Hariri. Car pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui à Saïda, il faut revoir la situation au cours des dernières semaines. Selon M. Ismat Kawas, dont l’épouse, Randa Kechtbane, est candidate sur la liste Saad, depuis le début de la campagne électorale, le président du Conseil avait déclaré son intention de former une liste de coalition à Saïda, regroupant les divers courants présents dans la ville. Il avait alors chargé sa sœur Bahia et le directeur d’Ogero, M. Youssef Nakib, d’entreprendre des contacs avec les parties en présence. Pour le président du Conseil, il était important d’apparaître comme une force unificatrice, qui réunit les contraires sous sa couverture, dans sa ville natale, qui demeure son talon d’Achille, même s’il est désormais inscrit à Beyrouth. C’est alors que les négociations ont commencé et le député Mustafa Saad, farouche opposant à la politique du président du Conseil au Parlement, s’était même rendu à Koraytem, dans une initiative de bonne volonté, en compagnie du candidat Adnane Zibawi. Pendant des semaines, la presse avait d’ailleurs présenté M. Zibawi comme le président de la liste consensuelle de Saïda. Crédibilité et clarté du choix Selon les «haririens», c’est M. Saad qui est responsable de l’échec des négociations. Mme Bahia Hariri a même été jusqu’à dire que, depuis le début, il ne voulait pas de cette coalition et «alors qu’il se réunissait avec nous, son frère préparait la bataille». Le responsable de l’information à la Fondation Hariri, le Dr Mustafa Matbouli précise que M. Saad a commencé à hausser ses exigences, voulant poser des conditions politiques, alors qu’il s’agit d’une échéance municipale. M. Ismat Kawas ne partage pas cet avis, affirmant que Mme Bahia Hariri a prêté l’oreille aux exigences de ses deux autres alliés, la Jamaa islamiya et le courant du Dr Bizri, au détriment de M. Saad. Selon M. Kawas, le Dr Bizri, dont le courant a été pratiquement absorbé par le président Hariri, ne voulait pas d’un candidat populaire, à la tête de la liste, car il pourrait représenter un danger pour lui, aux prochaines législatives. De son côté, la Jamaa ne pouvait accepter un candidat gauchisant à la tête de la liste consensuelle. Mme Hariri aurait pris partie en faveur de la Jamma et du Dr Bizri et la candidature de Zibawi a été rejetée. Après avoir été pendant plus de trois semaines la tête de liste, ce dernier s’est vu exclu de la bataille. Il n’a pas voulu la mener en individuel ou se rabattre sur la liste Saad, mais son sort a ému les Sidoniens. D’ailleurs, les multiples modifications au sein de la liste Hariri-Bizri-Jamaa, qui n’est devenue définitive que le vendredi à midi ont déstabilisé les Sidoniens...et ont profité à la liste rivale, qui a gagné en crédibilité et en clarté du choix. En effet, depuis le début, la liste de Saïda, présidée par Oussama Saad avait un programme clair, expliqué dans un livret jaune et édité au nom de la «Rencontre nationale démocratique de Saïda». Volontairement critique à l’égard de la politique du gouvernement, la liste Saad proteste aussi contre la marginalisation du Conseil municipal de Saïda. Celui-ci élu en 1963 et ayant à sa tête le député Maarouf Saad, avait été dissous en 1972 par le premier ministre de l’époque Saëb Salam, parce que M. Saad avait refusé de voter pour Sleimane Frangié à la présidence de la République. De 1972 à 1978, Saïda est restée sans Conseil municipal et, en 1978, un Conseil de 14 membres a été nommé par le gouvernement. N’ayant pas de véritable assise populaire et étant doté de très peu de moyens, il a très vite été marginalisé par la toute puissante Fondation Hariri qui, au fil des années, s’est mise à prendre toutes les décisions, se contentant de les faire ratifier par le Conseil municipal. C’est pourquoi, selon certains observateurs, le mécontentement à Saïda est dirigé aujourd’hui contre les Hariri et non contre le Conseil municipal. La Fondation Hariri tenant pratiquement tous les secteurs de développement de la ville, c’est à elle que les habitants en veulent si les projets de développement ne leur ont pas été bénifiques. Abou Abed el Hennaoui s’énerve dès qu’on lui parle des nouvelles autoroutes aménagées depuis l’arrivée au pouvoir de M. Rafic Hariri. «Bien sûr, il y a des routes. Mais elles ne servent qu’à mettre en valeur les terrains appartenant à Hariri et à ses proches. Où sont les stades sportifs, les clubs de jeunes, les écoles, les hôpitaux? Le niveau des services dans la ville est loin de s’être amélioré. Et si vous avez besoin de quelque chose, vous devez les supplier. Rien n’a été fait dans l’intérêt général». Un avion pour 900 électeurs Au bureau de vote de l’école Saint Joseph au quartier de Knane, des cris se font entendre. Le représentant de la liste Oussama Saad, M. Khaled Abdel Ghani, proteste contre le vote de 915 femmes qui, selon lui, ont déjà voté dans un autre bureau de vote, sous leurs noms de jeunes filles. Il crie à la fraude et après avoir alerté ses supérieurs, demande à ses délégués de se retirer pour suspendre l’opération de vote. M. Abdel Ghani exhibe une décision du mohafez interdisant le double vote de ces dames. L’affaire est importante car, 915 voix multipliées par deux, cela donne 1830 voix en faveur de la liste rivale. ce qui est inacceptable pour la liste Saad. M. Abdel Ghani fait aussi état d’autres tentatives de fraude assez limitées, comme le vote de certaines personnes décédées comme Mariam Bass, à la place de laquelle Intissar Ramlé a voulu voter, ainsi que les interventions du directeur d’Ogero, M. Youssef Nakib, qui a d’ailleurs été invectivé à l’entrée d’un bureau de vote, par les partisans de Mustafa Saad. M. Abdel Ghani évoque enfin les trois avions arrivés il y a deux jours d’Arabie séoudite et transportant quelque 900 électeurs sidoniens, ramenés à Saïda aux frais du président du Conseil, pour des besoins électoraux. Toutes ces manoeuvres, montrent à ses yeux, la fragilité de l’alliance tripartite, qu’il appelle «l’attaque tripartite». Son moral, ainsi que celui de ses compagnons est donc au plus haut. Pour eux, c’est une bataille décisive, pour le leadership de Saïda qui se joue. Naturellement, du côté de la liste de coalition, on pense aussi que la bataille sera décisive, mais on rejette toutes les accusations. M. Nohad Hachicho qualifie la liste adverse d’être peu cohérente et de regrouper des personnalités qui, hier encore, étaient ennemies. Selon lui, ce sont les partisans de Saad qui sont le plus belliqueux et qui, parce qu’ils se sentent coincés, mènent leur bataille à l’aide de tee shirts à l’effigie de Maarouf Saad, essayant de réveiller la pitié des électeurs de Saïda. Selon lui, les membres de la liste de coalition se sont entendus sur un programme de développement cohérent, qui prévoit notamment, l’expansion du sceteur hôtelier et touristique dans la ville. A ce sujet, M. Hachicho nie les informations faisant état d’un rejet par les membres de la Jamma islamiya du plan de dévelopement du secteur hôtelier. «C’est faux. Ils ont accepté le programme dans son entier et leur parole les engage». Entre ces deux courants hostiles, un troisième a essayé d’apparaître, timidement. Il se veut indépendant et il a distribué près de 10,000 communiqués appelant les électeurs à composer eux-mêmes leurs listes. Les noms des 74 candidats y figurent et un espace blanc est laissé afin que l’électeur puisse le remplir suivant son choix. L’initiative a eu beaucoup de succès et nombreux sont les Sidoniens qui ont préféré faire un choix entre les membres des deux listes et quelques candidats indépendants. C’est que si les options sont clairement définies, les Sidoniens ne veulent pas vraiment désavouer le président du Conseil. S’ils lui en veulent pour beaucoup de choses et s’ils craignent qu’il ne contrôle tout dans leur ville, ils restent quand même fiers de lui. Non à un contrôle total, oui à une force de contrepoids qui permet plus ou moins de rétablir un certain équilibre.Les partisans de M. Saad en sont d’ailleurs conscients, puisqu’ils se considèreront victorieux s’ils parviennent à percer la liste rivale avec un ou deux membres. Les habitants de Saïda ne sont d’ailleurs pas prêts d’oublier la mésaventure de M. Ali Dallibalta, membre du Conseil municipal sortant. Il s’était opposé au projet de M. Hariri d’agrandir le port de Saïda et il n’a pas été pris sur la liste de coalition. Son opposition l’a donc contraint à mener sa bataille seul. Et ses chances s’en trouvent réduites, face aux gigantesques machines des deux listes rivales. Mais M. Alli Dallibalta pourrait bénéficier d’un courant de sympathie. C’est que le projet d’agrandissement du port de Saïda, si cher à M. Hariri, n’en finit pas d’aiguiser les passions. Il prévoit notamment la destruction d’une partie de la vieille ville, pourtant patrimoine historique et, surtout l’élimination de la corniche de la mer. Or, pour les Sidoniens, qui, selon leurs propres termes, vivent depuis 5000 ans une histoire d’amour avec «la grande bleue», c’est plus qu’un coup au coeur.C’est une atteinte à leur raison d’être. Saïda sans la vue sur la mer, ce n’est plus Saïda. Mais Saïda sans ses contradictions, son côté rebelle, sa fierté et ses ambitions, ce n’est plus non plus Saïda, la ville qui, à travers les municipales, se bat pour son identité.
Rixes limitées, insultes réciproques, tentatives d’intimidations, listes fabriquées, rappel de toutes les troupes, y compris les Sidoniens à l’étranger,aucune manœuvre n’a été négligée à Saïda, tant la bataille y est serrée. Placée sous la haute surveillance de l’armée,pour éviter les dérapages toujours possibles, la ville est prise d’une frénésie...