Actualités - CHRONOLOGIE
L'effet d'un tremblement de terre pour un château de cartes
le 01 mai 1998 à 00h00
L’introduction de la monnaie unique aura sur les marchés financiers l’effet d’un tremblement de terre pour un château de cartes: toutes les règles seront changées, et il faudra en inventer de nouvelles, avec à la clé une fantastique redistribution... des parts de marché. Et il s’agit de parts substantielles, puisque les montants échangés sur les marchés dérivés ces dernières années s’expriment, en valeur nominale, en trillions de dollars (un trillion = mille milliards), et servent à couvrir le risque qu’il y a à détenir des obligations libellées en francs, en deutsche marks, en lires, en couronnes danoises ou en florins. «L’euro va provoquer sur les marchés dérivés d’Europe une bataille sans précédent pour les parts de marché», déclare Patrick Arbor, président du plus grand marché de futures du monde, le Chicago Board of Trade (CBOT). Or, ces obligations, seront, le 4 janvier 1999, toutes exprimées en euros. Il n’y aura plus qu’un seul marché de la dette publique, énorme, à l’échelle des onze pays du premier cercle de l’UEM. Une des grandes questions du moment est de savoir où il va se localiser. La bataille, en fait, bat déjà son plein, et les tribulations que connaît actuellement le Matif parisien n’en sont qu’un signe parmi d’autres. La situation sera différente pour les marchés d’actions, car si elles seront toutes cotées en euros, les entreprises resteront installées où elles l’étaient déjà, et seront toujours cotées sur les Bourses où elles sont connues, du moins dans un premier temps. Mais avec la disparition du risque de change, un Finlandais pourra aussi bien acheter des actions françaises ou espagnoles que des actions de son pays. C’est par secteurs d’activités, et non plus par pays, que les gérants répartiront leurs portefeuilles. Les gérants, nouvelles «stars» Les gérants de fonds, qui hésitaient parfois à faire état de leur profession, moins médiatisée que celle de «golden boy», vont ainsi figurer parmi les personnes les plus influentes d’Europe. «Des volumes (d’affaires) considérables vont être générés par des gérants qui vont reconstituer leurs portefeuilles en fonction de secteurs d’activité, plutôt qu’en fonction de critères géographiques», explique Anthony Belchambers, directeur général de la Futures and Options Authority à Londres. Les gérants seront donc amenés à vendre et à acheter des titres pour la seule raison de réaménager leurs portefeuilles en fonction de ces nouveaux critères de répartition des risques dans le nouvel espace boursier délimité par la monnaie unique. Et ces vastes mouvements de capitaux impliqueront de nouveaux risques, qu’il faudra couvrir sur les marchés boursiers dérivés: options et futures sur indices, qui ont de beaux jours devant eux. Au-delà des changements induits par l’euro, d’autres facteurs devraient stimuler l’activité des marchés d’actions, et notamment la montée en puissance des fonds de pension, considérés de plus en plus comme un complément nécessaire, voire indispensable, aux retraites par répartition dont le financement est de plus en plus problématique. En outre, la persistance d’une faible inflation dans la plupart des pays industrialisés a entraîné une baisse sensible des rendements monétaires et obligataires, renforçant l’intérêt des marchés boursiers pour les investisseurs individuels. «Les marchés d’actions vont gagner en volume et en profondeur», prédit Colin Phillips, directeur pour les marchés d’actions européens chez Dresdner Kleinwort Benson à Londres. Sur les marchés dérivés européens, on a traité en 1997 l’équivalent en nominal de 115 trillions de dollars, contre 185 trillions en Amérique du Nord. Le volume européen était de 100 trillions en Europe en 1996, selon les chiffres de la Banque des Règlements internationaux (BRI) de Bâle. Ces volumes «nominaux» représentent les montants des actifs en jeu, mais ne correspondent pas vraiment aux sommes d’argent qui changent effectivement de mains, qui sont plus modestes. Mais ils donnent une idée de la place de ces marchés dans l’économie mondiale. Et il ne faut pas oublier les frais et commissions générés, qui font vivre toute un secteur de la profession financière, et non des moindres. La notion de «couverture» des marchés dérivés, qui permet aux investisseurs de se protéger contre un retournement du marché sur lequel ils ont investi, est désormais un élément essentiel dans le fonctionnement des marchés financiers, ce qui explique leur développement extraordinaire en Europe au cours des dix dernières années. Et l’un ne va pas sans l’autre, les marchés des dérivés restent liés aux marchés des titres, actions ou obligations notamment, et les places financières européennes manœuvrent déjà depuis plusieurs années pour attirer à eux le plus d’investisseurs possible. Avec l’arrivée de l’euro, cette guerre de position s’accélère. Euro-alliance Le plus grand marché européen est actuellement celui de Londres: le London international financial futures échange (LIFFE). Mais les pays du continent aimeraient bien lui ravir cette suprématie, et voient dans l’introduction de l’euro une occasion sans précédent; d’autant plus que la Grande-Bretagne ne sera pas «dans» l’euro en 1999. Les pays européens développent donc des stratégies d’alliance entre les pays et de concentration des marchés nationaux. La principale manifestation de cette stratégie est l’Euro-Alliance entre la France, l’Allemagne et la Suisse, bien que ce dernier pays ne fasse pas partie de l’Union européenne. Dans ces trois pays, les marchés de taux ont été fusionnés en vertu d’un accord signé en février 1998. D’autres places financières, notamment dans les pays scandinaves et le Benelux, cherchent à mettre en place des coopérations régionales. Dans le domaine boursier, des indices européens qui serviraient à couvrir les risques sur les marchés des actions à l’échelle européenne sont déjà proposés aux investisseurs. L’Euro-Alliance a lancé le 2 avril une «famille» d’indices STOXX, calculés par la société Dow Jones, propriétaire du célèbre indice américain du même nom. Quelques jours plus tard, le FIFFE, avec FTSE international — propriétaire du fameur indice «footsie» de la Bourse de Londres — et le marché de futures néerlandais Amsterdam Exchange, annonçait le lancement — prévu pour le mois de mai — de contrats de futures et d’options sur l’indice FTSE Eurotop, lui aussi composé d’une sélection de grandes valeurs de divers pays européens. Le succès de ces indices d’ores et déjà concurrents dépendra de leur capacité à «représenter» correctement — par les actions que leurs promoteurs ont choisi d’y inclure — la physionomie du marché européen tout entier. Au-delà de ces considérations financières, d’autres apparaissent qui, parce qu’elles semblent poser une nouvelle fois le débat du choix entre l’homme et la machine, mélangent les considérations techniques à des considérations d’emploi, voire des sujets plus émotionnels. Il existe actuellement deux méthodes de négociation sur les marchés, la plus ancienne, dite «à la criée», se fait entre des personnes présentes physiquement sur un marché situé dans un lieu précis. C’était le cas de la corbeille aujourd’hui abolie. Ces hommes, ce sont les «traders», selon le jargon professionnel fortement teinté de mots anglo-saxons, qui confrontent leurs ordres de vente et d’achat et fixent les prix directement entre eux. C’est l’image traditionnelle de l’effervescence des marchés, et le volume de bruit généré par ces interpellations incessantes justifie largement son nom. L’autre, plus moderne, est celle des marchés électroniques, où les offres de vente et d’achat sont affichés sur des écrans d’ordinateurs reliés entre eux, et sur lesquels les «traders» vendent et achètent, sans se voir, quand les prix affichée leur conviennent. Pour l’instant, le LIFFE est le temple du marché à la criée — également prédominant à Chicago, où se trouvent les deux marchés de futures les plus importants du monde —, alors qu’Euro-Alliance a opté pour le marché électronique, déjà en fonction en Allemagne et en Suisse, alors que le Matif parisien était un marché à la criée. Mais le marché londonien a annoncé en mars dernier qu’un marché électronique fonctionnerait parallèlement à la criée, pendant toute la journée de négociation, à partir de la fin 1999. «Nos membres pensent qu’il est important que nous utilisions les marchés électroniques en même temps que les marchés à la criée», déclare le directeur général du LIFFE, Daniel Hodson. La machine gagne du terrain même à Chicago, puisque le plus grand marché à la criée du monde, le CBOT, a conclu un accord avec les marchés allemand et suisse pour traiter certains de leurs produits sur un marché électronique. (Reuters)
L’introduction de la monnaie unique aura sur les marchés financiers l’effet d’un tremblement de terre pour un château de cartes: toutes les règles seront changées, et il faudra en inventer de nouvelles, avec à la clé une fantastique redistribution... des parts de marché. Et il s’agit de parts substantielles, puisque les montants échangés sur les marchés dérivés ces dernières années s’expriment, en valeur nominale, en trillions de dollars (un trillion = mille milliards), et servent à couvrir le risque qu’il y a à détenir des obligations libellées en francs, en deutsche marks, en lires, en couronnes danoises ou en florins. «L’euro va provoquer sur les marchés dérivés d’Europe une bataille sans précédent pour les parts de marché», déclare Patrick Arbor, président du plus grand marché de futures...