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Actualités - CHRONOLOGIE

La bombe du mariage civil n'est pas encore désamorcée

La polémique sur le mariage civil facultatif fait rage. Le projet de loi élaboré à la demande du chef de l’Etat et approuvé mercredi par le Conseil des ministres divise profondément les Libanais. C’est que tout le monde réalise que l’initiative du chef de l’Etat, que certains continuent d’assimiler à une manœuvre, porte en elle plus qu’une simple loi et pave la voie à un projet de société, sur lequel les avis des Libanais divergent radicalement. Dans les milieux religieux musulmans, surtout sunnites, le projet de mariage civil facultatif a soulevé, pour des raisons dogmatiques, morales et politiques, un énorme tollé. L’hostilité à son égard unit, dans un même refus, des représentants de l’islam officiel, comme le mufti de la République, et des personnalités islamistes connues pour leur fondamentalisme. Celles-ci ont menacé hier de recourir à l’escalade si le chef de l’Etat persiste à vouloir faire passer son projet (VOIR AUSSI PAGES 2 ET 3). Réunis à Dar el-Fatwa, cheikh Mohammed Rachid Kabbani et cheikh Mohammed Mehdi Chamseddine ont publié un communiqué conjoint qui en demande le retrait, affirmant que «tout projet qui porte atteinte à une communauté est préjudiciable à toutes les autres». Dans les milieux politiques chrétiens, un courant hostile au projet commence à se dessiner, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que, comme l’a déclaré la Ligue maronite, celui-ci n’émane pas d’un gouvernement d’union nationale. D’autre part, parce qu’il fait le lien entre le mariage civil facultatif et le processus de déconfessionnalisation politique, dont les chrétiens se méfient, de peur qu’il ne conduise progressivement au règne de la loi du nombre, et ne les exclute définitivement de la scène politique. Une prise de position officielle de l’Eglise catholique à ce sujet est attendue. Mais elle est rendue plus difficile du fait que l’Eglise n’aura pas à se prononcer seulement sur le principe, mais doit tenir compte du contexte politique dans lequel sa prise de position s’insérera. Le projet divise aussi profondément les dirigeants eux-mêmes. Tandis que le président du Conseil lui est hostile, pour des raisons d’abord tactiques, celui de l’Assemblée nationale le considère comme une bonne entrée en matière sur la voie de la déconfessionnalisation politique. Pour faire échec au projet, le chef du gouvernement soutient que les ministres qui auraient des objections au sujet du projet élaboré peuvent déposer des observations écrites à ce sujet au secrétariat du Conseil des ministres. Il en conclut que si ces objections existent, le Conseil des ministres est tenu de les examiner, et donc de soumettre à nouveau le projet au vote. M. Hariri souligne aussi, devant ses visiteurs, que la lettre du président Hraoui demandant à M. Berry de former le Comité national pour la suppression du confessionnalisme, conformément à l’article 95 de la Constitution, n’a pas valeur constitutionnelle, mais seulement morale. Pour sa part, le chef de l’Etat considère que le projet a été approuvé dans les règles, et qu’il doit maintenant être transmis à l’Assemblée. Entre les deux hommes, pour le moment, les ponts ne sont pas coupés. Ainsi, MM. Hraoui et Hariri se sont entretenus, hier, au téléphone, et le chef du gouvernement assistera normalement au déjeuner qui sera offert aujourd’hui, à Baabda, en l’honneur du secrétaire général de l’ONU. A terme, cependant, ces relations pourraient se dégrader sérieusement et conduire à une grave crise, si le projet de loi approuvé tarde à prendre le chemin de la place de l’Etoile, faute d’être contresigné par M. Hariri. Un son de cloche entièrement différent se fait entendre à Aïn el-Tineh. M. Berry note devant ses visiteurs que, pour la première fois dans l’histoire du Liban, un gouvernement a osé prendre une telle décision, alors que le confessionnalisme politique fait rage. M. Berry se demande aussi en quoi le mariage civil facultatif est contraire aux préceptes religieux, et pour quelles raisons d’autres conduites sociales jugées contraires à la morale — comme la consommation d’alcool ou le port du bikini — sont admises. Pour lui, la crainte vient du fait que le projet de loi va ébranler l’autorité d’un certain nombre d’individus, et «planter le premier clou dans le cercueil du confessionnalisme politique». Rappelant qu’en 1995, M. Hariri avait été le premier à objecter à la formation du Comité national pour la suppression du confessionnalisme, M. Berry a jugé qu’il ne faut pas craindre ce processus, qui pourrait prendre 30 ou 40 ans. Il a révélé par ailleurs qu’il avait lui-même demandé au chef de l’Etat de lui adresser une lettre demandant la formation du comité national en question. Dans quelle mesure toute cette crise ne serait pas le fruit d’une simple épreuve de force personnelle entre deux hommes, une sorte de réplique du chef de l’Etat aux consultations entreprises par M. Hariri que le chef de l’Etat aurait lancée pour lui voler la vedette? Beaucoup, se basant sur des indiscrétions et des petites phrases de M. Hraoui, n’hésitent pas à l’assurer. C’est dire les limites dans lesquelles s’inscrit la politique au Liban, et combien l’Etat des institutions est encore loin. Dans quelle mesure ces institutions, dont le jeu est faussé par toutes sortes de pratiques et d’interférences, pourront trancher le débat et résorber tout ce que les communautés religieuses pourraient nourrir comme frustrations à l’égard du projet de loi, reste une grande inconnue. De même d’ailleurs que la réaction des intellectuels et des associations civiles, qui ont bien accueilli la nouvelle, mais qui ne disposent ni des leviers politiques indispensables pour faire bouger les choses, ni des données nécessaires pour être sûrs qu’ils ne sont pas manipulés.
La polémique sur le mariage civil facultatif fait rage. Le projet de loi élaboré à la demande du chef de l’Etat et approuvé mercredi par le Conseil des ministres divise profondément les Libanais. C’est que tout le monde réalise que l’initiative du chef de l’Etat, que certains continuent d’assimiler à une manœuvre, porte en elle plus qu’une simple loi et pave la...