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Actualités - OPINION

Tribune La grande misère de l'enseignement

Souveraineté nationale, intérêt supérieur, justice sociale, Liban vert... autant d’expressions devenues creuses, que nous souhaitons voir concrétisées, mais qui ont perdu toute leur signification. Autant de principes qui ont nourri notre éducation, et que, jeunes gens, nous avons rêvé d’améliorer, sans jamais imaginer, qu’un jour, ils seront en voie de disparition. Nous avons négligé l’essentiel, pour ne nous soucier que des apparences. Nous avons accepté l’humiliation. Comment, dans ce cas, pourrions-nous réagir lorsque la dignité de la patrie est menacée? Nos rêves de jeunesse se sont évaporés et nous avons participé à cette situation, par notre action, mais aussi par notre silence. Et c’est ce silence que je voudrais aujourd’hui briser. Nous regardons autour de nous et nous ne voyons qu’une situation artificielle qui dicte notre conduite. Quant à l’observateur étranger, il ne voit qu’un peuple divisé en un groupe servile et un autre résigné, désenchanté mais évitant d’assumer la moindre responsabilité. Au point que, désormais, la lutte contre un petit corrupteur (que dire du grand) nécessite, aux yeux de ce groupe, une seconde conférence de Madrid... C’est le summum de la déchéance. Et s’il n’y avait pas, malgré tout, une minorité fervente, qui continue à se battre, nous aurions aussi perdu l’espoir. C’est pour cette minorité — et pour les autres — que je voudrais, aujourd’hui, évoquer ce cliché qui veut faire du Liban le pays du savoir et du rayonnement. S’il fut vrai à un moment donné et même s’il fut notre fierté, ce cliché n’est plus aujourd’hui qu’un grand mensonge. Nous sommes encore les seuls à y croire. Le monde avance à grands pas dans le domaine de l’enseignement et nos jeunes n’ont plus qu’un demi-savoir (je le dis avec d’autant plus de peine que j’ai trois enfants à l’école et à l’université). Si vous réclamez une amélioration du niveau de l’enseignement dans les classes secondaires et les universités, notamment en langues étrangères (puisque l’heure est à l’ouverture), on vous accuse aussitôt de vouloir fermer les écoles publiques et l’université nationale. Comme si les écoles et universités privées avaient un bien meilleur niveau! C’est un grand mensonge dont nous sommes tous responsables: politiciens et éducateurs, parents et étudiants. Si vous réclamez de nouvelles spécialisations, pour ouvrir de nouveaux horizons, on vous répond par des promesses. Les responsables créent un ministère de la Culture et un autre de l’Enseignement technique et vous vous demandez à quoi ils servent, alors que la culture se réduit comme une peau de chagrin et que l’enseignement technique continue à être considéré comme une sous-formation. L’Etat distribue des licences pour des raisons politiques et confessionnelles (pardon communautaire) à certains instituts qui ne méritent certainement pas le nom d’universités. Les syndicats des professions libérales (que j’ai eu l’honneur de représenter) ont mené une dure bataille pour tenter de relever le niveau des étudiants soucieux d’exercer ces métiers, ils ont été attaqués et accusés de vouloir créer des monopoles. Nous avons brandi la qualité, arme de l’avenir, et on nous a répondu par de la démagogie. Un décret imposant une moyenne de 12/20 pour être admis à l’université a été publié, mais très vite les responsables ont invoqué l’impossibilité d’imposer une telle moyenne au baccalauréat pour renoncer au projet. Celui-ci a d’ailleurs soulevé un tollé: la classe politique, craignant la concurrence d’une jeunesse cultivée, s’est réfugiée derrière le confessionnalisme, le communautarisme et la défense de l’école publique (comme si un relèvement général ne devait pas profiter à cette dernière); «Les commerçants du savoir», dont certains souffrent déjà d’un surplus d’enseignants et craignent la diminution du nombre de «clients» (pardon pour cette appellation) ont aussi protesté, ainsi que ceux qui redoutent la réduction de leurs bénéfices, les étudiants, en quête d’une solution de facilité, et les parents qui se contentent du diplôme, sans souci de sa valeur. De nombreuses réunions se sont tenues au ministère de la Culture et certains responsables ainsi que les représentants de certaines universités ont inventé toutes sortes d’obstacles pour éviter l’application du test d’aptitude au moment de l’admission de l’étudiant. Finalement, les tests d’aptitudes ont été annulés et remplacés, a-t-on dit, par l’exigence d’une moyenne de 12/20 au bac, pour tous les élèves désireux d’entreprendre des études de droit, de médecine, de génie et de pharmacie. Les responsables du ministère de la Culture m’ont même demandé de participer à la rédaction de ce projet, en vue de le soumettre au vote du Parlement... Hélas, réunions et bonnes dispositions se sont évaporées comme par magie. Après cela, on se plaint du niveau particulièrement bas des étudiants. On pleure face aux résultats des tests organisés par le Conseil de la fonction publique et ceux des concours d’entrée au ministère des Affaires étrangères. On répète ensuite que l’on aspire à la qualité scientifique et culturelle. Un simple regard à certains pays arabes (pour ne pas dire européens) suffirait toutefois à montrer l’étendue du retard du Liban dans les domaines culturel et scientifique. Il est temps de perdre ses illusions et de comprendre que l’heure n’est plus aux solutions de facilité. A ceux qui prônent la supériorité libanaise, nous disons qu’il faut être réaliste et adopter les solutions retenues dans les autres pays, basées sur les moyennes élevées aux examens. Nous avons détruit notre dignité et notre dynamisme. Nous avons fait du Liban un désert, semblable à celui qui nous entoure. Sommes-nous sur le point de tuer l’avenir en disant aux Libanais qu’un demi-enseignement suffit à ouvrir les horizons? Avons-nous encore une conscience?
Souveraineté nationale, intérêt supérieur, justice sociale, Liban vert... autant d’expressions devenues creuses, que nous souhaitons voir concrétisées, mais qui ont perdu toute leur signification. Autant de principes qui ont nourri notre éducation, et que, jeunes gens, nous avons rêvé d’améliorer, sans jamais imaginer, qu’un jour, ils seront en voie de disparition. Nous avons négligé l’essentiel, pour ne nous soucier que des apparences. Nous avons accepté l’humiliation. Comment, dans ce cas, pourrions-nous réagir lorsque la dignité de la patrie est menacée? Nos rêves de jeunesse se sont évaporés et nous avons participé à cette situation, par notre action, mais aussi par notre silence. Et c’est ce silence que je voudrais aujourd’hui briser. Nous regardons autour de nous et nous ne voyons qu’une...