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Actualités - CHRONOLOGIE

Douze heures d'auditions hier MEA : l'enquête progresse à pas de tortue

«Je compte procéder à une confrontation entre MM. Lahoud, Salam, Kanaan et Skayné, samedi. Mais, à partir de lundi, il y aura sans doute de nouveaux éléments et peut-être de nouvelles convocations». C’est par cette phrase mystérieuse que le général Béchara Salem a clôturé la longue journée d’investigations dans l’affaire de la MEA. Une phrase qui «en dit long sans vraiment le dire» et qui montre surtout combien l’enquête ouverte il y a 15 jours semble piétiner. D’ailleurs, le procureur général près la Cour de cassation, M. Adnane Addoum, a lui-même déclaré que le Parquet n’a dévoilé que «15% de l’affaire». Il a cependant promis aux avocats de Marwan Bardawil, placé en garde à vue depuis le 24 novembre, que désormais tout devrait aller vite et qu’il y avait de fortes probabilités que la vérité soit faite dès la semaine prochaine.
Qui aurait pu imaginer qu’un contrat de bail entre la MEA et la Singapore Airlines, portant sur la location pour une période de 5 ans de trois avions de type Airbus, donnerait tant de fil à retordre à la justice? Et pourtant, non seulement les documents sont très compliqués, mais de plus, selon M. Addoum, il y a aurait de profondes divergences entre les diverses dépositions déjà recueillies. Ce qui nécessite des vérifications supplémentaires.
Hier donc, et après 12 heures d’auditions (de 11h du matin à 11h du soir), le Parquet ne pouvait encore officiellement affirmer qu’il y a eu effectivement versement de pots-de-vin pour la conclusion de ce contrat. Certains experts économiques ont laissé entendre hier que le fait de dire que la location a coûté 39 millions de dollars alors que la vente n’en a coûté que 45 est un peu schématique.
De plus, à supposer que le contrat de bail ait été accompagné de versements de pots-de-vin, cela ne constituerait pas un délit, passible de poursuites pénales, font valoir des sources judiciaires. L’article 6 du code de commerce considère l’intermédiaire comme une personne exerçant un métier au même titre que le commerçant. Si donc, Marwan Bardawil — ou son père Fouad — a encaissé une commission pour la conclusion de ce contrat, ils ne devraient pas être poursuivis, puisque c’est leur rôle. Interrogé sur ce point, M. Addoum a précisé que M. Bardawil est placé en garde à vue pour recel d’informations, conformément aux dispositions de l’article 408 du Code pénal. Reste à savoir s’il en détient réellement et c’est ce que l’enquête s’emploie à vérifier.
Dans ce cas, on peut se demander pourquoi il est tellement important de prouver l’existence de pots-de-vin. Selon des sources proches de la MEA, le contrat de bail comporterait une clause de résiliation en cas d’encaissement de commissions. Et c’est sur cette clause que mise la Banque centrale, principal actionnaire de la MEA et qui juge le contrat défavorable à la compagnie. D’ailleurs, depuis le début de la crise, la Banque centrale a cessé de payer le prix de la location des avions.
Un de ses avocats, Me Michel Tuéni, s’est même rendu à Londres et, selon certaines sources, il aurait déposé un recours auprès de la chambre de commerce de la capitale britannique en annulation du contrat, conformément à la clause d’arbitrage qui y est prévue.
Pour l’instant, le Parquet s’emploie donc à découvrir s’il y a eu pots-de-vin et qui a bien pu les encaisser. C’est pourquoi il est vital pour lui de déterminer qui a conclu ce contrat et qui en était informé. Selon des sources proches de la MEA, M. Khaled Salam, PDG de la compagnie depuis septembre 95, avait reçu un mandat des 11 membres du conseil d’administration de la MEA pour négocier le contrat. Il avait d’ailleurs soumis plusieurs propositions aux membres, tout en précisant qu’il préférait traiter avec la Singapore Airlines, qui est l’une des plus importantes compagnies d’aviation en Asie.
Ajoutons aussi qu’au moment de sa nomination, M. Salam avait modifié les prérogatives de certains membres du conseil d’administration, réduisant notamment celles du directeur général, qui ne devait plus s’occuper que des affaires courantes et augmentant relativement celles du directeur des relations publiques.
Après avoir été entendu mardi pendant plus de 6h30, le PDG de la MEA a été de nouveau soumis, hier, aux questions du chef de la brigade criminelle de 11h du matin à 15h30 de l’après-midi. Il est ensuite resté dans un bureau annexe jusqu’à 23h, attendant que le général l’autorise à partir, ne parlant avec personne, si ce n’est avec son avocat, Me Georges Alouf, du bureau de Me Chaker Abousleiman.
Le général Salem a entendu ensuite M. Hussein Kanaan, membre du conseil d’administration et qui a été le premier à dénoncer l’irrégularité du contrat, dans un mensuel économique «Al Mouacher». Impeccable dans son «costume- cravate et pochette», M. Kanaan a demandé à rencontrer le procureur Addoum avant d’être entendu par le général Salem. Sa déposition terminée, il a fait une courte déclaration à la presse, précisant qu’il était opposé à la conclusion de ce contrat. «Je trouve qu’il porte atteinte à la compagnie et au Liban. Je n’ai pas d’informations particulières, mais je me base sur la logique la plus élémentaire», a-t-il déclaré. En réponse à une question, M. Kanaan a précisé que ce contrat n’a pas été conclu selon la procédure qu’il préconisait, c’est-à-dire après un système de consultation des membres du conseil d’administration.
Après M. Kanaan, le général Salem a entendu M. Mahfouz Skayné, membre du conseil d’administration de la compagnie et PDG de la Intra. L’audition s’est prolongée de 19h30 à 23h et les personnes qui attendaient dans les bureaux avoisinants ont entendu de violents éclats de voix.
Quant à M. Youssef Lahoud, directeur général de la compagnie, il est arrivé au palais de justice à 9h30, conformément à l’heure de sa convocation et, pour la seconde fois consécutive, il a dû attendre jusqu’au bout pour rentrer chez lui, n’ayant été entendu par le général Salem que de 18h40 à 19h30.
Il a pourtant gardé le sourire, lançant même une boutade aux journalistes: «Le parquet devrait me trouver un emploi pour ces quelques jours. Je pourrais les aider dans les traductions, gratuitement, puisque je suis là à ne rien faire». M. Lahoud était d’ailleurs soutenu par ses trois avocats, MM. Rizkallah Makhlouf, Antoine Bambino et Ziad Ghattas, mais aussi par les nombreux employés de la compagnie, qui venaient sans cesse prendre de ses nouvelles. Il est vrai que M. Lahoud est depuis 37 ans à la MEA.
Une MEA qui n’en finit pas de payer les frais de cette crise, puisque non seulement la vente de tickets a baissé, mais de plus les quelque 4000 employés vivent dans l’angoisse et l’incertitude quant à l’avenir de la compagnie. A tel point qu’une délégation de la MEA, présidée par M. Khattar Hadassé, s’est rendue hier auprès du gouverneur de la Banque centrale afin de lui demander de cesser de porter atteinte à la crédibilité de la compagnie, mais M. Riad Salamé aurait répondu qu’il comptait poursuivre l’affaire jusqu’au bout.
Alors de trois choses l’une: soit la Banque du Liban réussit à prouver qu’elle veille au grain, soit l’enquête n’aboutit pas et l’histoire se termine en queue de poisson, soit l’objectif est moins de défendre les fonds publics et privés que d’obtenir la résiliation du contrat, qui entraînera forcément la démission du conseil d’administration de la MEA, en prélude à une mise en vente des actions de la compagnie détenues par la Banque centrale au secteur privé. Des observateurs se posent d’ailleurs de nombreuses questions sur le timing des trois affaires soulevées: la MEA, la Intra et le Casino du Liban.
Scarlett HADDAD
«Je compte procéder à une confrontation entre MM. Lahoud, Salam, Kanaan et Skayné, samedi. Mais, à partir de lundi, il y aura sans doute de nouveaux éléments et peut-être de nouvelles convocations». C’est par cette phrase mystérieuse que le général Béchara Salem a clôturé la longue journée d’investigations dans l’affaire de la MEA. Une phrase qui «en dit long...