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Actualités - OPINION

Regard Rita Awn : acryliques et terres cuites Translucide et lactescent

Dans sa première exposition individuelle, en 1994, Rita Awn (née en 1957, études aux Beaux-Arts de Paris, styliste de mode avant de se consacrer aux arts Plastiques) était encore sous le coup de la violence ambiante. Elle y dénonçait, à sa manière, le «toucher» fatal de la balle qui tue: touchés, ses enfants l’étaient d’une rose rouge entre les yeux.
En même temps, et comme relevant d’un autre univers mental et d’une autre sensibilité, en tout cas d’une autre démarche, des sculptures en terre cuite blanche sur le thème très personnel du rapport de l’homme avec l’eau (en pâte de verre, en résine).
Dans cette deuxième exposition, elle continue à explorer le thème de l’eau dans quatre terres cuites.
«Soif»: belle pièce simple et nue comme une statuette des Cyclades et, en même temps, d’une venue très contemporaine. Le personnage (homme ou femme? Il y a indétermination sexuelle, tremblement d’identité: disons l’être humain ou la personne) porte dans sa paume tendue à la hauteur du menton un peu d’eau qu’il s’apprête à boire, dans un geste suspendu pour toujours: la distance entre la paume et les lèvres reste à jamais infranchissable. Tout se joue dans cet infime hiatus. La soif ne sera jamais étanchée, et elle ne doit pas l’être. Que vaut un désir entièrement comblé?
Cette «Soif» est le titre de l’exposition, car il y a plusieurs sortes de soifs physiques, mentales, affectives et spirituelles, et Rita Awn les évoque avec un doigté, une délicatesse, un sens poétique qui sont l’inversion du propos et du climat de sa première exposition.
Dans «Reflexion», l’androgyne de Rita Awn, assis par terre, les jambes et les bras écartés au maximum, se mire dans un carré d’eau. Ce n’est pas tant la soif de Narcisse, mortellement fasciné par sa propre image, que celle du curieux qui regarde au fond de la mare ou du méditant qui cherche la libération par la connaissance de soi.
«Walking on Water» représente un personnage debout sur un bloc de résine (la masse liquide), les bras ballants, avançant prudemment, un pied devant l’autre, la tête penchée en avant pour mieux voir où il les pose: soif de réaliser l’impossible — ou tout simplement de marcher sans trébucher, de marcher juste, sans faux pas. Formes simplifiées au maximum, forte présence.
«Waterfall»: trois «montagnes» (des pics coniques) sur les flancs desquelles coulent des cascades où s’abreuver, symboles de vie.
Trois pastels et acryliques sur MDF, inspirés par un distique du poète chinois Li Po, font même de la soif un lien entre le ciel et l’homme: «La lune sortait de la montagne comme d’une bouche. Du ciel on nous tendit des coupes».
Ces coupes tendues, c’est précisément ce que recherche Rita Awn dans son nouveau travail, à condition qu’elles soient remplies du lait de la tendresse humaine. Ce qu’en 1994 elle exprimait a contrario, elle l’exprime directement aujourd’hui.
Dans les séries «You touched my Heart» et «Rest Less» (sic), des acryliques sur bois, elle évoque ou plutôt elle invoque et appelle les attouchements caressants de mains d’êtres inconnus et invisibles, comme si elle voulait se faire envelopper de leur fluide bénéfique qui pénètre, au-delà du corps, jusqu’au cœur et jusqu’à l’âme même.
Et comme en harmonie avec cette grâce tactile, sa propre touche se fait d’une légèreté éthérée, au point que, dans certaines pièces, on se demande si la femme frôlée ne va pas se dissoudre dans la pureté du brouillard blanc qui l’enceint et l’embrasse de toutes parts.
Rêve d’une caresse tellement subtile qu’elle rend translucide le corps effleuré, de la même consistance que les «nuages blancs» ineffables (Li Po) ou que la «fumée qui s’accroche aux arbres de la campagne» (Li Po).
Pour rendre cette soif de caresses tendrement mystérieuses, une parfaite économie de moyens: le blanc, pour servir de fond et de voile, et deux couleurs, la terre d’Ombre et le rouge vénitien pour l’ébauche fruste (savamment fruste) des corps et des mains.
La plupart des formes ainsi esquissées pourraient aisément se transformer en terres cuites. Il y a, du reste, un rapport évident et très épuré entre le mouvement silencieux des sculptures qui n’est troublé par aucune ruse ni aucun artifice (d’après le texte de Krishnamurti en exergue de l’exposition) et l’espace absolu, intemporel et onirique à la fois, car espace de désir, des peintures.
La double démarche de l’exposition de 1994 est devenue ici une seule et même démarche, thématiquement et plastiquement. La peinture a fini par rejoindre la sculpture pour s’imprégner de son étrange sérénité, de sa qualité quasi mystique et aussi d’une pudique et exquise féminité, à l’instar du léger voile translucide et lactescent qui estompe toutes les formes. (Galerie Janine Rubeiz).

Joseph TARRAB
Dans sa première exposition individuelle, en 1994, Rita Awn (née en 1957, études aux Beaux-Arts de Paris, styliste de mode avant de se consacrer aux arts Plastiques) était encore sous le coup de la violence ambiante. Elle y dénonçait, à sa manière, le «toucher» fatal de la balle qui tue: touchés, ses enfants l’étaient d’une rose rouge entre les yeux.En même temps, et comme...