Il y a plus d’un demi-siècle déjà, que cette affable et indomptable lutteuse, dans un soutien mutuel avec un époux intransigeant et doux, s’est lancée à l’assaut des forteresses fermées, et formées des injustices sociales et des abus publics. Ce fut le conflit permanent entre la pesanteur et la grâce, et les déconvenues ne réussirent jamais à entamer son énergie et sa persévérance.
Sans halte et sans conciliation dans son adhésion ininterrompue à toutes les batailles pour les libertés et le respect de la dignité humaine, Laure Moghaizel demeurera dans l’histoire du Liban le champion de la lutte pour la consécration des droits de la femme, et de leur totale égalité civile et sociale avec ceux de l’homme. L’on se rappelle que dans la terminologie équivoque de la Révolution française, un emportement tumultueux des premiers révolutionnaires de 1789, pour la première fois, a exigé le culte de ce qui fut appelé les droits de «l’homme», alors qu’une juste sémantique aurait dû dès l’origine substituer à cette incomplète formule, celle des droits de «l’être humain» ou de la «personne humaine» pour y inclure naturellement les droits de la femme. L’appellation première, démunie de rigueur et peut-être volontairement restreinte, — ce qui n’a point été suffisamment observé par les commentateurs —, a été cause d’une longue carence dans le monde constitutionnel, et d’un retard déplorable à accorder le droit de vote aux femmes dans le monde, ce permis de suffrage n’ayant été consenti en France qu’après la dernière guerre et au Liban qu’en 1952, sous le prétexte spécieux «qu’il est aussi peu raisonnable de réclamer pour elles le suffrage politique qu’il le serait de vouloir les assujettir au service militaire».
Cette résistance, la femme l’a sans cesse rencontrée à travers le temps — en dépit de sa première autorité à l’aube de l’histoire, au cours de l’ère dite matrimoniale dominée semble-t-il par les femmes et bénie parce qu’elle fut exempte, selon les ethnologues, des guerres et des conflits sanglants.
On continue à ressentir cette réserve un peu partout dans le monde, et elle demeure souvent chargée de préventions, même quand les prescriptions religieuses ne s’y mêlent point.
C’est à Laure Moghaizel que revient au Liban le mérite d’avoir mis en mouvement cet élan qui se propose de consolider l’égalité civile et sociale entre la femme et l’homme. L’effort pour la suppression de toute législation incompatible avec ce principe premier, a engagé cet inlassable pèlerin à participer à tous les colloques intellectuels, susceptibles de promouvoir le succès de sa lutte, en prenant soin d’entrer au cœur de toutes les mêlées et de toutes les manifestations publiques, et en ne répugnant pas à y mêler pour les empoussiérer les mains et même les manches. C’est dans ce total engagement que l’on retrouve les fondements d’une authenticité, et le gage de l’appartenance de notre pays au grand courant de la civilisation universelle.
Cette fierté libanaise, que l’on ressentait à travers son combat, a été assombrie un temps par des préventions confessionnelles, dépourvues de maturité, qui ont fait triompher les forces de la stagnation, lorsqu’elles bloquèrent son accession à un ministère, pour des considérations communautaires diminuantes, à un moment où l’Etat aurait pu se flatter de restaurer son prestige par cette présence ennoblissante.
Quand donc le maléfice attaché à une mentalité accablée de chaînes sera-t-il conjuré au Liban. Puissent les retrouvailles de Laure et de Joseph Moghaizel, aujourd’hui réunis dans la grande lumière et naguère mes voisins depuis près de trente ans, aider les Libanais à puiser du réconfort et de l’espoir dans le souvenir de leur commune ascension.
Wajdi MALLAT
Les plus commentés
Entre pouvoir et agir : oser
Corruption : au Liban-Nord, « jusqu'à 500 dollars » pour un vote
Pourquoi Joseph Aoun ne participera pas au sommet arabe de Bagdad