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Actualités - REPORTAGE

Pluie de riz et de fleurs au passage du souverain pontife Un accueil délirant sur l'axe Furn El Chebbak - Baabda Des arrestations sont effectuées dans les rangs de contestataires aounistes

«Au Liban, le Christ a transformé l’eau en vin et Votre Sainteté a transformé le désespoir en espoir». Les milliers de personnes rassemblées à Furn el-Chebbak, Hazmieh, et Baabda pour accueillir le pape prient tous pour que la visite de Sa Sainteté ait cet effet. Les mêmes mots sont sur toutes les lèvres: espoir, paix, justice. Les jeunes aounistes groupés dans divers secteurs de l’axe Furn el-Chebbak-Baabda ajoutent: liberté, indépendance, souveraineté. Chacun à sa manière exprime l’espoir que la visite du pape, aura l’effet d’un coup de bagette magique et balayera d’un coup tous les problèmes dont l’ensemble des Libanais se plaignent. Et ceux qui, jusqu’au passage du pape caressaient encore cet espoir, n’ont pas tardé à parler d’utopie: A peine le pape a-t-il traversé Hazmieh, vers 13h45, que cinq jeunes aounistes étaient arrêtés et emmenés à Fayadieh. Et pour cause: ils avaient «osé» brandir des calicots réclamant le rétablissement de la souveraineté libanaise et l’indépendance du pays.
Quoi qu’il en soit l’accueil populaire réservé au pape aura été littéralement magnifique. Malgré la chaleur de cette journée historique du 10 mai, plusieurs milliers de personnes sont venues tôt le matin, pour avoir une bonne place sur l’axe que Sa Sainteté doit emprunter pour arriver jusqu’au palais présidentiel. Arborant des casquettes frappées à l’effigie du pape et vêtus pour le plupart des T. shirts avec le portrait de Sa Sainteté, ils sont venus des quatre coins du Liban, du Haut Metn, de Aley, de la Békaa et attendent patiemment sur les trottoirs, lient connaissance, «parlent politique» en évoquant les possibles retombées de la visite ou commentent simplement les dizaines de banderoles hissées tous les dix mètres.
«Grâce à vous, la terre du pays des Cèdres est devenue encore plus sacrée». «Bienvenue à celui qui est venu bénir le Liban de Sa Sainte main». «Le 10 mai est la date d’une nouvelle fête pour le Liban». Pour la plupart, les banderoles sont imprimées en arabe. Lorsqu’à dix heures, les écoliers arrivent, il faut pratiquement jouer du coude pour pouvoir se frayer un passage. Ils veulent tous voir «à quoi ressemble le Saint-Père». «Mon institutrice a dit qu’il a un visage angélique. J’aimerai bien voir à quoi ressemble un ange», dit simplement Rouba, âgée de 10 ans. Des écoliers racontent qu’il leur a été demandé, au passage du souverain pontife, de mettre un main sur la bouche et de saluer le pape de l’autre «pour montrer qu’il n’y a pas de liberté au Liban». Abir, 13 ans, espère que la visite du pape «consacrera la liberté au Liban et nous débarrassera de tous les armées étrangères». Un de ses camarades, Georges (12 ans) l’interrompt: «Nous, le plus important, c’est l’unité des Eglises». Parmi les fidèles rassemblés, nombreux sont ceux qui espèrent que le bref séjour de Sa Sainteté contribuera à réunifier l’Eglise. «Il paraît qu’on s’est entendu sur l’unification de la date de la fête de Pâques, c’est un signe très significatif».
Ceux qui croient aussi que la visite «ne peut changer quoi que ce soit à la situation dans le pays» sont nombreux. Ils pensent, comme Elie, venu de Dekouaneh, que le pays est fondé sur «des bases qui ne peuvent pas être détruites apparemment». «Voilà vingt ans qu’on parle et rien n’a changé. En Pologne, grâce à Jean-Paul II, le régime communiste s’est effondré et a été remplacé par un autre démocratique. Espérons qu’au Liban, le peu de démocratie qui nous reste ne se transformera pas en dictature», déclare Elie, sur un ton désabusé. Tous ces gens veulent de toutes leurs forces croire qu’un vent de changement soufflera avec la visite du pape, mais ils n’y arrivent pas. C’est, du moins, ce qu’ils disent.

«Taratata pape»

L’attente se prolonge sous un soleil de plomb. Mais qu’à cela ne tienne. L’enthousiasme l’emporte sur tout autre sentiment. Les écoliers entonnent l’«Ave Maria» puis une série d’autres cantiques. On distribue aux dizaines de milliers de personnes rassemblées des ballons jaune et blanc qui seront lâchés au passage du pape. En face d’eux, un groupe de jeunes aounistes brandit les bannières jaune et blanc du Vatican et le drapeau libanais. Il est 11h50 lorsque le convoi du chef de l’Etat passe en direction de l’AIB. Il est salué par les fidèles qui remuent leurs drapeaux mais un groupe de jeunes chahute. L’un d’eux, Joseph Aoun, est immédiatement arrêté et conduit à l’Académie militaire de Fayadieh. Il reviendra un peu plus tard, essoufflé. Il a dû faire le trajet du retour à pied après que l’officier de faction lui eut seulement demandé de ne pas «causer de problèmes». «Mais je n’ai pas causé de problèmes. Je n’ai fait qu’exprimer démocratiquement mon opinion», note-t-il, souriant.
A son retour, Joseph est accueilli comme un héros par ses camarade. A la question de savoir quels sont les slogans qu’ils scanderont au passage du pape, Lama, la vingtaine, déclare: «On criera: on va étouffer». Sur ces entrefaites, un convoi piéton passe en hurlant: «Regardez voir ce que le pape peut faire». Le jeune homme qui porte la croix à l’allure d’un Rambo foulard noir autour de la tête et débardeur noir. Les jeunes aounistes leur font écho: «Allah, Lebnan, el-Baba wé bass» (Dieu, Liban, le pape et personne d’autre). Le célèbre «Taratata général» devient vite «Taratata pape». quelques-uns crient le nom du général mais leurs camarades les font taire. «Attendez que le pape passe. Ce sera bête de se faire arrêter avant». Ils poursuivent en entonnant des chansons patriotiques rendant hommage à l’armée. Certains arborent sur leur chemise un badge portant l’inscription «liberté» en rouge. Entre deux chansons, ils soulignent à l’adresse des journalistes, la nécessité que non seulement la résolution 425 de l’ONU mais également la 520 (adoptée en 1982 et appelant au retrait de toutes les forces étrangères du Liban soit appliquée. Ils sortent de sous leursT. Shirts et de leurs poches de petites banderoles hostiles au «Régime de Jaruselski» et appelant à la «Libération totale».
Les slogans scandés par les jeunes de l’opposition couvrent le reste des chants entonnés. «Parce qu’il ne nous est pas possible de communiquer avec le pape, nous essayerons de lui transmettre notre message par des mimiques et nous brandirons nos banderoles», nous déclare M. Hekmat Dib, responsable de la section estudiantine au sein du «Courant national libre». «Comment pouvons-nous espérer alors que nous ne pouvons même pas lui transmettre un message?» s’interroge-t-il. A côté de lui, on remue le drapeau libanais. «Que Dieu garde l’armée libanaise», «Taratata pape», «Dieu, le Liban, le pape et rien d’autre», «Liberté, souveraineté et indépendance». Un capitaine de l’armée s’approche de M. Dib: «Des paroles déplacées sont prononcées». En toute innocence, le responsable aouniste réplique: «Dites-moi lesquels et je les interdirai». La réponse n’est pas du goût de l’officier qui demande à connaître l’identité de son interlocuteur avant de s’éloigner pour parler sur son poste TSF. Le groupe repère un agent en civil, qui avait conduit Joseph Aoun à Fayadieh, et qui, juché sur un poteau électrique sur le trottoir d’en face, les filmait.
Le groupe reprend ses chants et ses slogans. Un homme tente de s’infiltrer parmi eux mais il est vite refoulé par l’armée. Une voix s’élève: «C’est un Syrien». Il n’en faut pas plus pour que les jeunes crient leur colère. Très vite, ils entonnent les chants aounistes marquant seulement des pauses pour crier: «Nous ne voulons au Liban que l’armée libanaise». A l’exception du capitaine qui avait interpellé Hikmat Dib et qui gardait une mine renfrognée, les soldats observent calmement l’effervescence des jeunes. Ils ne bougeront pas lorsque les petites banderoles et les portraits du général dissimulés soigneusement dans les habits, sont brandis. Visiblement irrité, le capitaine leur arrache les portraits des mains mais les laissent brandir les banderoles. Les portraits du chef des «Forces libanaises», dissoutes, M. Samir Geagea, sont également arrachés des mains de ses partisans.
Deux minutes plus tard, des sirènes et un vol d’hélicoptères annoncent l’arrivée du Saint-Père. Les cris se multiplient: des cris d’enthousiasme, des cris d’espoir. L’apparition du Saint-Père est fugace, mais ô combien émouvante. Une pluie de riz et de fleurs salue l’arrivée du souverain pontife. Des femmes éclatent en sanglots, d’autres lui souhaitent en criant longue vie et d’autres lui crient de bénir leurs enfants. D’un regard, le pape embrasse la foule qu’il bénit de deux gestes de la main. A ses côtés, le patriarche Sfeir salue aussi la foule, un large sourire aux lèvres. Tout de suite après, les groupes se défont. Entre-temps, cinq jeunes aounistes sont arrêtés dans le secteur de Furn el-Chebbak: il s’agit de Bassam Lteif, Rami Semaan, Ziad Najjar, Georges Schoucair et Raymond Haddad.
Le sentiment d’émerveillement laissé par l’apparition du pape est de courte durée: on replonge dans la triste réalité et on se souvient qu’au pays des Cèdres, toute vérité n’est pas bonne à dire.

Tilda ABOU RIZK
«Au Liban, le Christ a transformé l’eau en vin et Votre Sainteté a transformé le désespoir en espoir». Les milliers de personnes rassemblées à Furn el-Chebbak, Hazmieh, et Baabda pour accueillir le pape prient tous pour que la visite de Sa Sainteté ait cet effet. Les mêmes mots sont sur toutes les lèvres: espoir, paix, justice. Les jeunes aounistes groupés dans divers...