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Actualités - REPORTAGE

Une pièce réquisitoire mise en scène par Assaf Le Jardin de Sanayeh : une expérience collective de Story Inside Story (photo)

Le Théâtre de Beyrouth présente la dernière mise en scène de Roger Assaf, «Le Jardin de Sanayeh», réflexion sur la fonction d’homme de théâtre dans une société en reconstruction. Sur le mode de l’autodérision, cette création collective — conjointement signée par Roger Assaf, Hanane Hajj-Ali, Eliane Raheb, Hanane Abboud et Mahassen Ajam — comporte une dénonciation acerbe de l’évolution culturelle et morale de la société libanaise. Trois sources d’inspiration: l’histoire de Brahim Tarraf, pendu en 1983 à Sanayeh, écrite par Youssef Salamé; la situation scandaleuse des Sri-Lankaises au Liban; le texte «Une affaire d’identité» de Mahassen Ajam. «Le Jardin de Sanayeh» est une œuvre forte à laquelle Roger Assaf souhaite voir les jeunes réagir...
Sur les planches du TDB une grue et un long muret aux couleurs criardes sectionnent l’espace. Alors que la salle est encore illuminée et qu’elle bruisse des conversations, les modulations d’un «ôf» imposent le silence. Dans la première scène les acteurs explicitent leur état par le mime. La scène suivante, l’assistante du metteur en scène distribue les rôles. Le spectateur est invité à un voyage dans les couleurs de la création théâtrale mais également dans les méandres du conscient de l’homme de théâtre. On assiste d’abord à la naissance d’une pièce: chacun prend connaissance de son rôle et les répétitions peuvent commencer. Mais voilà, dans le théâtre de Roger Assaf, les choses ne se passent pas aussi simplement. Les acteurs se rebellent. Aucun d’eux ne semble satisfait du rôle qui lui est imparti. En fait, chacun va prendre prétexte de son rôle pour plonger au fond de lui et nous servir ce qui titille sa conscience individuelle ou l’inconscient collectif.

Collecte d’idées

Il y a plusieurs mois, Assaf et ses acteurs commencent les discussions préliminaires. «Nous avons d’abord pensé à des pièces conventionnelles», raconte Assaf. «Mais ce n’était pas ce que nous recherchons. Emerge alors l’idée de collecter différents textes ou informations représentatifs du Beyrouth d’aujourd’hui, du climat social, moral et culturel. Progressivement, ces petites idées ont cristallisé l’attention: l’exécution de Brahim Tarraf, l’odieuse situation des Sri-Lankaises au Liban et le texte sur l’identité de Mahassen Ajam». Le cas de Tarraf tel que relaté par Youssef Salamé dans sa pièce «Un crime à la maison» sert de trame. Tarraf convaincu de meurtre est jugé et pendu en 1983, «à la faveur de retrouvailles nationales» commente Assaf. «Une réconciliation entre l’autorité et le peuple autour d’un cadavre dans un jardin, lieu de fête où les gens se rencontrent sans se retrouver». Les coauteurs parlent de la perte d’identité, de la mort des valeurs morales... Le constat est alarmant. Mais la pièce n’est pas tout à fait noire. En effet, elle s’agrémente volontiers de moments comiques ou détendus, pastiches, parodies de caractères ou d’accents... Les acteurs se montrent à l’aise et il faut tous les citer: Fadi Abi-Samra, Antoine Balabane, Issam Bou-Khaled, Hanane Hajj-Ali, Bernadette Hadib, Hanane Abboud, Hagop Dergoksian, Eliane Raheb.
En arrière-plan de ces problèmes sociaux, comme un cri lancinant, une autre préoccupation pointe: quelle est la place de l’homme de théâtre dans le Beyrouth d’aujourd’hui et de demain? «Nous, gens de théâtre, sommes en porte-à-faux par rapport à cette ville qu’on reconstruit pour l’avenir», dit encore Roger Assaf. «Nous sommes mal à l’aise dans la ville, dans le métier, et par rapport à notre devenir».
Ces interrogations, les comédiens du «Jardin de Sanayeh» les personnifient avec force et justesse. Chacun, à son tour, passe sous les feux de la rampe comme en jugement, et donne libre cours, donc, à sa colère, à sa révolte ou à sa dérision. «Le côté collectif de notre travail ne tue pas l’individualisme, bien au contraire» souligne Assaf. «Je choisis sciemment des gens d’horizons, de communautés, de culture et de sensibilités différents. C’est le résultat de la confrontation entre eux qui m’intéresse. Nous n’escamotons pas les problèmes ni ne les amoindrissons. Nous les discutons et parfois avec violence. Nous n’aboutissons pas toujours à une solution et les points de vue peuvent rester différents et être exposés tels quels sur les planches».

Les jeunes

Les acteurs se prêtent avec délectation à ce jeu, donnant l’impression de constituer un puzzle dont chaque pièce s’imbrique à l’autre tout en gardant sa particularité. D’ailleurs pour Assaf, le théâtre est «le laboratoire d’une société, le lieu où on peut expérimenter les idées, les émotions, les rêves, les désirs… Où la société peut apprendre à se connaître profondément et non pas simplement à se regarder superficiellement».
«Ma cible, ce sont les jeunes» dit Assaf. ««Le jardin de Sanayeh» devrait en effet plaire à ce public. Je veux qu’ils aient la possibilité de choisir tel ou tel métier. Le plus terrible c’est que nous vivons dans une société qui nous refuse de plus en plus ce choix». Professeur de théâtre, Assaf dit se sentir «responsable des jeunes, car je leur donne à espérer dans leurs rêves. Ce qui me touche par dessus tout c’est l’accueil des jeunes: ils se sentent concernés, ils voient ce travail avec une sympathie chaleureuse».
La scénographie des pièces de Roger Assaf utilise toujours des éléments représentatifs du modernisme. «Pour rappeler toujours que la technique doit être mise au service de l’homme et pas le contraire».
Dans «Le jardin», c’est la grue qui rythme l’action. A l’instar de l’éclairage, de la musique et des acteurs, le décor fait partie intégrante de la pièce. «La grue est importante car c’est par excellence le symbole du Beyrouth qui se reconstruit. Et l’intégrer à la mise en scène c’est nous donner la possibilité de la manipuler à notre tour. D’avoir prise sur cet engin omniprésent dans notre paysage».
Encore une expérience Assaf, encore une aventure. Mais cette fois, on en arrive à la réflexion sur le métier... Signe d’aboutissement? Espérons que non...

Aline GEMAYEL

* Tous les jeudis, vendredis, samedis et dimanches, 20h30, jusqu’à fin juin.
Le Théâtre de Beyrouth présente la dernière mise en scène de Roger Assaf, «Le Jardin de Sanayeh», réflexion sur la fonction d’homme de théâtre dans une société en reconstruction. Sur le mode de l’autodérision, cette création collective — conjointement signée par Roger Assaf, Hanane Hajj-Ali, Eliane Raheb, Hanane Abboud et Mahassen Ajam — comporte une dénonciation acerbe de...