Comme Rif, 600 officiers et soldats soviétiques ont déserté entre la réunification allemande, en 1990, et le retrait définitif de l’Armée rouge de l’ex-RDA, en 1994, où elle avait stationné 390.000 hommes.
Ils ont alors demandé l’asile politique en Allemagne. En 1996, l’Office fédéral pour les réfugiés a rejeté la plupart des demandes (1.244 avec les familles). Pour les autorités allemandes, la désertion est un délit comme un autre qui ne peut ouvrir droit à un statut particulier.
Depuis, ils se battent devant les tribunaux administratifs. Aucune expulsion n’a encore été prononcée. Mais pour certains d’entre eux, le compte à rebours a déjà commencé, ils n’ont plus que quelques semaines pour obtenir gain de cause en justice.
«En Russie, ils sont passibles de 15 ans de prison, voire même de la peine de mort», estime l’avocat Horst Eylmann, député chrétien-démocrate (CDU, parti du chancelier Kohl). «En particulier dans l’armée, les procès ont lieu à huis-clos, ils sont incontrôlables», ajoute-t-il.
Les intéressés risquent d’autant plus gros qu’ils ont tous dû rendre des comptes aux services de renseignement allemands, américains ou britanniques après leur désertion, ce qui est passible de haute trahison en Russie.
«Un officier du BND (services allemands) m’a interrogé toute une journée. Il m’a dit: tu auras l’asile politique après l’interrogatoire. J’ai compris que je n’avais pas le choix», raconte M. Akhmetganaïev, 47 ans, qui commandait une unité de chars à Francfort-sur-l’Oder.
Les déserteurs ont été longuement interrogés sur le moral dans l’Armée rouge, le stationnement de leurs unités, leurs équipements, à une époque où l’Union Soviétique était encore un monde clos.
«Les services occidentaux étaient à l’affût, on peut dire qu’ils ont eu un tas d’informations pour rien», souligne un camarade de Rif, également déserteur, qui préfère garder l’anonymat. Le sentiment d’amertume et de déception est donc d’autant plus grand.
Bonn, seule planche
de salut
En Allemagne, ils ont tous redémarré à zéro. Rif, technicien dans les missiles, a appris le métier de chauffagiste. Son camarade a trouvé un emploi sur un chantier. Mais son allemand et ses manières raffinées trahissent toujours l’ingénieur reconverti par nécessité.
L’appartement de Rif ressemble à n’importe quel intérieur allemand traditionnel, avec ses bancs en bois dans la cuisine, ses petits rideaux proprets et la télévision de marque japonaise au milieu du salon. Seule note d’exotisme, des tapis orientaux ont été accrochés aux murs.
«Non enfants grandissent ici, au milieu d’enfants allemands. La Russie, ils ne savant plus ce que c’est», souligne M. Akhmetganaïev. Son fils, huit ans, ne jure que par le club phare du football allemand, le Bayern de Munich. «Il est aussi le meilleur de sa classe en mathématiques», relève son père avec fierté.
Rif, sa femme et ses trois enfants — âgés de 8 à 20 ans — se sont enfuis à l’automne 1991, un panier à la main, en prétextant qu’ils allaient cueillir des champignons. «J’avais sympathisé avec des officiers occidentaux. Le KGB voulait que je travaille pour lui, j’ai refusé», raconte-t-il.
D’autres ne supportaient plus les conditions de vie déplorables dans les casernes, et les mauvais traitements quotidiens contre les recrues. Un certain nombre d’entre eux sont aussi partis pour tenter leur chance à l’Ouest, même s’ils ne l’avouent pas.
Leur seule planche de salut désormais réside à Bonn. Plusieurs députés, tous partis confondus, sont déjà intervenus en leur faveur. «Les déserteurs ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel des relations germano-russes. S’ils ne sont pas amnistiés en Russie, ils doivent pouvoir rester ici», estime ainsi M. Eylmann.
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