Malgré tout, on vous répète jusqu'à plus soif que la démocratie se porte très bien, merci. Même si neuf Israéliens sur dix sont convaincus que leur système est le plus corrompu au monde, ils sont aux deux tiers certains que l'honnêteté devrait être la qualité première d'une personnalité publique. Comment dites-vous ? Tous les Premiers ministres, sans exception aucune, qui ont occupé le devant de la scène ces quinze dernières années ont fait l'objet d'une enquête de police ? Cela ne veut rien dire puisque aucun d'entre eux n'a subi de condamnation, pas même - jusqu'à présent du moins - ce pauvre Ehud Olmert, grand amateur de vins fins, de cigares cubains, de voyages payés et de stylos de marque. Idem pour ce qui est de la stabilité. Sur les huit dernières législatures, une seule est allée au bout de son mandat, ce qui, vous explique-t-on le plus sérieusement du monde, constitue une preuve de dynamisme.
Rien d'étonnant donc, trois semaines après l'équipée ratée contre Gaza, que la vie au quotidien figure au premier plan des préoccupations de l'homme de la rue. D'où l'inquiétant basculement à droite du discours public. Cette tendance, à l'origine, a été voulue par Benyamin Netanyahu, qui ne cesse de rappeler la nécessité d'« un leadership solide pour la sécurité et l'économie », lui dont la gestion passée a été doublement désastreuse. Qu'importe, puisqu'il est suivi, et pas seulement par l'Israélien moyen. Même Tzipi Livni se croit obligée de marteler que si les Palestiniens n'ont pas tiré les leçons des vingt-deux jours de pilonnage, « nous continuerons jusqu'à ce qu'ils reçoivent le message ». Autrement dit : la ligne mitoyenne, c'est fini. Mais aussi la vision du Grand Israël, tout comme l'occupation de territoires et la multiplication de points de peuplement qui représentent autant de zones de friction. Pour autant, nul ne prétend avoir un projet de solution. Alors, va pour l'outrance verbale en ces temps de tous les doutes. Comme le leader d'Israël Beitenou, ancien lieutenant de « Bibi » après avoir servi sous la bannière du peu reluisant rabbin Meir Kahan, avant de racoler les rescapés de la défunte Union soviétique pour créer son mouvement d'extrême droite. Curieuse figure que celle-là, et qui se paie le luxe aujourd'hui de piquer des partisans à son ancien protecteur pour être crédité, dans la prochaine Assemblée, de 17 sièges, ce qui ferait de lui un allié incontournable pour la constitution du cabinet à venir. Un blog, « The Dry Bones » de Yaakov Kirschen, publié sous forme de dialogue entre deux hommes, illustre la situation ainsi créée. Avigdor Lieberman monte dans les sondages, dit l'un. Eh oui, répond l'autre, parce que l'on voit en lui le nouveau Sharon. Et le premier de rectifier : « Non, l'ancien Sharon... » Tout le monde ne partage pas les idées du nouveau héraut d'une droite pure et dure, surtout en matière d'allégeance à l'autorité étatique. « Est-ce là une qualité exigée de tous les juifs résidant en Israël ou bien seulement de la population arabe ? Et qu'en est-il alors des ultraorthodoxes qui ne reconnaissent pas l'État et refusent de servir dans les rangs de l'armée ? » s'interroge un professeur d'université, rejoint en cela par plusieurs intellectuels. Débat futile, qui n'intéresse pas l'homme de la rue, tout occupé par l'arithmétique électorale qui déterminera la composition du prochain gouvernement. Les nouvelles projections, à cinq jours du mardi 10 février, accordent 70 sièges à la droite, 40 à la gauche et dix aux Arabes. Même avec un groupe de 31 membres, le Likoud aura besoin de 31 députés supplémentaires pour détenir la majorité absolue, alors que la coalition Kadima-travaillistes peut espérer 35 au total de parlementaires.
Dans le feu de l'action, tout le monde semble avoir oublié les récentes propositions d'Olmert en faveur de la cession de la Cisjordanie et même de Jérusalem-Est. Mauvais argument en pleine campagne. Mauvais, aussi, pour la paix, même si, pour l'heure, personne n'en a cure.