Pour celui qui a soumis tous les candidats à son administration à des pages et des pages de questions dans un souci, clamé haut et fort, de respect de sévères règles éthiques, les dérapages fiscaux de certains secrétaires font tache. Il y eut d'abord son secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, repêché in extremis par le Sénat malgré ses ennuis avec le fisc. Moins chanceux furent Nancy Killefer, contrôleuse du budget, mais mauvaise contrôleuse de son propre budget, et Tom Daschle, secrétaire à la Santé désigné et proche d'Obama. La première, chargée de veiller au bon fonctionnement des programmes fédéraux et de tailler dans les dépenses superflues de l'État, aurait « oublié » de payer les impôts relatifs à une employée de maison. Le second a, pour sa part, été sujet à « un trou de mémoire » de 120 000 dollars en matière d'impôts. Les deux ont jeté l'éponge.
Après cette série noire, Barack Obama a effectué, mardi soir, son mea culpa, affirmant devant les caméras de CNN, en référence à la nomination de Tom Daschle : « Je pense que cela a été une erreur. J'ai foiré. J'en assume la responsabilité et nous allons faire en sorte de régler le problème pour être sûrs que cela ne se reproduise plus. »
Le mea culpa a beau être pour le moins extraordinaire, le vent d'enthousiasme qui soufflait depuis la victoire d'Obama semble fraîchir. Selon le Washington Post, l'administration Obama serait passablement perturbée par le retrait de Tom Daschle, le président n'ayant envisagé, pour le secrétariat à la Santé, que la candidature de l'ancien sénateur dont beaucoup, y compris Obama, s'accordent à dire qu'il avait le meilleur profil pour ce poste. Poste en outre stratégique, puisque la réforme de la santé est une priorité pour l'opinion publique américaine. « Réformer le secteur de la santé, dans ce pays, est un exercice politique », soulignait George C. Benjamin dans les colonnes du Post. Or, Daschle « connaissait les joueurs, les erreurs faites par le passé, et avait la crédibilité nécessaire pour parvenir à des accords ». Autant dire que le revers, autant personnel que politique pour le président Obama, est important.
Signe que l'état de grâce pourrait toucher à sa fin, le New York Times, qui avait ouvertement soutenu le candidat démocrate durant la campagne pour la présidentielle, ne ménage pas ses critiques contre Barack Obama. « Il a fallu la démission de Daschle pour qu'(Obama) se départisse de son attitude arrogante selon laquelle les membres de son entourage sous le charme n'ont pas à se plier aux nobles standards au sujet desquels il nous a fait la leçon depuis deux ans », écrit l'éditorialiste Maureen Dowd qui avait, en son temps, éreinté le président sortant George Bush. « Avant qu'il ne se rétracte, contraint de le faire en raison du nombre de ses nominés ayant "oublié" de payer leurs impôts, son raisonnement glissait dangereusement vers celui, qu'il avait pourtant dénoncé lors de son discours d'investiture, des dirigeants sortants : la mentalité élitiste du « Nous savons mieux que vous » et « Nous savons que nous faisons les bons choix pour le pays, donc nous pouvons jouer avec les règles » », ajoute l'éditorialiste du Times. « Le président démocrate a passé tellement de temps à essayer, et à échouer, de gagner sur les républicains, qu'il n'a pas remarqué la désillusion dans ses propres rangs », insiste-t-elle encore.
« Pour l'opinion publique américaine, Daschle est devenu le dernier symbole en date de tout ce qui ne va pas à Washington (les guerres d'influence, les raccourcis et le sacrifice du bien public pour des intérêts privés) », souligne, pour sa part, Steven Pearlstein, éditorialiste économique du Washington Post. « L'ironie de l'histoire, bien sûr, est que Barack Obama a compris cela et a fait de la frustration des Américains son slogan de campagne pour le "changement". Mais même lui, avec seulement quatre ans passés à Washington, a échoué à voir l'ampleur du problème ou à anticiper la férocité du retour de bâton », ajoute-t-il.
Dans un autre éditorial, daté du 3 février, le New York Times tente toutefois de rester optimiste sur l'avenir. « L'arme essentielle pour un président qui a réellement l'intention de nettoyer Washington est la crédibilité, ce qui requiert de l'intégrité. M. Obama a montré qu'il a les deux en abondance quand il a admis avoir "foiré" et a donné son assurance qu'il avait appris de ses erreurs. »