Une importante réunion consacrée aux écoutes téléphoniques se tient aujourd'hui au Sérail, sous la présidence du Premier ministre, Fouad Siniora, à laquelle assisteront les ministres des Télécoms, de la Justice, de la Défense et de l'Intérieur, l'avocat général près la Cour de cassation, Saïd Mirza, ainsi que le directeur général des FSI et des officiers de l'armée et des FSI.
Cette réunion a été rendue nécessaire après la publication d'un certain nombre de données suspectes, sinon explosives, dont ont fait état, la semaine dernière, aussi bien M. Walid Joumblatt que le président de la commission parlementaire des Télécoms, Hassan Fadlallah (voir par ailleurs), et le quotidien an-Nahar, citant une source haut placée au sein des FSI, que certains affirment être son directeur général, le général Achraf Rifi en personne.
Il s'agira, en définitive, de savoir quand et à quelles conditions doivent être mises en place la chambre d'écoutes téléphoniques prévue par la loi 140 de 1999, et jamais appliquée, et la procédure exacte à suivre pour que les écoutes téléphoniques soient légales et servent leur but, qui est d'empêcher toute atteinte à la sécurité nationale, de combattre le terrorisme et sans doute aussi le crime organisé.
Mises au point de Najjar
Directement concerné par ce dossier, le ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, a tenu hier à faire quelques mises au point pour L'Orient-Le Jour. Il a commencé par faire la distinction entre l'écoute proprement dite et l'interception des communications téléphoniques, qui consiste à écouter directement la conversation de deux personnes. À ce sujet, M. Najjar a été formel : aucune autorisation d'interception n'existe légalement au Liban.
L'écoute, précise-t-on, se fait soit sur ordre judiciaire, soit sur ordre administratif. Dans ce dernier cas, elle émane de l'autorité politique.
En revanche, l'écoute proprement dite est postérieure à l'entretien téléphonique. Ces entretiens sont utilisés comme des bases de données et de réentendus, dans le but de déchiffrer un certain nombre de faits. Selon le ministre, leur nombre se résume à une dizaine tout au plus, pour l'ensemble du pays.
Le refus de Bassil
La réunion d'aujourd'hui va donc rendre compte des écoutes légales, mais aussi des écoutes illégales que certains services de sécurité pratiquent, surtout depuis l'attentat contre Rafic Hariri, en février 2005, ainsi qu'après les autres attentats meurtriers qui l'ont suivi, emportant certains des plus brillants hommes politiques et penseurs de la seconde indépendance.
Certes, ce que la réunion du Sérail va permettre de tirer au clair ne sera en fait que la partie visible de l'iceberg. Respecter la loi et sauvegarder la sécurité nationale, quand on a en face de soi un adversaire calculateur et impitoyable, cela ne va pas de soi. Les services de sécurité des FSI en savent d'ailleurs quelque chose, avec l'assassinat de l'un de leurs plus brillants experts, Wissam Eid, emporté dans un attentat à la voiture piégée. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que toutes ces données sont à la disposition de la commission internationale chargée d'identifier les assassins de Rafic Hariri.
C'est du reste une leçon que M. Bassil lui-même a dû apprendre à la dure. Selon une source haut placée au sein des FSI, citée par notre confrère an-Nahar, la coopération entre le ministre des Télécoms et les services de renseignements de l'armée et des FSI ne s'est installée que difficilement.
Ainsi, à deux reprises, M. Bassil a refusé de communiquer à ces services des données qui auraient facilité le travail des enquêteurs : une première fois après l'attentat du 13 août 2008, à Tripoli, qui avait fait 13 morts et 50 blessés, et une seconde fois après l'attentat du 10 septembre, qui a coûté la vie à Saleh Aridi, à Bayssour.
Au troisième attentat, qui s'était produit à Bohsass, le 29 septembre, et avait fait 6 morts et 26 blessés, M. Bassil avait appris sa leçon. Raisonné par le chef de l'État et sur instruction de l'avocat général près la Cour de cassation, il livra les données réclamées qui, d'ailleurs, furent utiles pour identifier les auteurs de l'attentat.
Le réseau du Hezbollah
Non contentes de se plaindre de la lenteur de M. Bassil à communiquer les données en sa possession, les sources citées par an-Nahar s'interrogent sur ce qui a poussé, soudain, le ministre à réclamer des copies de toutes les données communiquées au ministère depuis l'attentat contre M. Marwan Hamadé, le 13 octobre 2004. Ce geste aurait suscité les inquiétudes de la commission internationale, qui s'est demandé si ces données n'allaient pas tomber en de mauvaises mains, assure le quotidien.
Toujours selon an-Nahar, les sources haut placées au sein des FSI réclameraient désormais l'installation d'un réseau de communication privé analogue à celui dont dispose le Hezbollah. Ce réseau serait d'autant plus indispensable que les communications des FSI et de l'armée seraient désormais sur écoute, comme le prouve la diffusion, par une station de télévision locale, d'un entretien téléphonique entre le directeur général des FSI, le général Achraf Rifi, et un membre de Fateh el-Islam, Ahmad Merhi, qui se trouvait alors dans son repaire de la rue Metni, à Tripoli.
Le général Rifi fournira aujourd'hui aux personnalités réunies au Sérail toutes les données qu'il possède à ce sujet. Il aurait même l'intention de réclamer l'ouverture d'une enquête judiciaire au sujet de la manière dont le ministre a retenu par devers lui des informations réclamées par les services de sécurité de l'armée et des FSI. L'officier aurait également l'intention de réclamer la formation d'une commission d'enquête parlementaire, au cours de la réunion de la commission des Télécoms, consacrée aux écoutes, jeudi.
Défense
Au sujet des accusations lancées par M. Joumblatt, qui a affirmé que le colonel Daniel Gergès a installé une salle d'écoute au ministère des Télécoms, M. Bassil a réaffirmé hier que ces allégations sont sans fondement.
M. Bassil a affirmé aussi que les informations diffusées par an-Nahar étaient « trois fois mensongères ».
Et d'ajouter qu'il « n'avait pas peur » des accusations lancées contre lui et qui vont jusqu'à imputer à un certain camp la responsabilité de l'assassinat de Rafic Hariri.
« J'ai sans doute empiété sur les tabous d'une partie bien déterminée qui s'est habituée à violer la vie privée des gens et leurs droits », a-t-il lancé, se promettant de prouver aujourd'hui, au cours de la réunion du Sérail, qu'il est le premier ministre à avoir « osé » mettre des limites aux écoutes, ce qui a mis « hors d'eux » les services en question.
« Je n'ai peur de personne, a redit le ministre, surtout pas de ceux qui ont échoué à consolider la sécurité dans le pays, qui en est arrivé à cette situation à cause de leur " sécurité " et de leurs services, de sorte que nous sommes tous exposés au danger et qu'au Liban il y a désormais des réseaux terroristes, Fateh el-Islam et la bataille de Nahr el-Bared. Et ça se dit capable de consolider la sécurité ! »
Pas de doute, la réunion d'aujourd'hui s'annonce, en tous points, orageuse.