
© Gérard Giaume
Créé en 2017, le festival du journal intime a été lancé par Karine Hoarau-Glavany et rassemble chaque année plus de 1 500 personnes. « Après avoir travaillé dans la communication politique, je suis devenue productrice d’événements culturels, et c’est l’historien Jean-Noël Jeanneney qui a eu l’idée d’un festival du journal intime, qui est unique au monde ! », précise la fondatrice du festival. Après une première édition à Paris, c’est dans un village du Morbihan, Saint-Gildas-de-Rhuys, qu’il prend ses quartiers annuels, sur deux jours. « Plus de 4 millions de Français tiennent leur journal intime, et on compte de nombreux diaristes dans le monde. Le journal intime parle à tout le monde, et il est réalisable par chacun. Il n’y a ni jugement de forme ni de fond, et il n’est pas censé être lu ; vous n’êtes pas censé être un bon journaliste ou un écrivain pour le tenir. Il peut être fait de manières diverses, sous forme écrite, graphique, photographique, en format BD ou vidéo... Beaucoup de gens ont besoin de laisser une trace de soi, une trace de sa vie », poursuit Karine Hoarau-Glavany. « L’idée était de donner envie de tenir son journal intime, de proposer un contrepoint réseaux sociaux : un journal intime est le vrai miroir de soi, on n’y triche pas, on ne demande pas de récompense en retour. On est sincère avec soi-même, quitte à être choqué quand on se relit », souligne l’organisatrice de l’événement, qui s’est déroulé cette année les 28 et 29 juin, avec des ateliers d’écriture, des lectures, des concerts et des conférences. « De nombreuses personnalités participent chaque année au festival, le public aime découvrir la vraie personnalité derrière une personne qu’il a lue, entendue. Les journaux intimes parlent aussi de la société à une certaine époque, et cela passionne les auditeurs », ajoute-t-elle. « Cette année, nous avons choisi une thématique tournée vers l’art et la littérature et avons opté pour la légèreté, dans un contexte mondial sombre », explique vivement la productrice.
Pierre Arditi, Sandrine Bonnaire, Jane Birkin, Erik Orsenna, Denis Podalydès, Camille Cottin et bien d’autres ont déjà participé à ce festival réjouissant. Pour la 8e édition, la programmation était stimulante, avec les lectures de différents diaristes : Eugène Delacroix, Jane Birkin, Keith Haring, Jules Renard… Samedi soir, le public était invité à « Une soirée chez Clara et Robert Schumann », une lecture musicale avec la pianiste Dana Ciocarlie, la chanteuse lyrique Delphine Haidan, et Julie Depardieu qui partage, d’une voix douce et rêveuse, sa passion pour la musique et l’écriture.
D’où vient votre passion pour la musique classique ?
J’aime beaucoup proposer des programmes musicaux qui associent musique et textes. À 14 ans, j’ai eu un choc fulgurant en écoutant un air de Don Giovanni, Là ci darem la mano, lorsque Dom Juan drague Zerlina. Je me suis mise à hanter les rayons de la FNAC et ne voulais écouter que de l’opéra. Puis j’ai basculé dans la musique instrumentale.
Je connais la pianiste Dana Ciocarlie depuis longtemps, j’ai fait une chronique sur elle sur France Musique. Lorsque nous nous sommes retrouvées à Châteauroux au festival Franz Liszt, j’ai rencontré Delphine Haidan. On a échangé toutes les trois autour d’un spectacle musical sur la vie rocambolesque des Schumann, en lisant des pages de leur journal intime et en racontant leur histoire extraordinaire.
Qu’est-ce qui vous fascine dans le parcours de Clara et Robert Schumann ?
Ils rédigeaient un journal à deux, chacun avait l’obligation d’écrire un certain nombre de pages par semaine, et c’est très beau. Ils avaient aussi chacun leur journal personnel, et sont restés 14 ans ensemble. À cette époque, les gens écrivaient beaucoup ; le journal commun leur permettait d’échanger sur leur quotidien et ce qu’ils vivaient au fil des jours : ils arrivaient à tout se dire, même ce qui les gênait, en y mettant les formes, c’est très joli comme outil de communication !
Entre les lectures et les pauses musicales, je raconte aussi leur histoire pour resituer ce qui se passe dans le couple. Le père de Clara, qui était le professeur de piano de Robert, s’est opposé à leur mariage. Au départ Clara était une star, beaucoup plus que son futur mari. Quand ils se rencontrent, Robert a 17 ans, Clara n’en a que 8, et c’est une enfant prodige au piano. Ils ont interdiction de se voir, de correspondre, mais ils vont trouver le moyen d’échanger des lettres par l’intermédiaire de tiers complaisants, dont la mère de la jeune fille. C’est le grand amour, le mythe platonicien des deux moitiés d’une même orange.
À 12 ans, Clara est comme Mozart, elle fait des tournées dans toute l’Europe et est très reconnue. Après son mariage, elle continue de donner des concerts mais le couple a huit enfants, elle essaie de composer mais n’y arrive pas. Lorsque Robert tombe malade, elle doit gagner de l’argent. Et puis la famille s’est dotée du plus beau baby-sitter possible, Johannes Brahms. Il tombe en extase devant Clara. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé mais on peut lire entre les lignes, d’autant plus qu’ils ont déchiré une grande partie de leur correspondance. Au fil du spectacle, on essaie de définir les liens des musiciens qui s’aiment tous les trois, alors que Delphine Haidan chante des lieder de Clara.
Comment avez-vous construit le spectacle ?
Je me suis inspirée des liens entre les musiciens, j’ai beaucoup lu leurs journaux, notamment lorsque j’ai préparé trois chroniques sur France Musique intitulées Clara, la grande oubliée. On a déjà joué ce spectacle en Bretagne et en Vendée. Delphine Haidan a une voix extraordinaire, qui me fait penser à Pauline Viardot. On a ajouté de très beaux textes, Clara est une grande autrice, d’une modernité incroyable, et extrêmement drôle. Robert écrit bien lui aussi, c’est le fils d’un libraire, il est très cultivé et va amener Clara vers de nombreuses lectures. Les passages où elle s’exprime sur la mort de Robert sont très émouvants, elle parle de la perte de l’être aimé. Le fait de l’écrire est sublime, avec le dernier regard, le dernier geste qu’il n’arrive même plus à faire. En ces temps difficiles que nous sommes en train de vivre, on entend deux êtres qui se vénèrent l’un l’autre ; les mots qui parlent du dernier instant sont bouleversants, ils nous rappellent qu’il faut s’habituer à l’idée du départ de ceux qu’on aime.
Quand j’écoute Dana au piano, c’est sublime, j’entends à la fois Robert et Clara. Je ne les distingue pas ; j’ai tellement lu de l’amour l’un sur l’autre que pour moi c’est un être à part entière. Et quand j’écoute Brahms, je ne pense qu’à lui aimant Clara, elle représente l’idéal féminin, étant à la fois intelligente et belle.
C’est Delphine Haidan qui a choisi les lieder. Grande germanophile, elle les connaît tous par cœur ! Ils parlent de la signification profonde du grand amour et de la déception qu’a aussi connue Clara. Je me sens proche de cet idéalisme, et je tombe souvent de haut, mais j’ai envie d’y croire, quand j’écoute Beethoven par exemple. Ce qu’il veut n’existe pas, mais quelque part cela doit exister, sinon il ne l’aurait pas inventé.
Comment réagit votre public au spectacle ?
Lors de la dernière représentation, il y avait beaucoup de jeunes, et on a échangé sur le fait que notre époque est celle des pouces en l’air, qui représentent la mort de l’écriture. Mais elle va renaître, ce n’est pas possible d’en rester là !
Beaucoup de spectateurs sont touchés par la figure de la femme artiste oubliée, comme Fanny Mendelssohn ou Pauline Viardot. Clara est un peu sacrifiée : même si elle a été pianiste, elle n’arrivait pas à composer. J’ai aussi travaillé sur Colette qui a reçu des jets de pierres en rentrant chez elle, car elle était trop libre. À la rentrée, je vais m’intéresser à Juliette Drouet, la grande maîtresse de Victor Hugo. Pour résumer, être une jolie femme sans argent en 1830, c’est l’enfer !
Je trouve extraordinaire qu’il y ait un festival autour du journal intime. Pour ma part, je n’ai jamais écrit, j’ai toujours lu les autres. Je suis encore très coincée, je suis folle de musique, mais je n’en joue pas. Néanmoins, je peux avoir une place sans faire de la musique, en écoutant les autres. Je ne suis pas obligée de faire pour être : je peux aussi être une oreille et être une lectrice.
Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
Dans un autre genre, je travaille sur une série de quelques épisodes par an. Je joue une médecin légiste un peu farfelue, qui a des intuitions, et qui sait plus vite que les autres comment la victime a été tuée. Dans le scénario, mon frère est flic, et je passe mon temps à lui passer devant !
J’ai aussi beaucoup de lectures musicales prévues qui permettent de mettre en valeur la musique par l’écriture et réciproquement. La musique classique fait un peu peur, et c’est une très bonne entrée en matière. Cet été, sont prévus Pierre et le loup, le spectacle sur les Schumann, un autre autour de la poésie d’Anna de Noailles, ainsi que Vive l’amour, avec flûte et piano. Il concerne les grands amours des compositeurs : Mozart qui écrit à Constanze jusqu’à trois fois par jour, Beethoven qui écrit à cette femme, dont on ne sait pas si elle a existé, l’immortelle bien-aimée, Liszt, qui s’adresse à Marie d’Agoult… En septembre, on va continuer à proposer un spectacle qui a beaucoup de succès, autour de Misia Sert, une pianiste très renommée des années 1900, qui a reçu dans son salon les plus grands artistes de son temps. J’ai aussi un spectacle écrit à partir du texte Le Grand Feu, rédigé par une élève de Vivaldi, sur le compositeur, et je suis accompagnée par une violoncelliste suisse. Cette plongée dans le XVIIe, c’est sublime ! Le Musée Marmottan nous accueille aussi le 17 décembre pour le spectacle autour de Colette.