
D.R.
Nos frontières avec la Syrie ont toujours été poreuses et le Liban ne peut ignorer ce que Damas, dans sa « voracité », peut nous réserver comme coups tordus. Rappelons, sous la forme interrogative, un épisode de l’histoire commune des deux pays qui s’est déroulé entre le 3 et le 8 juillet 1949.
Pourquoi Saadé a-t-il appelé à l’insurrection ?
En date du 3 juillet 1949, Antoun Saadé déclara, depuis Damas, l’ouverture des hostilités contre le gouvernement libanais. Il enclencha une insurrection qu’il désigna comme « al-thawra al-qawmiyya al-oula ». Ne disposant plus de l’appui militaire de Husni al-Zaïm, maître de l’heure en Syrie, l’affaire était condamnée à l’échec. Il n’empêche que le zaïm du PSNS (PPS) se lança tête baissée dans une aventure où ses troupes, constituées d’éléments non aguerris, ne comptaient pas plus d’une centaine de volontaires. Attaquer des postes de gendarmerie à Mtein, à Haret Hreik et en d’autres points du territoire, chercher à investir la citadelle de Rachaya, autant de coups d’éclat qui pouvaient à la rigueur donner au zaïm l’occasion de lancer à la population un appel à l’insurrection générale, mais qui ne pouvaient aucunement mener à la prise du pouvoir !
Menée sur un terrain glissant, l’opération relevait plus d’un suicide que d’un coup d’État ou d’un putsch ourdi suivant les règles de l’art. Reste à savoir si le zaïm avait cédé à la pression de sa base, qui réclamait une riposte de taille à l’agression dont le PSNS et lui-même avaient été l’objet.
Pourquoi Husni al-Zaïm a-t-il livré Antoun Saadé à une mort certaine ?
L’homme du premier coup d’État en Syrie se révéla parjure en livrant Saadé aux autorités libanaises. Husni al-Zaïm savait pertinemment qu’il destinait le leader du PSNS à une mort certaine. Aurait-il agi ainsi sur un coup de tête, lui qui avait toujours eu un comportement erratique ? Les arguments ne manquent pas pour expliquer ou justifier ce coup de Jarnac.
Pour ma part, j’avance, sous toutes réserves, l’hypothèse suivante : Husni al-Zaïm, francophile qu’il était, aurait cherché à s’attirer les faveurs d’une France garante de l’entité libanaise indépendante. Antoun Saadé était l’ennemi déclaré des Accords Sykes-Picot et du dépècement de la Syrie naturelle en États indépendants. En extradant celui qui appelait à la fusion du Liban dans un ensemble géographique plus large, l’homme fort de Damas exprimait-il quelque part sa gratitude à cette France qui s’était mise à le ravitailler en armes pour équiper ses troupes ?
Pourquoi Béchara el-Khoury a-t-il couvert de son autorité un simulacre de procès et refusé la grâce présidentielle ?
Béchara el-Khoury était juriste de formation et de carrière. Il ne pouvait ignorer que le procès du séditieux était bâclé et relevait d’une parodie de justice. Pouvait-il invoquer la raison d’État pour procéder d’une manière aussi expéditive ? En fait, j’aurais tendance à croire qu’en lui refusant la grâce présidentielle, il allait faire d’une pierre deux coups.
Rappelons d’abord la situation qui prévalait à cette époque. D’une part, le président libanais n’était pas apprécié dans le camp chrétien largement francophile : on lui préférait de loin Émile Eddé. D’autre part, les élections législatives de 1947 avaient été largement truquées pour assurer aux partisans de Khoury des sièges au Parlement, ce qui fragilisait son régime. En ayant recours au peloton d’exécution, le président allait inspirer la crainte à ses détracteurs, tout en donnant des gages aux libanistes. Et de fait, il cherchait à rassurer ces derniers quant à ses convictions inébranlables en un Liban indépendant de l’ensemble syrien. Antoun Saadé, promoteur de la Grande Syrie, allait, à mon sens, être sacrifié sur l’autel d’une patrie libanaise définitive.
Nota bene
Les frontières avec la Syrie ont été et resteront poreuses. Et dans les deux sens. Notre « Hezbollah national » n’a-t-il pas fait le coup de feu à Qousseir, à Deir al-Zor comme à Alep ? Et ce faisant, n’a-t-il pas démarré une guerre de mille ans avec l’hinterland sunnite ? Bien fol serait celui qui le dénie !
Morale de l’histoire : le Liban n’est pas encore sorti de l’auberge syrienne !