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Culture - Exposition

Lumière sur l’invisible : le retour du duo Hadjithomas & Joreige à Beyrouth

Le tandem Joreige-Hadjithomas plonge dans les profondeurs pour en extraire une lumière enfouie. Entre art et archéologie, leur exposition au musée Sursock interroge les traces, les absences et les récits de l’invisible.

Lumière sur l’invisible : le retour du duo Hadjithomas & Joreige à Beyrouth

Avec « Remembering the Light » (Se souvenir de la lumière), le musée Sursock propose jusqu’au 4 septembre une exposition solo majeure de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Photo Christopher Baaklini/Avec l'aimable autorisation du musée Sursock

Elle s’identifie comme « Joana Khalil » et lui, sans doute, comme « Khalil Joana ». Le tandem d’artistes libanais, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, est fusionnel, on l’aura compris. Cette solidarité entre eux est forcément terrain d’osmose. Les idées circulent de l’un à l’autre, se stratifient, se développent, s’épanouissent et donnent lieu à de nouvelles bornes, de nouveaux embranchements. Dans leur discours commun le mot « recherche » est récurrent. Là est le moteur qui leur fait interroger, entre photographie, installations, vidéo et cinéma documentaire ou de fiction, la narration, la fabrication d’images et de représentations, la construction d’imaginaires et l’écriture de l’histoire. « Nous nous sommes toujours intéressés à l’imaginaire, par opposition à ce que l’on voit. Notre rapport à l’histoire nous a beaucoup obsédés », souligne Joana. En toile de fond de ce travail sans cesse en développement se déploie surtout le Liban, pays toujours incapable de livrer une lecture commune d’une grande partie des événements qui l’ont constitué.

Fragilités et persistances

Avec « Remembering the Light » (Se souvenir de la lumière), le musée Sursock propose jusqu’au 4 septembre une exposition solo majeure de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Couvrant des œuvres produites principalement entre 2016 et aujourd’hui, l’exposition rassemble des installations, des photographies, des films, des tapisseries, des vidéos et des sculptures. Elle explore le vertige de l’archéologie, les imaginaires construits, les fragilités et la persistance. Contre le tumulte extrême de ce début de millénaire, les artistes invoquent tantôt la poésie et tantôt nous invitent à regarder ce qui se passe sous nos pieds. Ils offrent du monde la vision d’un palimpseste à lire dans la matière même de la Terre.

« Remembering the Light », curatée par Karina el-Helou, directrice du musée Sursock. Photo Christopher Baaklini/Avec l'aimable autorisation du musée Sursock


« Remembering the Light » tire son titre d’une œuvre vidéo créée en 2016, dans laquelle les artistes, amateurs de plongée, ont expérimenté le spectre de la lumière sous l’eau et la luminescence qui fait surface dans ses profondeurs (« Si tu allumes une lumière dans les abysses et que tu la retires, le plancton se souvient de la lumière même quand elle a disparu », explique Joana. Et la lumière, dans cette exposition, vient toujours des profondeurs. « Avec la lumière, on recrée et réanime les objets, on leur redonne vie. Comme dans ce film Super 8 retrouvé dans les affaires de mon oncle, Alfred Kettaneh, disparu pendant la guerre. Il était pratiquement blanc, mais avec des images rémanentes qui sont réapparues quand on l’a décomposé en 4 500 photogrammes », détaille Khalil. C’est dans ce même esprit d’éclairage au plein sens du terme qu’émergent les prisonniers de Khiam, détenus plus de dix ans pour certains dans les conditions insoutenables de ce centre de détention israélien au sud du Liban, et qui retrouvent leur humanité grâce à des travaux qu’ils réalisent à base de cailloux et de noyaux d’olives. Encore une histoire d’émergence.

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De même, tout au long de l’exposition, Hadjithomas et Joreige convoquent une imagerie poétique pour parler du présent. Au cours du processus de création, ils ont initié une série de collaborations avec des géologues, des archéologues, des poètes, des plongeurs et des scientifiques – invitant à de nouvelles formes et manières de penser la matérialité, la réparation et la régénération.

« Cette exposition est une réunion de trois de nos projets les plus récents : Unconformity-Discordance, termes de géologie qui parlent de la mitoyenneté de strates qui ne sont pas supposées être continues ; I Stared at Beauty So Much, un vers de Cavafy qui couvre une recherche autour de la poésie sous forme d’installation textile et de film ; Museums Melancholy où est évoquée la prison de Khiam à travers un film que nous avons tourné en 1999 », détaille Joana Hadjithomas. « Cela faisait 13 ans que nous n’avions pas montré d’exposition en solo au Liban », souligne Khalil Joreige qui insiste sur l’importance de découvrir l’œuvre au sein-même d’un musée. « Le rapport d’échelle et de distance est fondamental pour nous, de même que la façon dont une œuvre est perçue par plusieurs sens en même temps », souligne-t-il. Le duo n’avait pas eu d’exposition en solo à Beyrouth depuis 13 ans, depuis la présentation de Lebanese Rocket Society au BEC, commissionnée par Christine Tohmé. Ils ne savaient pas alors à quel point les dévorerait leur obsession du passé, de la survivance, de la trace qui fait identité et de l’orthographe des villes et des tissus urbains.


Tsunamis, tremblements de terre, palimpseste du temps

« C’est comme un voyage qui nous arrive, relate Joana. Une vertigineuse traversée qui commence un jour où Khalil va voir Philippe Fayad sur un chantier. Philippe est un ingénieur qui effectue des carottages pour mesurer la friabilité des terrains à construire. À cet effet, il introduit des cylindres dans la terre pour en retirer des pierres qui sont ensuite analysées en laboratoire avant d’être jetées. On les a récupérés. » Ces cylindres de boue sont alors, par les soins du tandem d’artistes, déposés dans de grands cylindres de verre qui se transforment, aussitôt suspendus dans un bain de résine spéciale fabriquée à Madrid, en capsules temporelles. Des strates de terre brune ou rousse, blanche ou noire, sont extrêmement bavardes. Elles témoignent des récits des historiens, là le tsunami qui a interrompu la croissance urbaine, là un tremblement de terre, là le passage d’un conquérant ou l’autre, chacun laissant quelque chose de sa culture, débris de verre, de métal ou de poterie… « Comme une traversée du temps, en sondant l’émergence de mondes souterrains et invisibles », commente Joana. Ces œuvres évoquent des perspectives non humaines sur la matérialité, la mémoire, les villes, les histoires et les récits cachés – révélant ce qui a été enterré, oublié ou dissimulé dans un voyage vertigineux à travers le palimpseste du temps. « Quelque chose au niveau du médium qui interroge le médium lui-même », indique pour sa part Khalil, expliquant ainsi les détournements de la matière brute en représentations, tapisseries, images, projections, devenus la signature du tandem. « L’archéologie a interrogé notre façon de voir la réalité, de déplacer le regard, de voir, quand on regarde une pierre, non pas une pierre mais la trace d’occupations anciennes », ajoute-t-il.


Concert de soupirs

En forme de triptyque, cette exploration du passé ramène de proche en proche vers le présent tout ce que le temps semble avoir englouti. À travers différents artefacts comme les empreintes des sites que les archéologues relèvent en vitesse avant de fermer leur chantier, reproduites en tapisseries réalisées en collaboration avec le musée de Tilburg, ou ces statues antiques, sans têtes, photographiées dans un musée lors du tournage du film Izmirna et lentement agrandies au rythme d’un poème de Séféris qui parle de l’abandon, le tandem Joreige-Hadjithomas livre une œuvre chorale et bouleversante. « Remembering the Light » est d’autant plus percutante qu’elle a été conçue pour et dans le contexte libanais, en écho avec le musée Sursock qui est lui-même une émergence, reconstruit et rouvert après l’explosion du 4-Août. Le parcours s’achève avec une frise de regards en plan rapproché. Ces yeux sont accompagnés d’un code qui permet d’écouter les soupirs des personnes à qui ils appartiennent. Au final, un concert de soupirs orchestré par Joseph Ghosn et Charbel Habre qui contribue à l’intensité de cette exposition purement émotionnelle.


« Remembering the Light » Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, musée Nicolas Sursock, jusqu’au 4 septembre 2025.

Elle s’identifie comme « Joana Khalil » et lui, sans doute, comme « Khalil Joana ». Le tandem d’artistes libanais, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, est fusionnel, on l’aura compris. Cette solidarité entre eux est forcément terrain d’osmose. Les idées circulent de l’un à l’autre, se stratifient, se développent, s’épanouissent et donnent lieu à de nouvelles bornes, de nouveaux embranchements. Dans leur discours commun le mot « recherche » est récurrent. Là est le moteur qui leur fait interroger, entre photographie, installations, vidéo et cinéma documentaire ou de fiction, la narration, la fabrication d’images et de représentations, la construction d’imaginaires et l’écriture de l’histoire. « Nous nous sommes toujours intéressés à l’imaginaire, par opposition à ce que l’on voit. Notre...
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Le duo a aussi créé le film touchant et profond « Memory Box ».

Hacker Marilyn

17 h 53, le 18 juin 2025

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Commentaires (1)

  • Le duo a aussi créé le film touchant et profond « Memory Box ».

    Hacker Marilyn

    17 h 53, le 18 juin 2025

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