
Une scène du film « To a land unknown » de Mahdi Fleifel. Photo DR
Deux cousins palestiniens, Chatila (Mahmoud Bakri) et Reda (Aram Sabbah), quittent un camp de réfugiés au Liban, portés par l’espoir d’une vie non seulement nouvelle, mais surtout meilleure. Leur rêve : ouvrir un restaurant à Berlin, où la femme de Chatila – Nabila, restée au pays pour l’instant – tiendra la cuisine. Le duo – Chatila, la tête pensante, et Reda, le vulnérable – atterrit d’abord dans les bas-fonds d’Athènes, où, sous les yeux de la déesse Athéna, aucun garde-fou ne résiste à leur détermination. Drogue, vol, abus, prostitution, tous les moyens sont bons pour ces deux produits d’un exil permanent, celui qui marque au fer rouge le destin du peuple palestinien.
Chatila et Reda se débattent dans le labyrinthe des rues grises, hantés par l’urgence d’une fuite impossible. La capitale grecque devient un piège, où le temps s’étire – comme certaines scènes du film, d’ailleurs – dans l’attente d’un avenir incertain. Chatila, solide et rusé, porte le projet du café berlinois ; Reda, fragile, se perd dans ses addictions. Leur relation, souvent tendue, est aussi le moteur du récit, où l’affliction est parfois éclairée par une complicité familiale. Un clin d’œil aux buddy movies des années 1980 – 48 hours, Beverly Hills Cop, Midnight Run – que le cinéaste affectionne tout particulièrement.
Athènes-Berlin : une fuite sans retour
To a land unknown est le premier long-métrage produit et réalisé par Mahdi Fleifel. Présenté en première à la Quinzaine des cinéastes de Cannes en 2024, il sort jeudi 22 mai sur les écrans du Metropolis au moment où Israël intensifie son assaut sur Gaza.
Né à Dubaï, élevé dans le camp de réfugiés de Aïn el-Héloué au Liban, Mahdi Fleifel grandit auprès d’un père cinéphile, féru de films hollywoodiens parfois violents, qu’il regarde avec lui. Formé au Danemark et à la Cinéfondation de Cannes, il est diplômé de la National Film and Television School de Londres, où il vit et travaille. Le réalisateur, de toute évidence, vibre au rythme du déracinement. « Le destin des Palestiniens est de ne pas finir là d’où ils viennent, mais dans un endroit inattendu et lointain », affirme-t-il en ouverture du film, citant Edward Saïd.
Deux fois primé au festival du film Red Sea en Arabie saoudite, le film ne tombe jamais dans la complaisance – ni dans la violence gratuite. Il déploie une brutalité invasive qui tient le spectateur en haleine, non par une mécanique de thriller, mais par une tension constante liée à l’exil, opposée à l’attachement à une terre en détresse. Car l’Athènes que nous montre Fleifel n’a rien d’alléchant, et la situation des deux compères de misère, rien d’enviable. Mais la liberté est censée se trouver au bout du chemin. Mais de quelle liberté parle-t-on, et à quel prix ?
Cette liberté, Mahdi Fleifel la convoite autant qu’il la dénude dans le film. Finalement, elle n’est ni une fin en soi, ni une garantie de bonheur. Un propos corroboré par le rôle de Natacha, interprétée par Angelik Papoulia, qui dérive sur le fleuve de la vie à bord d’un esquif. Le spectateur de To a land unknown reste sur une corde raide, emporté par la dureté d’un polar qui puise dans la chronique humaine. Empathie et lucidité se côtoient dans ce récit, mettant en exergue l’errance d’un peuple dont le combat demeure individuel. Mais, dans le film, la tendresse n’est jamais loin, notamment lorsque la caméra de Fleifel s’attarde, le temps d’un instant de complicité et d’émerveillement entre les deux protagonistes, sur la majestuosité de la capitale grecque. La poésie non plus n’est absente, notamment celle de Mahmoud Darwiche, citée par Abou Love, dealer mélancolique.

Une œuvre politique sans pathos
Mahdi Fleifel signe ici une œuvre rude, portée par une mise en scène tendue, presque documentaire, profondément humaine, où l’exil broie les repères, la morale et jusqu’à l’identité. To a land unknown est un film éminemment politique dans ce qu’il donne à voir : les conséquences intimes et sociales de décennies d’oppression, d’errance et d’invisibilité. Il interroge ce que devient l’homme quand l’avenir se réduit à un document falsifié, et que survivre signifie souvent trahir ses propres principes avant de trahir les autres.
Des personnages réunis dans une noirceur dont l’ombre plane sur le film de bout en bout, mais qui continue de raconter l’errance de peuples en quête d’eldorados façonnés par le désespoir.