
Sam Lahoud, fondateur et directeur du Festival des femmes du cinéma de Beyrouth. Photo DR
Malgré les crises successives et les guerres qui frappent le Liban – en particulier les femmes, souvent maillon faible en temps de danger –, le Festival des femmes du cinéma entame aujourd’hui sa huitième édition. Mieux encore, il s’élargit, séduit un public plus large, aborde une diversité croissante de thématiques humaines et artistiques, et attire une sélection prestigieuse de films arabes et internationaux primés.
L’Orient-Le Jour a rencontré Sam Lahoud, fondateur et directeur du festival, pour évoquer cette édition, l’hommage rendu à l’actrice tunisienne Hend Sabri, et le rôle d’un événement qui milite pour un cinéma engagé en faveur des femmes.
Commençons par votre slogan, « Femmes pour le leadership ». Pourquoi le conserver année après année, alors que d’autres festivals changent de slogan à chaque édition ? Ne pensez-vous pas qu’il aurait fallu en changer après les lourdes épreuves subies récemment par les femmes libanaises ?
Bien sûr, nous y avons réfléchi. Mais nous estimons que l’un des défis majeurs de notre société reste la monopolisation du leadership par les hommes dans la sphère publique. Certes, les femmes dirigent avec brio des secteurs comme l’éducation, le commerce, l’ingénierie, le tourisme ou la médecine. Mais dans la sphère politique, leur présence demeure limitée : elles représentent souvent un homme – en tant qu’épouse ou fille de leader – sans mener véritablement leur propre trajectoire. Au festival et à la Beirut Film Society, nous croyons que l’accès des femmes aux postes de décision est essentiel pour impulser un changement, notamment au niveau législatif, exécutif et militaire. Peut-être envisagerons-nous un nouveau slogan si un véritable tournant s’opère sur le terrain. Pour l’heure, notre politique de sélection reste axée sur les portraits de femmes créatrices, leaders et progressistes, plutôt que sur des figures de victimes ou de passivité. Notre affiche incarne cet engagement, en mettant à l’honneur Zaynab Fawaz (1860-1914), pionnière de l’émancipation féminine.
L’affiche, dominée par des nuances de violet, porte de multiples symboliques : équilibre, passion, douleur, mystère... Quel sens avez-vous choisi pour représenter votre festival ? Et pourquoi avoir choisi Zaynab Fawaz ?
Zaynab Fawaz incarne pleinement notre philosophie. Elle a forgé son destin, brisé les normes sociales du XIXᵉ siècle, et ouvert la voie à d’autres femmes libanaises et arabes. L’affiche, créée par l’artiste Najwa Mallah, illustre une transition : du chaos vers le renouveau.
Notre logo originel – la déesse phénicienne Tanit, protectrice et symbole de fertilité – a cette année été fusionné avec l’image de Zaynab Fawaz, dans un style épuré mêlant destruction (fumée, ruines) et espoir (fleurs violettes, lumière).
Le Liban a traversé des crises majeures entre 2019 et aujourd’hui, du soulèvement populaire à la guerre. Comment cela se reflète-t-il dans les films libanais sélectionnés ? Et quels thèmes dominent plus largement ?
Notre visuel reflète déjà fidèlement ce que traverse le Liban. Beaucoup de films libanais racontent des parcours de femmes oscillant entre douleur, résilience et espoir, tentant de reconstruire au-delà des ruines. Zaynab Fawaz, originaire du Liban-Sud – une région marquée par les guerres et les déplacements – incarne cet esprit. Dans notre programmation, de nombreux documentaires libanais abordent directement ou indirectement les crises économiques, l’explosion au port, la guerre, ou encore l’émigration. Un exemple marquant : Yalla baba d’Angie Obeid, qui suit le voyage émouvant d’une fille et de son père, de Bruxelles à Beyrouth, entre souvenirs et redécouverte du pays natal.
À l’international, les thématiques font écho aux réalités libanaises : égalité des sexes, écologie, migration, famille, identité, paix.
Nous anticipons d’ailleurs qu’à l’avenir, beaucoup de films dénonceront l’injustice planétaire et la faillite morale des grandes organisations internationales.
Quels critères ont été retenus pour sélectionner les 100 films issus de 45 pays ? Quels sont les plus notables en termes de premières et de thématiques ?
Un comité composé d’artistes et de critiques a procédé à la sélection. Sur 1 500 films soumis, 300 ont été présélectionnés avant de retenir 100 œuvres finales. Nos critères incluaient : qualité de production, originalité du sujet, excellence du jeu d’acteur, traitement intelligent des personnages, rejet des stéréotypes, respect de la dignité humaine et traitement responsable des thématiques.
Enfin, il y avait aussi une part assumée de « coup de cœur » de la part des programmateurs et du jury.
Après huit années d’existence, quels résultats concrets peut revendiquer le Festival du cinéma de la femme de Beyrouth, sur les plans artistique, sociétal et public ?
Je ne prétendrai pas que nous avons accompli des miracles. Mais maintenir notre cap dans un contexte aussi chaotique est déjà une victoire. Depuis notre création en 2018, nous avons traversé l’effondrement économique, la pandémie, les guerres… sans jamais annuler une seule édition. Nous avons aussi lancé des initiatives telles que « Le Liban, pays ami du cinéma ». Aujourd’hui, notre festival est reconnu parmi les plus importants festivals du cinéma de la femme en Méditerranée et au Moyen-Orient. Nous avons tissé des partenariats solides avec plus de 40 festivals internationaux et représentons fièrement le cinéma arabe sur la scène mondiale. En 2024, nous avons atteint un taux de remplissage de 80 % des salles de projection.
Cependant, le projet « Le Liban, pays ami du cinéma » reste ambitieux : il nécessite une réforme législative, l’engagement du secteur privé et une politique culturelle structurée pour faire du cinéma un pilier économique national.
Cette année, vous rendez hommage à Hind Sabri, grande figure du cinéma arabe et africain. Pourquoi ce choix ?
Après avoir honoré des personnalités comme Ilham Shaheen, Wafaa Tarabay, Emmie Boulez, Takla Chamoun, Randa Kaadi ou Yousra, nous avons choisi Hind Sabri. Nous voulons célébrer des femmes qui allient talent, professionnalisme, éthique et engagement humain. La célébrité, en soi, ne suffit pas : c’est l’usage que l’on en fait qui compte. Hind Sabri incarne cet engagement véritable.
Nous distinguons également deux femmes remarquables : la Dr Jacqueline Maalouf, présidente du Rassemblement national du diabète, et Maïssa Bou Adal, entrepreneuse, pour leur leadership et leur contribution à la société.
*Le programme des projections, qui se déroulent jusqu’au 3 mai dans les salles du complexe Grand Cinemas ABC Dbayé, est à retrouver sur https://beirutwomenfilmfestival.com/