Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Échappée belle

Avril, mois de la céramique à Beyrouth

Comme aux temps victoriens des « Arts and Crafts », la céramique est aujourd’hui dans le monde entier une activité artistique en vogue, à la fois thérapeutique et rebelle. Beyrouth n’est pas en reste, avec plusieurs expositions en cours.

Avril, mois de la céramique à Beyrouth

Les pensées et hortensias en céramique de Myrna Bocti. Photo DR

On s’entendait déjà sur le talent des créateurs libanais dans l’industrie de la mode. On assiste à présent à l’éclosion d’une nouvelle excellence au pays du Cèdre, celle de la céramique. Signe de ce développement dont on observe la discrète avancée depuis une dizaine d’années, entre ateliers et symposiums notamment à Bkerzay, on voit se multiplier en ce mois d’avril à Beyrouth, sans se donner le mot, des expositions de céramistes qui rivalisent de poésie et de prouesses techniques. 

Une présentation collective réunit quatre créateurs jusqu’au 30 à la galerie Jacques Oueiss. Un duo d’artistes, Joëlle Salamé Mouawad et Myrna Bocti, animent enfin de leurs œuvres l’espace conceptuel Myran. 

Qu’ont en commun Toufic el-Zein, Nayla Sirgi, Rita Achkar et Dorine Dahdah ? Sinon la mise en conversation de leurs œuvres respective sous le toit de la galerie Jacques Oueiss*, tous sont passés directement ou indirectement par l’atelier de la céramiste Nathalie Khayat. Toufic el-Zein et Nayla Sirgi ont par la suite ouvert leurs propres ateliers. Si leurs styles diffèrent, du plus brutaliste au plus décoratif, leurs œuvres forment un ensemble organique inspiré de la flore. 

Les pièces de Toufic el-Zein à la galerie Jacques Oueiss. Photo DR

En plus de sept ans de recherche et de perfectionnement techniques, Nayla Sirgi trouve un aboutissement dans une série de vases travaillés en copeaux avec, dans les détails, des ondulations aquatiques, de poétiques effets de rosée ou de lichen. Ces plantes minérales cueillies au bord d’une rivière imaginaire imitent, dans leurs couleurs, les sous-bois moussus. Du blanc au noir, en passant par le vert céladon éclairé d’un trait d’or, le rouge vénéneux et le jaune gourmand, les laques réinventent un univers mystérieux qui laisse au spectateur le soin de l’explorer. 

Tout aussi organiques sont les œuvres de Rita Achkar, longtemps peintre sur porcelaine et réfractaire au travail de la terre, mais littéralement conquise dès ses premiers essais sous la direction de Nathalie Khayat. Tables, coupes et vases, surgis de son imagination une fois les techniques maîtrisées, comblent cette artiste qui se découvre démiurge et voit surgir la vie entre ses mains plongées dans la boue élastique. 

Rita Achkar, une technique maîtrisée. Photo DR

Dorine Dahdah, dont le galeriste Jacques Oueiss salue la « modestie », décline de joyeuses séries de minivases et soliflores que leurs coloris rafraîchissants n’empêchent pas d’être utilitaires. Ils sont au contraire destinés dès le départ à accueillir ce qu’ils ne peuvent posséder : la fraîcheur d’une fleur ou d’un bouquet.

Avec une solide formation universitaire en art graphique et un master en curation et critique d’art, né dans une famille d’éditeurs, Toufic el-Zein est plus connu comme galeriste, fondateur de l’espace Mission Art Gallery qui s’intéresse aux talents émergents. On le retrouve lui aussi les mains dans la boue, avec des œuvres surprenantes à travers lesquelles il tente de restituer, dit-il, « les émotions tranquilles de la faune et de la flore ». À l’arrivée, des pièces massives aux craquelures incandescentes, libérées de l’intention de l’artiste, expriment leur propre être-au-monde en complicité avec le vivant. À leur immobilité s’opposent de petits mobiles d’oiseaux confectionnés par l’artiste.

En guise d’arrière-plan à ces œuvres en terre et de la Terre, le jeune photographe voyageur Patrick Abraham Khabbaz, né en Californie, offre la vastitude des paysages aériens et des horizons ouverts où son objectif l’a porté, de l’île de Socotra aux confins de l’Islande.

Pied de lampe en raku, abat-jour vannier de Joëlle Mouawad. Photo DR

Pieds de lampes en raku et plats floraux pour conjurer la guerre

Tout aussi passionnante est la suite de ce parcours, un peu plus haut, rue Abdel Wahab, à l’espace Myran**, où l’art décoratif rejoint sa forme sublimée à travers les luminaires en raku de Joëlle Salamé Mouawad et les pensées et hortensias en céramique de Myrna Bocti.

Artiste touche-à-tout, Myrna Bocti s’intéresse aussi bien au produit organique qu’à la création de mode, les arts de la table et la peinture sur porcelaine. Les longues semaines de la dernière guerre la voient plongée dans la confection de céramiques joyeuses et pleines de couleur, comme une conjuration de la douleur et un désir irrépressible d’anticiper le retour des grandes tablées heureuses. Ses plats en forme de pensées de couleurs vives expriment malgré elle la violence du moment. À côté, des hortensias pastel apportent une impression de paix et de repos. 

Après avoir vécu 31 ans à Paris où, diplômée en architecture d’intérieur de l’école Penninghen et de l’École supérieure des arts modernes, elle réalise des projets pour Villeroy & Boch et travaille avec l’architecte et designer Michel Boyer, Joëlle Mouawad développe son propre style influencé par l’esthétique Art déco à laquelle elle est particulièrement sensible. Et c’est tout naturellement dans l’atelier de Nathalie Khayat qu’elle explore l’art de la céramique et s’en passionne, au point d’installer sa propre manufacture à la maison, tour et four compris. Elle prend alors le temps de réaliser ces formes sculpturales qu’elle transforme en luminaires, entre tentatives enthousiastes et ratages fatals dus aux caprices de la terre et du feu quand il leur arrive de ne pas s’entendre. Le résultat est une précieuse ligne de totems à la fois barbares et japonisants, synthèses d’un parcours éclectique dont découle son sens singulier quasi mystique de la beauté. Elle met à contribution deux grands architectes, Malek et Fadi Salamé, pour créer, l’un un système à coulisses permettant de mettre l’abat-jour à la hauteur désirée, et l’autre un système d’éclairage interne. Ferronnier, menuisier, vannier, abat-jouriste complètent l’ouvrage sur les indications de l’artiste.


*Galerie Jacques Oueiss , 250 rue Sélim Bustros, jusqu’au 30 avril inclus. Ouvert tous les jours de 10h à 18h.

**Myran Market, rue Abdel Wahab, du 15 au 18 avril inclus, de 16h à 20h.

On s’entendait déjà sur le talent des créateurs libanais dans l’industrie de la mode. On assiste à présent à l’éclosion d’une nouvelle excellence au pays du Cèdre, celle de la céramique. Signe de ce développement dont on observe la discrète avancée depuis une dizaine d’années, entre ateliers et symposiums notamment à Bkerzay, on voit se multiplier en ce mois d’avril à Beyrouth, sans se donner le mot, des expositions de céramistes qui rivalisent de poésie et de prouesses techniques. Une présentation collective réunit quatre créateurs jusqu’au 30 à la galerie Jacques Oueiss. Un duo d’artistes, Joëlle Salamé Mouawad et Myrna Bocti, animent enfin de leurs œuvres l’espace conceptuel Myran. Qu’ont en commun Toufic el-Zein, Nayla Sirgi, Rita Achkar et Dorine Dahdah ? Sinon la mise en...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut