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Culture - Entretien

Un nouveau festival de cinéma à Metropolis pour les récits « qu’on ne peut pas dire »

Du 11 au 19 avril, l’association dédiée au 7e art organise « Écrans du Sud », un événement qui souhaite transcender les frontières.

Un nouveau festival de cinéma à Metropolis pour les récits « qu’on ne peut pas dire »

Image tirée de « Green Line » de Sylvie Ballyot. Photo DR

« Ce qui est très triste, c’est qu’on a l’impression qu’on ne peut exister qu’à travers la reconnaissance de l’Occident », se désole Hania Mroué, en expliquant l’objectif du dernier-né des festivals organisés par l’association Metropolis, Écrans du Sud. La fondatrice et directrice du cinéma Metropolis, qui a créé une tribune pour les récits que l'on ne peut pas dire, un espace de résistance culturelle où le 7e art prend tout son sens, croit encore à la force de l’image. Écrans du Sud vise, comme son nom l’indique, à présenter les œuvres cinématographiques des pays du Sud. Cet espace d’échange et de partage entre cultures et identités s’affranchit des codes imposés et se tiendra du 11 au 19 avril. Pendant dix jours, plus de vingt films venant d’Afrique, d’Asie ou encore d’Amérique latine seront projetés. Cet évènement s’inscrit dans la continuité d’initiatives existantes, comme « Écrans du réel », consacré aux documentaires, ainsi que dans d’autres programmes à venir qui se dérouleront tout au long de l’année, animés par le même engagement pour les grandes causes.

Dans un monde ébranlé par les crises, la violence et l’injustice, il devient urgent de regarder ailleurs, de penser autrement, de chercher d’autres réponses…

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Pourquoi lancer ce festival aujourd’hui ? Et quelles en sont les dimensions politiques ?

L’idée ne date pas d’hier. Cela fait des années que nous réfléchissons à créer un espace dédié au cinéma arabe, avec une programmation politique et engagée. Le cinéma arabe est en plein essor, notamment le cinéma libanais. Font florès également, les nombreuses collaborations entre divers pays de la région, grâce à nombre de fonds liés aux festivals qui s’y tiennent.

Et pourtant, ces films, bien qu’ils atteignent les grands festivals internationaux, n’ont presque jamais leur place dans les salles au Liban. Il y a eu autrefois un festival qui m’est très cher, Ayyam Beirut el Cinema’iya (Les journées cinématographiques de Beyrouth), cofondé en 2000 par des amis, Eliane Raheb et Dimitri Khodr, et moi-même avec le soutien de Beirut DC devenu depuis Aflamuna…. Il a été un moment fort pour le cinéma à Beyrouth, mais il a malheureusement pris fin. Avec ce nouveau projet, nous avons eu envie de recréer une place pour faire revivre ce cinéma, tout en instaurant un dialogue entre notre cinéma régional et celui d’autres régions du monde, notamment celles qui connaissent les mêmes difficultés : instabilité politique, manque de moyens, censure...C’est un festival du Sud au sens large. Pas un Sud géographique, mais un Sud au sens politique et humain, c’est-à-dire des films qui portent des valeurs communes, des récits sociaux et intimes ancrés dans des réalités souvent invisibilisées. Nous croyons à cette quête, profondément politique.

Une image tirée du film « Rendez-vous avec Pol Pot ». Photo Dulac Distribution


Quels sont les partenaires qui financent ce projet ?

Cela fait déjà un moment qu’on élabore ce projet, mais l’idée a pris une autre tournure au moment où la guerre a commencé d’abord à Gaza et puis s’est étendue au Liban. Nous nous sommes retrouvés dans une sorte de désarroi, une forme de désespoir, à s’interroger sur ce qu’on pouvait faire face à une telle violence, et comment arrêter cette guerre, ce génocide… Or nous ne pouvons agir qu’à notre échelle, nous travaillons dans le cinéma. Est-ce qu’une programmation peut réellement faire quelque chose face à cette machine de guerre ? Mais nous n’étions pas seuls à se poser ces questions. C’est par hasard, lors de discussions avec des partenaires, Zawya en Égypte et CinéMadart en Tunisie, des salles indépendantes similaires à Metropolis au Liban, que le projet que nous avons appelé « Solidarity Screens » (Les écrans de la solidarité) a émergé. Il s’agit d’un projet commun, né de cette envie de donner la parole à des voix venant du Sud et qui pourrait s’étendre plus tard pour devenir un véritable mouvement. Le but est de bâtir plus de ponts par la programmation de films mais aussi, idéalement, à travers des rencontres avec des artistes de ces différents pays et créer des collaborations avec leurs institutions respectives.

C’est un projet qui rompt avec les critères occidentaux dominants longtemps considérés comme des repères, une sorte de boussole, et remet au centre d’autres modèles, plus proches de nos réalités. Cette vision partiale met en gros plan ce qui se passe en Europe et aux États-Unis, en oubliant les évènements qui ont lieu ailleurs. Il y a toujours eu cette idée qu’il fallait qu’on apprenne de leurs expériences en essayant d’imiter leur modèle et l’adapter à nos pays. La réalité est tout autre dans nos pays : cela crée un rapport de force qu’on le veuille ou pas et beaucoup de frustration. Nous avons présenté ce projet à AFAC (Arab Fund for Arts and Culture), qui a décidé de nous soutenir pendant trois ans. Pour compléter le financement, Aflamuna, qui a pour vocation première de promouvoir le cinéma arabe, a tout de suite adhéré au projet.

Scène du film « Inchallah a Boy » d’Amjad al-Rachid. Photo DR


Comment avez-vous construit la programmation ?

On voulait se libérer des codes des festivals classiques : pas de compétition, pas de tapis rouge, pas de course à la première mondiale. Ce qui compte pour nous, c’est que les films résonnent avec les problématiques actuelles à Beyrouth et dans la région et s’inscrivent dans une certaine complémentarité les uns avec les autres. Nous avons commencé par sélectionner les films arabes, parce qu’il est impossible de faire abstraction du contexte géopolitique : nous sommes un pays en guerre, ce n’est pas un détail. Nous souhaitons montrer ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe et ce à travers les réalités occultées dans certains pays et qui sont très peu médiatisées. Il fallait aussi créer un panorama du monde arabe, en montrant que ce qui s’y passe est profondément lié au reste du monde : un bon exemple, c’est le film brésilien I’m still here, qui vient d’obtenir un Oscar. Il raconte l’histoire d’une femme confrontée à la disparition de son mari sous la dictature. Le parallèle que l'on peut effectuer avec la guerre civile libanaise et la question des disparus est bouleversant. Ce film est comme une commémoration véritable des 50 ans du début de la guerre civile au Liban. C’est tout de même important de dire qu’un film brésilien présente de telles similitudes avec notre vécu en tant que Libanais. C’est aussi cela, ce festival : voir ce qui se passe ailleurs pour comprendre ce que nous vivons ici.

Autre exemple, Disorder (de Lucien Bourjeily, Wissam Charaf, Bane Fakih, Areej Mahmoud) qui est le résultat d’une fusion de quatre courts-métrages. Les réalisateurs sont jeunes, on retrouve dans leur œuvre beaucoup de fraîcheur et de créativité. Le film de Bane Fakih traite du soulèvement d’octobre 2019, celui de Lucien Bourjeily a beaucoup d’audace et d’humour tout en étant critique, tandis que celui de Areej Mahmoud est plutôt apocalyptique, dystopique et résonne avec ce qu’on est en train de vivre au Liban, dans la région et même dans le monde. Cette diversité de thèmes en fait un film qui représente un peu la génération de cinéastes libanais aujourd’hui et comment ils voient notre réalité.

Quels films recommandez-vous particulièrement à nos lecteurs ?

Difficile de choisir… mais s’il faut en retenir cinq :

1. Le film d’ouverture, I’m still Here de Walter Salles est d’une puissance rare. Cette femme, son visage, sa force… On ne l’oublie pas. C’est un film qui parle du Brésil mais qui touche au cœur de l’histoire libanaise.

2. Le film de clôture, To a land unknown de Mahdi Fleifel, suit deux jeunes Palestiniens, Chatila et Reda qui feront tout pour quitter la Grèce et rejoindre l’Allemagne afin d’y commencer une nouvelle vie. Constamment rejetés, ils se battront sans relâche pour se trouver une place au sein d’un système hostile.

3. The seed of the sacred fig  de Mohammad Rasoulof, un film iranien sur la corruption du pouvoir et la manipulation à travers l’histoire d’un homme honnête pris au piège du système. On en sort avec une meilleure compréhension de l’Iran. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est la manière de raconter les choses avec beaucoup de subtilité afin de contourner une censure potentielle parce qu’ils savent que le film peut très facilement être interdit. L’histoire est très simple, on a l’impression qu’elle ne dit rien de grave et pourtant, les différents niveaux de lecture que l’on peut avoir de ce film, politique, psychologique, sociale, en disent long sur la situation en Iran.

4.  La Noire de… de Ousmane Sembene, raconte l’histoire d’une femme sénégalaise contrainte de quitter son pays pour aller travailler dans une famille française. Elle déchante très vite : ses espoirs d’une meilleure vie à l’étranger ont été déçus puisqu’elle fait l’objet de mauvais traitements et de racisme. Ce film ne manquera de parler aux Libanais, les employées de maison étrangères souffrant souvent de ce genre de traitement, soumises au système de la kafala qui les prive de leur liberté.

5. Green Line de Sylvie Ballyot, est une autopsie de la guerre civile libanaise, un retour intime et douloureux à travers les yeux d’une femme qui a gardé un regard d’enfant par rapport au traumatisme vécu. Elle revient au Liban après des années d’absence et va à la rencontre d’ex-miliciens avec la ferme intention de les confronter et de les interroger sur leurs agissements pendant la guerre : vous rendez-vous compte des dégâts que vous avez causés ? Comment avez-vous pu faire ça ? Elle ne porte pas de jugement mais recherche juste des réponses ; elle voudrait comprendre. Ces miliciens tentent de répondre, mais la vraie réponse réside dans les non-dits et c’est cela la force du cinéma. C’est quand on comprend le drame à travers tout ce que les miliciens ne disent pas. Les réponses se trouvent aussi dans tout ce qu’on voit dans le film, à travers les questions de Fida, la protagoniste, et de l’impact de cette guerre sur une petite fille qui n’avait que 7 ans quand la guerre a éclaté. L’important aujourd’hui, ce n’est pas de raconter ce qui s’est passé pendant la guerre ni de porter un jugement sur les gens qui l’ont fait mais essayer de comprendre plutôt comment cette guerre continue à travers tous les traumatismes qu’elle a créés. Il ne nous reste plus que ces bribes en nous et c’est à nous de faire le puzzle en allant recueillir telle ou telle version… c’est ce qu’elle essaie de faire d’ailleurs avec la maquette dans son film. Il y aura également une installation à Beit Beirut qui accompagne cette projection. Elle propose une exposition qui reconstruit un certain récit. Un certain récit parce qu’il n’y en aura jamais un seul...

Ce festival s’adresse-t-il au grand public ?

Ce festival s’adresse à un public très large, il parle à tout le monde. Les films mettent en avant des histoires simples, accessibles et poignantes. À l’exception seulement peut-être du film Memoria de Apichatpong Weerasethakul, qui propose une expérience artistique et philosophique assez énigmatique et s’adresse donc à un public plus averti.

Réservations sur Antoine Ticketing. 

« Ce qui est très triste, c’est qu’on a l’impression qu’on ne peut exister qu’à travers la reconnaissance de l’Occident », se désole Hania Mroué, en expliquant l’objectif du dernier-né des festivals organisés par l’association Metropolis, Écrans du Sud. La fondatrice et directrice du cinéma Metropolis, qui a créé une tribune pour les récits que l'on ne peut pas dire, un espace de résistance culturelle où le 7e art prend tout son sens, croit encore à la force de l’image. Écrans du Sud vise, comme son nom l’indique, à présenter les œuvres cinématographiques des pays du Sud. Cet espace d’échange et de partage entre cultures et identités s’affranchit des codes imposés et se tiendra du 11 au 19 avril. Pendant dix jours, plus de vingt films venant d’Afrique, d’Asie ou encore d’Amérique...
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