
Les jeunes choristes d’Amwaj lors d’un spectacle à La Barcarolle de Saint-Omer en février 2024. Photo Fares S. Mansour
Amwaj est un programme éducatif basé sur l’enseignement du chant choral pour les enfants et les jeunes de 8 à 18 ans fondé en 2015 dans les villes de Bethléem et Hébron en Palestine par Mathilde Vittu, professeure française de musique, et Michele Cantoni, violoniste italien. Tous deux étaient au départ professeurs au Conservatoire Edward Said entre Jérusalem, Ramallah et Bethléem. Constatant que le pays ne disposait pas d’école chorale, la passion chevillée au corps, ils décident de fonder Amwaj. Animé par une équipe mixte d’éducateurs français et palestiniens, Amwaj permet aux enfants et aux jeunes d’accéder à un enseignement musical de qualité à travers un programme pédagogique intensif basé sur le chant collectif. Rencontre à Paris avec les deux fondateurs, animés du feu sacré de la musique et de la transmission.
Vous avez fondé cette école chorale pour aider les enfants palestiniens à faire face à la situation qui prévaut dans leur pays et pour leur donner le goût de la musique d’ensemble ?
Oui, c’est un projet qui se veut social, sans frais de scolarité, sans sélection à l’entrée, mais qui est très exigeant, dans la mesure où l’on demande aux enfants une présence de 4 à 8 heures par semaine, le tout basé sur le chant choral. Il n’y a pas d’apprentissage d’instrument. Mais nous enseignons également tout ce qui va autour du chant choral : le théâtre, l’expression corporelle, la déclamation, la poésie, les langues étrangères, la formation musicale. La seule exigence pour faire partie du chœur est d’être disponible et régulier.
Comment a été accueilli ce projet par les familles ?
Au départ, les enfants sont arrivés un peu au hasard, mais depuis dix ans que le projet existe, le bouche-à-oreille a porté ses fruits. Aujourd’hui, les familles sont très enthousiastes car elles y voient un lieu où les enfants peuvent apprendre un tas de choses complémentaires à ce qu’ils apprennent à l’école, mais surtout un lieu où ils peuvent se rencontrer. En Palestine, les écoles sont séparées entre garçons et filles, or la chorale est mixte. Se retrouver n’est pas toujours facile à cause des routes qui sont parfois coupées entre les différentes villes. Au chœur Amwaj, on retrouve des enfants de Bethléem, d’Hébron, de camps de réfugiés, de cadres sociaux différents, qui peuvent se rencontrer autour de la musique. Leur joie est surtout palpable au moment des concerts.
Le chœur Amwaj lors d’un voyage à Gênes en juin 2023. Photo Fares S. Mansour
Les familles ne considèrent-elles pas que le temps passé à Amwaj est du temps pris sur les études de leurs enfants ? En quelle langue se passe l’enseignement ?
C’est vrai, c’est un des grands défis du projet : faire comprendre aux familles que tout ce que font les enfants pendant le temps du chœur va leur servir pour leurs études. Ils apprennent la discipline au sens noble du terme, la concentration, l’organisation, la gestion du temps. Et puis, cela a été prouvé scientifiquement, les enfants qui font de la musique sont bien meilleurs en mathématiques que les autres. La musique apporte une structure pour les études générales et c’est ce que nous expliquons aux familles.
Principalement en arabe, langue que nous avons apprise, mais aussi en anglais quand nous avons des intervenants extérieurs. Il est important que les enfants entendent parler d’autres langues. Parfois même, il n’est même pas besoin de parler. La communication non verbale est très importante dans la pratique musicale, car elle permet de se concentrer sur l’écoute.
Quel est le répertoire du chœur Amwaj ?
Le chœur interprète un large éventail de répertoires, de la musique médiévale aux premières contemporaines, en passant par la musique du monde et les chants traditionnels arabes. Il a commandé et créé en France et en Palestine des compositions de Naji Hakim, Patrick Lama, Dina Shilleh et Moneim Adwan. Le répertoire est également choisi en fonction du niveau que le chœur atteint d’année en année, car il évolue.
Comment s’organise le travail ?
Nous avons plusieurs groupes. Aujourd’hui, au bout de dix ans, nous avons un groupe de cinq jeunes qui deviennent professionnels et qui sont en formation pour devenir chefs de chœur. Nous avons également un groupe de jeunes adultes d’une vingtaine de lycéens (entre 16 et 18 ans) qui sont là depuis plusieurs années et qui explorent le répertoire à plusieurs voix. La majorité des jeunes ont entre 11 et 15 ans. Et enfin les petits qui chantent un répertoire un peu plus facile. Nous avons également des activités de préparation au niveau des classes de jardin d’enfants, des activités hors les murs, notamment dans des orphelinats et des centres culturels. Toutefois, quand ils montent sur scène, les enfants sont tous ensemble, tous groupes confondus, quitte à ce que l’un ou l’autre interprète une pièce spécifique.
Comment recrutez-vous les enseignants ?
En Palestine, il y a d’excellentes écoles de musique, mais elles sont plutôt orientées sur les instruments, qu’ils soient orientaux ou occidentaux. Amwaj est le premier projet vocal d’envergure et Mathilde en est la principale intervenante. Il nous arrive toutefois d’inviter des professeurs étrangers pour des interventions ponctuelles. Aujourd’hui, nous avons une petite équipe de jeunes de 21-22 ans qui sont avec nous depuis le début, que nous formons et qui sont en mesure de devenir la nouvelle génération d’enseignants. Notre idée est que le projet s’implante et se perpétue.
Vous arrive-t-il de trouver des jeunes particulièrement doués et d’essayer de leur assurer une formation vocale plus poussée ?
Nous ne sommes pas très regardants sur la notion de « talent » ou de « doué », car la qualité musicale résulte plutôt du travail, de l’enthousiasme et de la régularité. Mais effectivement, nous essayons d’assurer des cours de technique vocale et nous sommes à la recherche d’intervenants extérieurs car il n’en existe pas sur place. Nous nouons des liens avec des écoles de musique, des conservatoires, des chœurs à l’étranger afin de pouvoir les accueillir pour quelques masterclasses. Récemment, nous avons accueilli un baryton suisse extraordinaire, Claude Darbellay, qui a travaillé pendant dix jours avec une quinzaine de jeunes de la section des barytons. C’était un moment de grâce. Les jeunes ont rarement la chance d’avoir devant eux quelqu’un qui leur explique comment marche leur « instrument ». Ils étaient fascinés.

Quel est votre modèle économique ?
Nous sommes bénévoles tous les deux et nous sommes soutenus par une fondation suisse, Les instruments de la paix, fondée par Metin Arditi et Élias Sanbar. Cette subvention, au bout de dix ans, touche à sa fin et nous sommes bien évidemment à la recherche de financements. Nous avons une association en France qui fait le relais avec quelques dons et nous faisons des tournées à l’étranger (France, Italie, Belgique…) pour lever des fonds. L’impact de ces tournées est énorme sur le chœur mais surtout sur l’opinion publique occidentale qui apprend à connaître les Palestiniens sous un autre jour. La perception occidentale de la Palestine est totalement faussée en Occident. Lors de ces tournées, les enfants rencontrent des jeunes de chœurs européens avec qui ils peuvent partager leur histoire. Ces tournées ne sont pas suffisamment médiatisées et nous avons besoin d’y travailler. Par ailleurs, nous avons commencé le processus d’enregistrer une association en Palestine pour pouvoir exister juridiquement, passer des contrats, des partenariats, etc. Et puis nous développons une idée : acquérir des appartements à Bethléem qui puissent constituer une source de revenus afin de pérenniser le projet.
Quels sont les prochains projets d’Amwaj ?
Nous fêtons nos dix ans et, cet été, nous allons essayer de rassembler tous les enfants qui ont participé au projet depuis sa fondation pour une grande série d’activités. Nous avons aussi une tournée en Italie et nous préparons pour juin 2026 une tournée en France.