Portraits Chibli Mallat

Du poète des Cèdres au héraut des Libertés

Du poète des Cèdres au héraut des Libertés

Si « le troubadour de la vérité », Chibli Mallat, fut dénommé « Le poète des Cèdres » pour son incarnation poétique du patrimoine symbolique de son pays et de sa terre, s’il était celui qui « siégeait sur le trône de la poésie comme les Cèdres sur les sommets du Mont-Liban », on peut dire de son petit-fils, « le lionceau » qui porte son nom, que cet héritage pesant, loin de l’entraver, lui aura donné des ailes. Des ailes pour mener des luttes idéalistes – certains diraient même donquichottesques – passant par la philosophie, le droit, l’histoire et la politique, mais visant toutes in fine un objectif unique, voire obsessionnel : celui de la liberté. Et la liberté ne possède-t-elle pas, elle aussi, depuis la Révolution française, pour emblème révolutionnaire, un arbre, « l’arbre de la liberté », symbolisant le renouveau, la fin de l’oppression et l’avènement de la République ?

Les arbres, du cèdre à l’arbre de la liberté en passant par le papier d’écriture qui en est le fruit, seraient dès lors une constante de la lignée des penseurs de la famille Mallat. Ses membres, portant tous de beaux prénoms arabes, Chibli, Wajdi, Tamer et Hyam, témoignent d’un ancrage solide dans l’arabité, jamais démenti depuis plus d’un siècle et publiquement revendiqué, loin de tout sectarisme ou repli identitaire ou confessionnel, sans compter une amitié séculaire à la fois culturelle et politique avec les Joumblatt.

Les arbres de vie sauvages et rebelles sont aussi ceux qui ombragent la maison familiale ancestrale faisant face au magnifique Sérail de Baabda, ancien siège de la Moutassarrifiya, reprise par Chibli, dans une appropriation symbolique de l’espace après celle, historique, du temps…

Celui qui vous ouvre la porte de sa maison – une maison de grand-mère aux fenêtres rouges qu’on dirait dessinée par un enfant – est-il lui-même resté un môme ? La bouille ronde à la Pierre Perret, le sourire malicieux, les yeux espiègles, la bouche gourmande, la tenue un peu débraillée comme s’il avait fait les 400 coups dans le jardin toute la journée, tout porte à croire que l’essayiste aux multiples ouvrages, le spécialiste de l’Iraq, du Fiqh islamique et des droits du Moyen-Orient, le professeur à Harvard, Yale, Berkeley et Princeton, sait aussi ne pas se prendre au sérieux et, comme un enfant, rire de tout, même de lui-même.

C’est qu’il y aurait, en réalité, dans ce parcours, non pas un, mais deux personnages : le premier, Chibli, est un gamin facétieux et rieur, et un rêveur invétéré  ; le second, Mallat, un cérébral, appréhendant le monde à travers les livres et un obsédé de la res publica. Enfant prodige, ce premier de classe qui maîtrise plusieurs langues dont le russe et le perse, serait capable, à la fois, de prononcer un discours en allemand devant le Bundestag et de réciter 6 000 vers du Mutanabbi ! Docteur en droit de SOAS, la prestigieuse École d’études orientales et africaines de l’Université de Londres et diplômé de Georgetown, il a mené une carrière académique fulgurante en tant que professeur de droit islamique à SOAS, professeur émérite à l’Université de l’Utah et titulaire de la première chaire Jean Monnet de l’Union européenne en droit européen au Moyen-Orient.

Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages portant sur des thèmes et des univers variés démontrant l’éclectisme de ses centres d’intérêt : ainsi, le droit islamique et les droits du Moyen-Orient constituent l’un de ses champs de réflexion privilégiés, avec Introduction to Middle Eastern Law, un survol historique des lois de la région dans leurs rapports à la fois au Fiqh en tant que droit commun et à la modernité à travers les systèmes juridiques occidentaux. La réflexion est encore approfondie dans l’ouvrage qu’il consacre au philosophe chiite exécuté en Irak en 1980, Mohammad Baker el-Sadr, relatif au renouveau du Fiqh et à ses effets sur l’Iran de l’après-Révolution. Il le consacrera comme le spécialiste du chiisme et, plus largement, du droit musulman.

Mallat est aussi considéré très tôt comme un spécialiste de l’Irak qu’il considère comme le pays-clé du changement dans cette région du monde. Cette fois-ci, il ne s’agit plus d’un simple intérêt académique de chercheur  ; dès 1991, il est l’un des fondateurs du Comité international pour un Irak libre dont l’objectif est de mettre fin à la dictature à Bagdad. Opposé à l’invasion de l’Irak, il œuvre à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en vue du déploiement d’observateurs des droits de l’homme dans le pays. Et n’hésite pas, en 1995, à lancer une campagne contre Saddam Hussein, à travers l’ONG INDICT, jetant les bases des procès contre le dirigeant bassiste.

C’est en effet en tant qu’avocat que Mallat s’engage dans des causes politiques, remportant des succès judiciaires retentissants : il en est ainsi du procès gagné devant les tribunaux libanais contre Mouammar Kadhafi, au profit des familles de Moussa el-Sadr et de ses compagnons disparus, ainsi que du jugement obtenu en 2003 contre Ariel Sharon dans l’affaire « Victimes de Sabra et Chatila ».

Pour autant, il ne néglige pas son propre pays. Ainsi, dans un petit ouvrage post-Révolution du Cèdre qu’il qualifie lui-même d’ « essai militant », intitulé March 2221 Lebanon’s Cedar Revolution : An Essay on Non-Violence and Justice, dédié à ses deux garçons Tamer et Wajdi « qui peuvent être à présent fiers du Liban », il s’attelle à l’analyse de « la signification de cette révolution à travers sa comparaison à l’historiographie de la Révolution française et l’étude du pouvoir de la non-violence et de la quête de la justice ».

Lorsque vous lui demandez – au-delà des causes innombrables pour lesquelles il a milité – comment il aimerait que l’on se souvienne de lui, la réponse fuse immédiatement : la non-violence ! Il est en effet l’auteur d’une « Philosophie de la non-violence » fondée sur l’étude de la révolution et de la justice par-delà le Moyen-Orient. Son cheval de bataille reste la lutte contre toutes les formes d’abus de pouvoir et de tyrannie par l’instauration de la démocratie et des droits de l’homme.

Ce parcours, somme toute classique, d’un descendant d’une lignée prestigieuse de lettrés et de juristes, formé à bonne école et disposant de tous les atouts pour réussir, qui chevaucherait, à son tour, avec aisance, les prairies du savoir et de la renommée intellectuelle, est cependant moins prévisible qu’on ne le pense. Le parcours linéaire connaît si ce n’est des ratés, du moins des stations inattendues, des pierres d’achoppement qui pourraient placer, sur l’idylle avec l’université, des points d’interrogation.

C’est que l’homme s’ennuie vite, abhorre les répétitions et les redites inhérentes à tout enseignement, est peu impressionné par le mandarinat et les flatteries de ses étudiants et constate – comme le Gekko de Wall Street – que plus rien ni personne ne l’étonne. Pire encore, cet assoiffé de savoir n’aurait, en définitive, presque rien à apprendre de ses élèves et même, à quelques exceptions près, de ses collègues professeurs.

Pourquoi pas la présidence de la République ? Lorsque vous lui en demandez la raison, fidèle à sa dualité, il commence par répliquer par une boutade, « c’est une maladie de maronite », avant d’exposer, plus sérieusement, une théorie platonicienne de la philosophie politique : la politique étant un art, celui qui dirige la Cité doit détenir la science de la politique, à savoir connaître le Bien et le Juste. Il doit donc être un philosophe : c’est le concept du « philosophe-roi », seul à même de gouverner bien.

C’est en 2005-2006, après la Révolution du Cèdre à laquelle Mallat a activement participé, plaidant pour la création d’un Tribunal international pour juger les assassins de Hariri et de ses compagnons – qui deviendra plus tard le Tribunal spécial pour le Liban – qu’il se présente à l’élection présidentielle. Il se rend, avec son équipe, dans plusieurs régions du Liban, militant pour « une présidence qui ressemble aux gens qui ont fait la révolution ». Son projet sera dénigré par beaucoup comme étant « chimérique » et « à l’américaine », du fait que le président au Liban n’est pas élu par le vote populaire. Il sera cependant soutenu par la diaspora libanaise, surtout aux États-Unis. La guerre de 2006 entre le Parti de Dieu et Israël sonnera le glas du rêve…

Pour autant, on retiendra de Chibli Mallat sa posture visionnaire, son imagination créative et son projet généreux, à son image, pour le pays du Cèdre. Cet apprenti poète ni modeste ni arrogant qu’un journaliste européen le visitant dans l’étude qui était celle de son père, le bâtonnier Wajdi Mallat, avait comparé à « un Jeune-Turc dans un bureau ottoman » est, en effet, à la fois un héritier et un novateur.

Et quel plus bel hommage pour notre héros que celui que lui rend en 2019 la plume impartiale et rigoureuse de Michel Hajji Georgiou, à l’occasion de la parution de son livre Boussole et autres journalismes : « Alors que le vieux monde se meurt et que le nouveau tarde à apparaître et que dans ce clair-obscur surgissent les monstres, comme écrivait Gramsci, l’un des gardiens du temple, celui de la raison, de l’ humanisme, de la non-violence et de la résistance culturelle contre tous les visages de la servitude est sans conteste aujourd’hui Chibli Mallat. »

Si « le troubadour de la vérité », Chibli Mallat, fut dénommé « Le poète des Cèdres » pour son incarnation poétique du patrimoine symbolique de son pays et de sa terre, s’il était celui qui « siégeait sur le trône de la poésie comme les Cèdres sur les sommets du Mont-Liban », on peut dire de son petit-fils, « le lionceau » qui porte son nom, que cet...
commentaires (2)

Quelle fierte’ pour le college notre Dame de jamhour et pour l exceptionnelle promotion millesime’e. 1977 “Altius , fortius virtus”

Robert Moumdjian

14 h 43, le 06 février 2025

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Commentaires (2)

  • Quelle fierte’ pour le college notre Dame de jamhour et pour l exceptionnelle promotion millesime’e. 1977 “Altius , fortius virtus”

    Robert Moumdjian

    14 h 43, le 06 février 2025

  • Il est bien plus que tout ca Nous. Collegues de classe et latinistes l ont connu brillant , delicat et de classe Ce pays Babanier ne le. Merite presque pas

    Robert Moumdjian

    14 h 23, le 06 février 2025

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