Sous un ciel d’hiver un brin frisquet, Coldplay a fait vibrer Abou Dhabi avec un concert grandiose, millimétré, certains diront même trop bien formaté. Le show pensé, étudié, marketé, était en effet intergalactique dans sa dimension politiquement correcte. Entre hits planétaires et scénographie futuriste, le célèbre groupe britannique a réchauffé les cœurs et dopé l’économie et l’ego locaux. Au stade Zayed Sports City, dans le cadre de la tournée mondiale Music of the Spheres de Coldplay, entre tubes planétaires, scénographie futuriste et une pincée de bonne conscience écologique, le spectacle a tenu ses promesses. Mais que reste-t-il une fois que les lumières s’éteignent ?
Il va sans dire que ce genre d’événement dépasse son aspect purement musical. Selon les chiffres officiels, les retombées économiques de ce concert dépassent les 30 millions de dirhams ou 8 167,665 millions de dollars. Un investissement colossal qui reflète l’importance stratégique de ces spectacles pour la ville, désireuse de renforcer son statut de capitale culturelle et musicale du Moyen-Orient. Hôtels pris d’assaut avec des prix qui ont grimpé de 30 % selon la presse locale, restaurants bondés, fans venus d’un peu partout de la région et bien au-delà…
Coldplay, de son côté, a empoché un cachet bien douillet de 30 millions de dollars pour ses quatre concerts dans l’émirat. « On appelle ça un « bon deal », pour reprendre l’expression d’un fan quinquagénaire. Proposés à des prix officiels allant de 195 à 3 980 dirhams (54 à 1 084 dollars), les billets des quatre concerts se sont arrachés en seulement 35 minutes. La folie Coldplay n’a laissé aucun répit, forçant certains fans à se tourner vers le marché noir où les places ont atteint des sommes astronomiques, jusqu’à cinq fois leur valeur initiale. Il semblerait que la musique a encore de beaux jours dans l’économie parallèle. Quoi qu’il en soit, cette effervescence reflète non seulement l’attractivité du groupe, « mais aussi l’efficace machine organisationnelle d’Abou Dhabi pour accueillir des événements d’une telle envergure », relève Sandra, une Libanaise de 44 ans.
Le grand retour
Coldplay et les Émirats, c’est une histoire d’amour écrite sous les projecteurs et parfois sous l’orage. Depuis son premier show qualifié alors d’« audacieux » à Abou Dhabi en 2009, trempé mais inoubliable, le groupe a accompagné l’essor impressionnant de la scène musicale abou dubaiote. Entre feux d’artifice, bracelets lumineux et confettis à gogo, son concert est devenu un événement mythique, comme celui du Nouvel An 2016. Après avoir illuminé l’Expo 2020, il est ainsi revenu en janvier 2025 à Zayed Sports City pour un show qui brille autant que ses fans, toujours aussi fidèles et survoltés.
Dès les premières notes de Higher Power, la foule a été happée dans l’univers de Coldplay. Les bracelets lumineux transformaient le stade en une nuée scintillante multicolore, chaque chanson étant accompagnée d’effets visuels instagrammablement bluffants. Des tubes emblématiques comme Viva la Vida et Yellow ont carrément électrisé le public, tandis que les morceaux du nouvel album Moon Music, comme Aurora et Echoes of Eternity, ont ajouté une touche « cosmique » à la soirée. Le clou du spectacle ? On hésite entre le final pyrotechnique impressionnant ou les al-salam alaykoum, al-hamdou lil’llah et autres choukran jazilan adressés par le leader du groupe Chris Martin qui « fait penser à Martine aux pays des arabes », ironise Malek, libanais francophone trentenaire. Mais le moment le plus poignant reste l’interprétation acoustique de Fix You. Martin, seul au piano, a suspendu le temps, offrant un instant de pure émotion à une foule silencieuse et captivée. Classique, mais efficace.
Un peu de douceur dans un show musclé
La chanteuse palestinienne Elyanna, qui a assuré le pre-show avec l’artiste de hip hop franco-zimbabwéen Shone, a rejoint Chris Martin pour leur chanson We Pray, ajoutant une touche de douceur féminine à la soirée. Drapée dans une minirobe blanche vaporeuse, elle a conquis le public avec sa voix envoûtante. Une belle manière de rappeler que Coldplay sait aussi partager la scène et se montrer solidaire d’un peuple qu’il a salué dans sa liste de pays à qui il a rendu hommage, en mentionnant également par ailleurs « nos frères israéliens » et s’empressant d’ajouter et « frères palestiniens », mais en omettant de citer les autres pays du Moyen-Orient comme le Liban ou la Syrie...
Derrière les paillettes et les confettis, le groupe reste fidèle à lui-même. Formé en 1996, Coldplay, c’est Chris Martin au micro, Jonny Buckland à la guitare, Guy Berryman à la basse et Will Champion à la batterie. Avec plus de 100 millions d’albums vendus, ils maîtrisent l’art des shows spectaculaires, même si certains les accusent de manquer de spontanéité. Mais après tout, pourquoi changer une formule qui marche ? Coldplay n’est pas seulement là pour jouer des chansons. Depuis 2019, il s’efforce de réduire l’empreinte carbone de ses tournées. À Abou Dhabi, cela s’est traduit par des générateurs solaires, des bracelets biodégradables et des initiatives de recyclage. Un bel effort, même si le jet privé reste difficile à justifier pour certains, tout comme les feux d’artifice qui ont laissé planer de gros nuages de fumée blanche au-dessus du public. Des grincheux dans le stade ? Oui, mais les fans conquis et ravis y étaient également par dizaines de milliers. « C’était comme toucher les étoiles ! » jubile Fatima, venue d’Arabie saoudite. Pour Ragi, 22 ans, de nationalité indienne, « il crée des mondes, pas juste des concerts », Et Chris Martin de répondre avec un sourire, s’adressant au public de différentes nationalités et races : « Vous êtes notre galaxie préférée. »
Un sans-faute ou presque
Si l’accès au stade a connu quelques embouteillages, la logistique globale a tenu la route. Entre sécurité bien rodée et initiatives écoresponsables, les organisateurs ont su gérer les foules et limiter les désagréments. Les prix élevés des billets restaient cependant un sujet de débat favori parmi les fans.
Si la soirée n’a pas réinventé la roue, elle a offert à des milliers de fans une évasion bien orchestrée. Après tout, qui peut dire non à un peu de lumière dans l’obscurité ? Il reste encore trois concerts à l’affiche. Donc 129 000 fans de plus qui verront des étoiles dans le ciel d’Abou Dhabi…