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Culture - 7e art

« Écrans du réel » à Beyrouth, le cinéma documentaire comme un miroir

Les 19es rencontres documentaires de Beyrouth commencent aujourd'hui vendredi 10 janvier au cinéma Metropolis et à la salle Montaigne.

« Écrans du réel » à Beyrouth, le cinéma documentaire comme un miroir

Le premier long-métrage bouleversant de Farah Kassem, « We are Inside ». Photo DR

Rien de tel pour célébrer la réouverture du cinéma de l’association Metropolis que la 19e édition du festival Écrans du réel qui se déroulera du 10 au 21 janvier. Les rencontres du cinéma documentaire, organisées par l’association Metropolis, offrent cette année une programmation riche aux films percutants et précieux. Tour d’horizon de nos coups de cœur et des films à ne pas manquer.

Pour mémoire

Metropolis est de retour à Beyrouth

Fenêtres ouvertes sur le pays

Le festival met à l’honneur plusieurs non-fictions sur le Liban à voir comme des échos, avec différents points de vue parfois et différentes manières de raconter toujours : c’est même le concept du film Letters conçu et produit par Josef Khallouf avec la participation de dix-sept cinéastes auquel nous avons consacré un article et qui ouvrira le festival. Citons aussi le documentaire Diaries from Lebanon de Myriam el-Hajj qui, en filmant le Liban de 2018 à 2022 à travers trois personnages, interroge l’espoir dans un pays sclérosé où le présent peine à advenir. Contretemps de Ghassan Salhab est lui une chronologie sur 5h45 des années qui commencent par le soulèvement de 2019 et se terminent par Gaza, expérience collective et individuelle d’élan et de deuil. Le festival propose aussi de belles découvertes, comme le premier long-métrage bouleversant de Farah Kassem, We are Inside, qui retourne à Tripoli après des années d’absence pour y retrouver son père vieillissant dans un appartement toujours empreint de la présence manquante de sa mère décédée. L’incompréhension mutuelle est touchante, tantôt amusée, tantôt agacée en dépit de nombreux efforts pour faire le lien. Alors, pour trouver une langue dans laquelle enfin rencontrer son père Moustapha, Farah rejoint le cercle de poètes dont il fait partie, un espace où se réunissent autour des mots un groupe d’hommes d’un temps arrêté. C’est alors que littérature et cinéma se mêlent pour créer, par l’image et par le verbe, la représentation magique du lien à l’écran, comme une étincelle qui apparaît sous nos yeux. Enfin, cette fenêtre sur le Liban est aussi celle ouverte par Karim Kassem avec Moondove, un film hybride, une fiction du réel, puisqu’il est interprété par les habitants du village dont il offre le récit et qui sont filmés par le réalisateur lui-même avec une sensibilité rare.

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Décortiquer le désastre

La programmation est aussi marquée par de nombreux films qui disent les catastrophes du temps (et souvent du Liban) en disséquant le réel parfois jusqu’à l’étrange. C’est le cas des courts-métrages du cycle « Stranger than Fiction » parmi lesquels il faut signaler le brillant Resilience Overflow de Lara Tabet, œuvre multiforme dans laquelle l’artiste, biologiste de formation, interroge notre condition en avalant – dans un contexte d’eau contaminée – une souche bactérienne génétiquement modifiée pour produire le neuropeptide humain Y, un gène lié à la résilience humaine. Une idée malicieuse pour interroger le concept de résilience comme prétexte politique. Ce retour au biologique pour approcher notre contemporanéité apparaît aussi dans les films qui seront présentés par l’association Reef le samedi 11 janvier dans l’après-midi, et dans les premières séquences du court-métrage Where No One Else Can See de Nasri Sayegh, un film à la fois espiègle et grave qui propose une réflexion sur l’image. Qu’elles soient pop, intimes, télévisuelles, scientifiques, d’Épinal, de Beyrouth ou d’ailleurs, ces images apparaissent et disparaissent, alternées avec de très grands caractères de texte comme autant de pistes de lectures que d’échappées poétiques. « De l’impotence de l’image », lit-on notamment : mais finalement, ce que nous montre Nasri Sayegh, film après film, c’est bien que l’image, si elle peut être montée, démontée, transformée, dévoyée jusqu’à dire le contraire de ce qu’elle voudrait dire, c’est aussi et avant tout parce qu’elle est puissance absolue d’expression. Ce que nous rappelle sa partialité et sa partiellité, c’est sa puissance initiale de sens brut : elle peut tout dire parce qu’elle peut dire. « Une photographie ne saurait faire office de document » annonce le film, c’est vrai, mais l’image est témoignage de vie : c’est bien là « l’empreinte corporelle » de Nasri Sayegh, la manifestation absolue de son âme, vivante jusque dans la disparition et dans l’apocalypse. Finissons avec un film dans lequel la poésie sert aussi à décortiquer l’intime : Embodied Chorus de Danielle Davie et Mohammad Sabbah, un film sur la vie avec une infection sexuellement transmissible, qui n’est pas uniquement d’un immense courage, mais qui sait aussi panser l’âme par son dispositif intelligent, généreux et politique où des acteurs se font la voix des récits de personnes malades, et les réalisateurs – par un grand don de l’image – illustrent leurs corps.

« Embodied Chorus » de Danielle Davie et Mohammad Sabbah. Photo DR

Une programmation engagée

Le festival suit aussi son temps avec une place importante accordée à des films dont les thèmes décoloniaux répondent aux enjeux du moment. Sera ainsi projeté l’acclamé Dahomey de Mati Diop qui retrace le rapatriement par le Bénin de vingt-six trésors royaux pillés par la France. Il interroge par là ce que ces restitutions disent des aspirations et représentations d’une population qui a dû évoluer avec la perte d’une partie de son patrimoine, lui confisquant de conserve ses récits et ses croyances. Un film dont on peut louer l’absence de didactisme qui laisse une place pleine à la réflexivité, comme le très précieux Coconut Head Generation d’Alain Kassanda, qui raconte comment, au Niger, les réunions d’un ciné-club se transforment en agora où s’aiguise une parole critique intersectionnelle pour aborder tant les luttes féministes que les problématiques des minorités ethniques du pays, les élections ou la décolonisation. Sur ce sujet, un autre grand film sera projeté le 19 janvier : A Fidai Film de Kamal Aljafari, œuvre visuelle et sonore sublime qui utilise les vidéos d’archives du Centre de recherche palestinien de Beyrouth spoliées par Israël en 1982 pour recréer un narratif à l’encontre des récits coloniaux et en faire émaner le peuple dont on a tout fait pour effacer l’histoire. Signalons enfin le passionnant Mahdi Amel Fi Gaza de Mary Jirmanus Saba et Tareq Rantis qui interroge à travers la pensée de Mahdi Amel le colonialisme au prisme du capitalisme et de la lutte des classes avec en fond cette question : quel est le rôle des images face à ce qu’il se passe à Gaza ? Quel peut-être celui des cinéastes ?

Cinéma du cinéma

Car c’est avant tout bien de cinéma qu’il est question dans ces rencontres du documentaire. De films qui portent en eux un ADN cinématographique fort mais aussi de films qui l’interrogent plus frontalement. Avec Cilama, comme dit dans le dialecte populaire, Hady Zaccak constitue image après image – il y en aurait mille – une mémoire collective de Tripoli et son rapport marqué aux salles obscures. Feyrouz Serhal part, elle, sur les traces de Maroun Baghdadi à Beyrouth, en mêlant au fil de ses pas la biographie du réalisateur et l’histoire du pays. Maroun Returns to Beirut est un film de l’individuel et du collectif, un film du cinéma. Celui-ci est bien de retour à Beyrouth et il impressionne par sa qualité.

Le programme complet du 19e festival Écrans du réel est à retrouver ici. 

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