Ce nouveau format, plus souple et plus accessible, a réussi à maintenir le pont entre les deux rives de la Méditerranée, – élargissant ses horizons pour recevoir, outre les auteurs français et libanais, des écrivains de tous les pays francophones – et à diffuser la littérature dans les librairies, les musées, les théâtres et au cœur même des villes, sans être conditionnée par l’achat d’un livre.
Le 8 octobre 2023, en cet après-midi de plomb, et alors que la deuxième édition du festival, couronnée de succès, touchait à sa fin sur la terrasse de l’École Supérieure des Affaires (ESA), la guerre s’annonçait, laissant Beyrouth suspendue entre l’espoir et l’angoisse. Depuis, l’IF, redoutant le pire mais refusant de se résigner, avait amorcé les préparatifs pour Beyrouth Livres 2024 qui devait se tenir du 21 au 27 octobre. Assez rapidement, la dégradation de la situation sécuritaire en été a imposé une révision complète des ambitions initiales et la mutation du festival en une saison littéraire a alors été envisagée. Témoignant d’une détermination inébranlable à soutenir la dynamique culturelle au Liban, avec un accent particulier sur la francophonie et le livre, l’IF travaille désormais à réactiver, au cours du premier semestre de 2025, certains des projets reportés, et L’Orient littéraire, convaincu plus que jamais que la culture reste essentielle en temps de crise, s’engage à mettre en lumière ces initiatives louables. Ainsi, nous nous penchons ici sur la deuxième édition du concours « Rêver le Liban » et l’exposition La Bibliothèque sensible qui posent, tous deux, les premières pierres d’une programmation qui s’enrichira progressivement et que nous aurons à cœur de partager avec nos lecteurs.
Les jeunes plumes au cœur de la résistance créative
Dès sa création, Beyrouth Livres a placé les jeunes au centre de ses préoccupations. Au cours de l’année écoulée, l’Institut français a accompagné la deuxième édition du concours « Rêver le Liban », lancé en 2022 à l’initiative de Riad Obégi, PDG de la Banque BEMO, en partenariat avec d’autres acteurs culturels, et permettant aux jeunes Libanais de partager leur vision d’un pays en quête d’avenir, malgré les épreuves du quotidien.
Cette année, le thème choisi, « Les jardins cachés de Beyrouth », a inspiré des lycéens et étudiants universitaires, venant des quatre coins du pays, à écrire des récits en français, en arabe, ou en anglais. Célébrant le plurilinguisme, cette initiative à envergure nationale, a introduit cette année une dimension visuelle aux récits, chaque texte étant accompagné d’une photographie.
Parmi les récits soumis, une participante raconte la relation intime entre une mère et son jardin dans une maison à Beyrouth. Un autre texte évoque le jardin Sursock, ravagé par l’explosion du 4 août 2020, témoin d’une romance interdite et dévoilée à travers une série de lettres datant des années 70, entre deux amants séparés par la guerre civile libanaise. Ces exemples, parmi tant d’autres, illustrent la diversité des regards portés par les jeunes qui ont su explorer les marques indélébiles laissées par l’histoire et les tragédies sur les lieux et les vies.
63 jeunes auteurs sélectionnés, dont 18 lauréats, verront leurs nouvelles publiées dans un recueil édité par la librairie Antoine, qui leur sera remis à la Salle Montaigne de l’Institut français, dans le cadre de Beyrouth Livres, le 18 janvier 2025, à 11 h.
Bien que la situation politique et sociale ait perturbé certaines dates, le concours se poursuivra en 2025, avec un lancement prévu le 13 avril et une cérémonie de remise des prix programmée pour le jour de l’Indépendance.
La mémoire des livres
Grâce au soutien de l’Institut français, l’exposition La Bibliothèque sensible trouvera son écrin à la Bibliothèque orientale, rue Monnot, en 2025. Inspirée du portrait saisissant de Georges Schéhadé, réalisé par le photographe Varoujan Sétian, où l’écrivain semble dévorer un livre, cette installation, signée Caline Aoun, explore l’idée du livre comme objet vivant, à la fois physique et symbolique.
La réflexion de l’artiste s’est d’abord tournée vers l’assimilation entre la lecture et la digestion, un thème évoqué par de nombreux écrivains, dont Francis Bacon qui affirme : « Il y a des livres dont il faut seulement goûter, d’autres qu’il faut dévorer, d’autres enfin, mais en petit nombre, qu’il faut, pour ainsi dire, mâcher et digérer. » Cette classification qui distingue différents niveaux d’engagement envers les écrits, a poussé Aoun à magnifier cette interaction intime entre le lecteur et l’objet.
La Bibliothèque sensible se déploie autour d’une immense plaque réalisée à partir de pulpe de pages de livres collectés, matérialisant l’accumulation de savoirs au fil du temps. Monumentale et poétique, elle dialogue avec des citations d’auteurs libanais, poncées sur les tables de la bibliothèque, et célèbre non seulement le contenu des ouvrages, mais aussi leur matérialité : les plis, les marques, les annotations qui habitent les pages et qui témoignent de notre communion physique et intellectuelle avec les livres… Autant de traces humaines que le numérique ne saurait reproduire.
Cette exposition permanente dont le vernissage est programmé pour le samedi 1er février 2025, à 11 h, est une invitation à redécouvrir l’essence tangible du livre et son pouvoir intemporel. Une œuvre où chaque détail murmure l’idée que, parfois, le silence des pages résonne plus fort que les cris du monde.