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Culture - Littérature

« Les rois des Arabes », ou quand Amine Rihani rêvait d’« États-Unis d’Arabie »

En 2024 est célébré le centenaire de « Rois des Arabes », ouvrage iconique d’Amine Rihani, le philosophe de Freiké qui a imaginé un monde arabe sur le modèle fédéral américain.

« Les rois des Arabes », ou quand Amine Rihani rêvait d’« États-Unis d’Arabie »

Amine Rihani (à gauche), avec le roi Abdel-Aziz d'Arabie saoudite au début des années 1920. Photo Organisation Amine Rihani

En 1924 paraissait aux Presses scientifiques, à Beyrouth, un traité politique sous forme d’un journal de voyage : Moulouk al-Arab (Les rois des Arabes), écrit par Amine Rihani au fil d’un périple à travers la péninsule Arabique. Centenaire cette année, Moulouk al-Arab a été un succès d’édition tel, qu’il a bénéficié à ce jour d’au moins huit réimpressions dont la dernière date de 2016. Rihani y analyse les mécanismes d’une possible réforme en vue d'une union des Arabes qui leur permette de peser politiquement et économiquement sur la scène internationale, s’appuyant sur leur culture spécifique et la richesse de leurs territoires en hydrocarbures.

Le point de vue du migrant

Auteur prolifique de près de soixante-dix ouvrages, Rihani est une des grandes figures des écrivains du Mahjar, mouvement littéraire qui réunissait les penseurs arabes établis aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Cet écrivain libanais de l’émigration ne cesse de s’interroger sur l’identité écartelée de l’étranger. Dans son premier best-seller, Le Livre de Khaled, tout premier roman d’un Arabe écrit en anglais, paru en 1911, il expose le point de vue d’un migrant arabe sur la civilisation américaine. Une tentative de fusion culturelle où l’on voit Khaled, le héros, désillusionné par le matérialisme et l'expérience de l'immigration à New York, retourner au Liban où il devient réformateur, essayant d'apporter des changements politiques et sociaux dans son pays. Rihani est dès lors considéré comme le père fondateur de la littérature arabo-américaine.

En mer ou à dos de chameau

Des années de réflexion et de maturation conduisent ensuite l’auteur à réfléchir à la possibilité de fonder des « États-Unis d’Arabie ». À cet effet, lui qui est doublement étranger et qui n’a connu le monde arabe qu’à travers les contes effrayants des nourrices ou les ouvrages d’orientalistes comme l’historien écossais Thomas Carlyle ou l’Américain Washington Irving, ressent la nécessité de livrer un récit écrit par un Arabe sur cet univers méconnu dont il est issu. Il prend donc son bâton de pèlerin et s’en va explorer, dans des conditions parfois dangereuses, cette partie claire-obscure de la mappemonde que sont encore à cette époque le Hijaz, l’Aden, le Yémen, l’Asir, Bagdad, le Najd, le Koweït ou la Palestine. Pour se dépouiller de son filtre orientaliste, il décide d’aborder la civilisation arabe à travers un voyage intérieur avant d’en traverser la géographie. Il se verse dans la lecture des écrivains et poètes arabes majeurs, notamment les préislamiques, et c’est un livre sous le bras qu’il s’y rend, ce livre rythmant son périple en mer ou à dos de chameau. Cet ouvrage mystérieux – on le découvre au fil du récit – est le recueil des Luzumiyyat du poète Abou Alaa al-Ma'arri.

Amine Rihani en costume saoudien. Photo Organisation Amine Rihani

Le premier pont entre le Liban et l’Arabie saoudite

Dans le premier tome de cet ouvrage écrit en arabe à l’intention d’un public arabe, l'auteur évoque sa rencontre avec, outre le roi Hussein ben Ali, l'imam Yahya ben Hamid al-Din du Yémen, al-Sayyed al-Idrisi d'Asir. La seconde partie, qui a pour titre « L’histoire moderne du Najd », aborde, au seuil de sa conquête du Hijaz, la vie du roi Abdelaziz al-Saoud et son entreprise d’unification et de réédification de l’État saoudien (qui sera achevée en 1932), mais aussi Ahmad al-Jaber al-Sabah du Koweït, la famille al-Khalifa de Bahreïn et Fayçal Ier d'Irak.

Le premier dirigeant avec lequel Rihani établit un contact est donc le chérif Hussein de la Mecque, souverain du Hijaz. Il lui parle de son projet, et Hussein lui propose un parcours à travers lequel Rihani voit se dégager trahisons et rivalités entre les différents dirigeants de cette région, notamment celle de Hussein avec le roi Abdelaziz Ibn Saoud, fondateur de l’Arabie saoudite moderne. Ces rivalités qui atomisent la région et l’affaiblissent face aux puissances coloniales inquiètent Rihani qui va dès lors utiliser sa double culture et sa réputation comme un soft power pour convaincre les souverains arabes, dont il a l’oreille, d’œuvrer à faire bloc face aux pressions et tentations étrangères. Une amitié sincère se noue entre lui et Ibn Saoud. Aujourd’hui encore, l’Arabie saoudite date le début de ses relations chaleureuses avec le Liban de l’époque où Rihani a jeté le premier pont entre les deux pays.

Dans nos archives

A. Rihani, le philosophe de Freiké qui avait l’arabisme au cœur

« À un pas de la civilisation »

Au-delà de la chaleur de l’accueil et de la profondeur de ses conversations, toujours émaillées d’humour, avec les souverains arabes de son époque, Rihani détaille dans ce récit de voyage ses tentatives de convaincre, en fervent nationaliste révolté contre la répression ottomane des indépendantistes en 1917, de l’importance non seulement d’une unité arabe mais aussi d’un panarabisme laïc et citoyen. Ce faisant, il lève les préjugés tenaces contre des sociétés en lesquelles l’Occident ne voit déjà que bédouins farouches, cavaliers et éleveurs de chameaux et de bétail, et met en lumière la littérature et les sciences ainsi que la connaissance du monde dont ces caravaniers ont été précocement imprégnés. Maniant le pinceau presque aussi bien que la plume, Rihani illustre les deux volumes de ce récit de voyage avec des cartes et des dessins qui les rendent accessibles et vivants. Parmi les anecdotes savoureuses – et néanmoins philosophiques – de cette œuvre, Rihani raconte que lors de sa première rencontre avec Abdelaziz, qui avait signé quelques années plus tôt en 1915 un traité de protection avec les Britanniques, ce dernier lui avait dit, en l’accueillant en son modeste palais, qu’il ne se trouvait qu’« à un pas de la civilisation ». Ayant pris le café dans un majlis traditionnel à l’heure du thé, il n’y avait en effet qu’un pas à franchir pour se retrouver dans un salon contigu meublé à l’occidentale avec des tables et des fauteuils tapissés !

Grand communicateur, Rihani a fait également figure de pionnier par son recours aux médias, aux radios et aux prises de parole publiques, publiant des tribunes dans des journaux libanais et égyptiens et conseillant notamment le roi Abdelaziz dans ses discours. Leur amitié durera plus de vingt ans, leur correspondance ne s’arrêtant que peu avant la mort du roi.

Le musée Amine Rihani à Freiké (village dans le Mont-Liban). Photo Organisation Amine Rihani

New York à douze ans

Le patrimoine intellectuel légué par Rihani, surnommé « le philosophe de Freiké » est aujourd’hui préservé dans ce petit village du Metn, dans la magnanerie et la maison familiale transformées en musée par l’Organisation Amine Rihani. Fils d’un soyeux aisé, Amine Rihani, qui a fait ses études à l’école paroissiale, avait en effet été envoyé à 12 ans par son père avec son oncle à New York pour prospecter le marché américain. Son goût des études et du théâtre, ajoutés à l’ambiguïté de son statut d’étranger, le poussent à l’exploration de la notion d’identité et, avec ses camarades écrivains du Mahjar, dont Gebran Khalil Gebran, à une quête de l’excellence et une reconquête de la fierté arabes, entre langue et culture. Il décède en 1940, à l’âge de 63 ans, des suites d’une chute à bicyclette.

À l'intérieur du musée Amine Rihani à Freiké. Photo Organisation Amine Rihani


En 1924 paraissait aux Presses scientifiques, à Beyrouth, un traité politique sous forme d’un journal de voyage : Moulouk al-Arab (Les rois des Arabes), écrit par Amine Rihani au fil d’un périple à travers la péninsule Arabique. Centenaire cette année, Moulouk al-Arab a été un succès d’édition tel, qu’il a bénéficié à ce jour d’au moins huit réimpressions dont la dernière date de 2016. Rihani y analyse les mécanismes d’une possible réforme en vue d'une union des Arabes qui leur permette de peser politiquement et économiquement sur la scène internationale, s’appuyant sur leur culture spécifique et la richesse de leurs territoires en hydrocarbures.Le point de vue du migrantAuteur prolifique de près de soixante-dix ouvrages, Rihani est une des grandes figures des écrivains du Mahjar, mouvement...
commentaires (2)

Il n'est effectivement pas interdit de repenser le panarabisme, malgré tous les fléaux contemporains que subit le Proche-orient. (je fais ma sortie du jour...après j'arrête de vous saouler l'olj). Et je m'étonne de ne pas voir encore, chez la jeune garde, de plume assez acérée pour traiter l'avenir du Liban, sans s'emparer de la question Palestinienne. Car c'est bien une tragédie: on traite ce coin du monde à Gaza comme de l'ordure, et la solidarité qui va de paire avec une vision culturelle et politique, n'est pas vue comme devant être nécessaire et essentielle pour la paix dans le région.

Azia

17 h 39, le 30 octobre 2024

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Commentaires (2)

  • Il n'est effectivement pas interdit de repenser le panarabisme, malgré tous les fléaux contemporains que subit le Proche-orient. (je fais ma sortie du jour...après j'arrête de vous saouler l'olj). Et je m'étonne de ne pas voir encore, chez la jeune garde, de plume assez acérée pour traiter l'avenir du Liban, sans s'emparer de la question Palestinienne. Car c'est bien une tragédie: on traite ce coin du monde à Gaza comme de l'ordure, et la solidarité qui va de paire avec une vision culturelle et politique, n'est pas vue comme devant être nécessaire et essentielle pour la paix dans le région.

    Azia

    17 h 39, le 30 octobre 2024

  • A propos du projet politique d'un Etat fédéral des pays arabes, il faut rappeler le livre publié en français, en Octobre 1925 à Alep, par Edmond Rabbath, Docteur en droit, Licencié ès lettres, Diplômé de l'Ecole des Sciences Politiques à Paris, dont le titre éloquent : " Les Etats-Unis de Syrie " , fut des années plus tard qualifié par son auteur d'un péché de Jeunesse ! Dr Raymond Melki

    MELKI Raymond

    16 h 12, le 28 octobre 2024

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