Le point de vue de... Le point de vue de Youssef Mouawad

A-t-on trop vite condamné Israël ?

A-t-on trop vite condamné Israël ?

D.R.

L’État hébreu peut-il se targuer d’avoir l’armée « la plus morale du monde » ? Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah, avait tenté de répondre à cette question lancinante dans son film Tsahal. Ce documentaire de cinq heures qui remonte à 1994, avait suscité en son temps des polémiques. Il fut jugé « tendancieux et même apologétique par ses détracteurs… » et on lui reprocha son manque de distance vis-à-vis du discours tenu par l’armée israélienne sur elle-même.

Il ne suffit pas de dire que tout soldat ou gradé israélien a le droit, voire l’obligation, d’enfreindre un ordre immoral ou criminel, pour se faire accorder un satisfecit onusien. Que des pilotes aient refusé dans certains cas précis de bombarder des zones civiles densément peuplées est certes louable, mais ne peut pour autant disculper l’armée d’Israël de certaines accusations. Car des preuves de ses transgressions ont été fournies par des sources indépendantes, et ces preuves l’accablent.

Or l’État hébreu n’en a cure. Et il ne se prive pas de faire publiquement fi des critiques et protestations internationales devant tant de dévastation humaine et matérielle à Gaza.

La doxa et l’amère réalité

Les laudateurs et autres apologistes de l’armée de défense israélienne prétendent que celle-ci est impeccable sous tous rapports. Et pour cause, la morale qui l’anime se « reflète dans sa composition : hommes, femmes, juifs, musulmans, chrétiens, laïques et religieux, membres de la communauté LGBT, toutes et tous servent dans ses rangs selon le même statut égalitaire. À cela se greffent les valeurs du judaïsme et du sionisme, celles de la « pureté de l’arme » (Tohar HaNeshek), du respect de la dignité humaine (Kvod HaAdam), de la responsabilité personnelle, de l’intégrité et du professionnalisme » (Raphaël Jerusalmy, « Tsahal, l’armée la plus morale au monde » in Le Figaro, 15 nov. 2023).

Toutes ces données peuvent instruire ou enrichir une discussion académique et théorique, mais elles constituent à l’évidence un plaidoyer pro domo. Et c’est à se demander si, en pratique, ces principes ne seraient pas violés à la première occasion. Quand le rapporteur spécial des Nations Unies Mary Lawlor nous signale que, dans les quatre premiers mois de la guerre à Gaza, le nombre d’enfants tués atteint les douze mille, chiffre qui dépasse le nombre de tous les enfants du monde tombés lors de tous les conflits de ces quatre dernières années, que dire ? Car il faut admettre, d’après la même source, qu’en l’espèce le concept de proportionnalité a été largement bafoué, alors même qu’il constitue un pilier du droit de la guerre et qu’il est de l’essence de l’article 51 du premier Protocole additionnel de 1977.

Il n’empêche que la propagande israélienne n’arrête pas de nous assener sa vérité. L’Occident, cuvant sa culpabilité qui remonte à la Deuxième guerre mondiale, n’a jamais jugé utile de mettre en doute l’assertion quant à la moralité de cette armée d’occupation. Quoique, depuis un moment, on commence à se poser des questions et à réfuter ladite affirmation dans les cercles diplomatiques, à la lumière des rapports soumis par certaines ONG qui n’ont pas froid aux yeux.

L’occupation et ses dommages collatéraux

Comme n’a pas manqué de le rappeler la Cour internationale de Justice (CIJ), le vendredi 19 juillet, l’occupation par Israël de territoires palestiniens depuis 1967 est « illégale » et devrait « cesser le plus rapidement possible ». Et même si cet avis, rendu par la haute juridiction de l’ONU n’est pas contraignant, il n’empêche qu’il met l’État hébreu au ban des nations et le dénonce au mépris des peuples libres. Car toute occupation est impie et pernicieuse  ; elle déchaîne les instincts les plus sauvages et pave la voie à la transgression et à la profanation. Nulle armée d’invasion ne peut échapper à cette tentation de réduire l’adversaire, de l’avilir et, ce faisant, de le déshumaniser. Et tant qu’il y aura un occupant et un occupé, il y aura propension à assujettir autrui. Les troupes françaises ont souvent eu recours à la « gégène » (abréviation pour dire torture électrique) et à la corvée de bois (expression qui désignait, lors de la guerre d’Algérie, les exécutions sommaires des prisonniers par les soldats) : les opérations de maintien de l’ordre ne furent pas toujours à l’honneur du pays de la Révolution et des Droits de l’homme. Mais que faire quand nulle armée ne peut échapper à cette fatalité ni à cette malédiction ? Qui n’a pas en mémoire les images des détenus à la prison d’Abou Ghraib quand, dénudés, ils étaient assaillis par les chiens de leurs geôliers américains ? Et puis, et surtout, n’oublions pas l’Armée rouge qui a sauvé le monde de l’emprise nazie, mais dont les soldats se transmuèrent en violeurs de femmes, dans les régions de l’Est de l’Allemagne. Leurs chefs les avaient laissé faire pendant de longs mois !

Et l’Occident alors ?

Il nous semble que non seulement la moralité d’une armée ou d’une politique doit être mise en cause pour frappes indiscriminées, mais également la moralité des pays qui fournissent lesdites armes létales. Jusque-là, les nations occidentales qui approvisionnaient Israël en munitions s’étaient contentées de condamner les excès de l’État hébreu et de lui suggérer la modération. C’est ce qu’on désigne en langage diplomatique par le « lip service ». Le général De Gaulle, en son temps, avait été plus réactif. Au lendemain de la guerre de juin 1967, il ordonna un embargo sur la vente des armes françaises à destination de tous les pays belligérants du Moyen-Orient, histoire de prendre du recul et de ne pas attiser les conflits.

Joe Biden ne sera pas l’émule du fondateur de la Ve République. Alors quand son secrétaire d’État, Antony Blinken, eut déclaré il y a quatre mois que « beaucoup trop de Palestiniens avaient été tués », on s’était demandé à quoi il voulait en venir. À quoi aurait servi cette constatation si ce haut responsable ne prenait des mesures pratiques pour empêcher la poursuite du massacre ? Et l’on s’était posé la question de savoir s’il faisait le rapport entre fourniture d’armes américaines et ampleur du carnage.

Si les États-Unis ne décident d’un strict embargo sur les munitions et les armes, ils ne pourront faire entendre raison à Netanyahou. Tout le reste est littérature et coups d’épée dans l’eau.

L’État hébreu peut-il se targuer d’avoir l’armée « la plus morale du monde » ? Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah, avait tenté de répondre à cette question lancinante dans son film Tsahal. Ce documentaire de cinq heures qui remonte à 1994, avait suscité en son temps des polémiques. Il fut jugé « tendancieux et même apologétique par ses détracteurs… » et...
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