Un policier bangladais tirant des obus lacrymogènes pour disperser des manifestants anti-quota lors d'un affrontement à Dhaka, le 19 juillet 2024. AFP/ ABU SUFIAN JEWEL
Plus de 500 personnes, dont des dirigeants de l'opposition, ont été arrêtées au Bangladesh où le mouvement étudiant à l'origine de manifestations réprimées qui ont fait 163 morts a annoncé lundi la suspension sous conditions des protestations.
"Nous suspendons les manifestations pour 48 heures", a déclaré à l'AFP Nahid Islam, chef de file du principal mouvement organisateur des manifestations, Students Against Discrimination, demandant au gouvernement "de lever le couvre-feu pendant cette période, de rétablir l'accès à internet et de cesser de s'en prendre aux manifestants étudiants". Des manifestations contre les quotas pour le recrutement dans la fonction publique, vus comme favorisant les proches du parti au pouvoir, ont dégénéré en la pire vague de violences depuis que la Première ministre Sheikh Hasina est arrivée au pouvoir il y a 15 ans. "Au moins 532 personnes ont été arrêtées à la suite de violences", a déclaré à l'AFP le porte-parole de la police de Dacca, Faruk Hossain. "Parmi elles figurent des dirigeants du BNP", le parti national du Bangladesh, une formation appartenant à l'opposition, a-t-il ajouté.
Le prix Nobel de la paix bangladais Muhammad Yunus, âgé de 83 ans, a exhorté lundi la communauté internationale à mettre fin à ces violences. "J'appelle de toute urgence les dirigeants internationaux et les Nations unies à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin à la violence subie par ceux qui exercent leur droit de manifester", a-t-il déclaré l'économiste dans un communiqué. Un couvre-feu a été imposé et des soldats patrouillent les rues des villes du pays d'Asie du Sud qui compte la huitième plus grande population au monde. Depuis jeudi, une coupure d'internet à travers le pays limite considérablement la transmission des informations vers l'étranger.
La Cour suprême a revu à la baisse dimanche les quotas pour le recrutement dans la fonction publique, sans toutefois les abolir, après leur réintroduction en juin. Mais après la répression de leur mouvement par les forces de l'ordre, qui ont tiré à balles réelles samedi dans la capitale Dacca, c'est désormais le départ de la cheffe du gouvernement qu'ont commencé à réclamer des jeunes Bangladais. Les affrontements dans tout le pays ont fait 163 morts, dont plusieurs policiers, selon un décompte de l'AFP des victimes rapportées par la police et les hôpitaux.
"Nous n'arrêterons pas nos manifestations tant que le gouvernement n'aura pas publié un décret reflétant nos demandes", a affirmé un porte-parole de Students Against Discrimination, le principal groupe responsable des manifestations. Pour Ali Riaz, professeur de politique et spécialiste du Bangladesh à l'université d'État de l'Illinois, les violences actuelles sont le "pire massacre commis par un régime depuis l'indépendance".
Répression critiquée par des diplomates
Des diplomates en poste à Dacca ont critiqué la brutale répression des manifestations à l'occasion d'une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères Hasan Mahmud, ont indiqué lundi plusieurs sources diplomatiques sous couvert de l'anonymat. Le ministre a convoqué les ambassadeurs pour un briefing dimanche leur montrant une vidéo de 15 minutes qui, selon plusieurs sources, mettait l'accent sur les dégâts causés par les manifestants. Mais l'ambassadeur américain Peter Haas a estimé que M. Mahmud présentait une version unilatérale des événements, a indiqué un haut responsable diplomatique à l'AFP.
"Je suis surpris que vous n'ayez pas montré les images de la police tirant sur des manifestants non armés", a-t-il affirmé, selon cette source. Un responsable de l'ambassade américaine a confirmé les déclarations de l'ambassadeur, sous couvert de l'anonymat. M. Mahmud n'a pas répondu à une question d'un représentant des Nations unies concernant l'utilisation présumée de véhicules blindés et d'hélicoptères portant la signalétique de l'ONU pour réprimer les manifestations. Le Bangladesh est l'un des principaux contributeurs aux opérations de maintien de la paix des Nations unies dans le monde. Les représentants du gouvernement ont à plusieurs reprises accusé les manifestants et l'opposition d'être à l'origine des violences.
Selon le porte-parole de la police, au moins trois policiers ont été tués au cours des troubles dans la capitale et environ 1.000 personnes ont été blessées, dont au moins 60 sont dans un état critique. Un porte-parole du BNP, A.K.M Wahiduzzaman, a précisé à l'AFP que "plusieurs centaines de dirigeants et de militants du BNP ont été arrêtés ces derniers jours" dans l'ensemble du pays. Le numéro trois du BNP, Amir Khosru Mahmud Chowdhury, et l'un de ses porte-paroles, Ruhul Kabir Rizvi Ahmed, sont au nombre des responsables de l'opposition arrêtés, a-t-il annoncé. Un ancien capitaine de l'équipe nationale de football ayant rejoint le BNP, Aminul Huq, et Mia Golam Parwar, secrétaire général du plus grand parti islamiste du pays, le Jamaat-e-Islami, ont également été arrêtés.