Yasmina Sabbah est l'une des plus jeunes cheffes de chorale et d’orchestre de la région. Photo DR
Yasmina Sabbah bouscule les codes, casse les stéréotypes que ce soit dans son travail ou ailleurs. Celle qui est aujourd’hui l’une des plus jeunes cheffes de chorale et d’orchestre de la région baigne dans la musique depuis son plus jeune âge. Sa mère, professeur de musique, l’emmène souvent à la découverte de concerts et représentations en tous genres, tant et si bien que la jeune Yasmina au caractère bien trempé contraint son frère et ses cousins à monter un spectacle chaque été. Elle écrit des comédies musicales, fait les affiches, imagine la mise en scène jusqu’au jour où elle postule pour Cambridge qui retient sa candidature et où elle décroche son master en direction d'orchestre. Elle qui jouait du piano et de la flûte traversière dirige son premier orchestre à 24 ans, passe des auditions, franchit les obstacles avant de rentrer au Liban et d’y croiser la route du père Salim Daccache qui cherchait à fonder une chorale. Il lui en confie la tâche ; le chœur de l’Université Saint-Joseph naît en 2015. Il évolue accompagné par l’orchestre philharmonique libanais et celui des Jeunesses musicales du Liban (JML) pour compter aujourd’hui plus de 80 chanteurs.
Yasmina Sabbah dirigeant l'orchestre à l'église Saint-Joseph de l'USJ. Photo d'archives
Une femme cheffe d'orchestre dans un univers masculin
Dans un monde essentiellement masculin, elle souligne avoir dû fournir cent fois plus d’efforts pour être repérée et reconnue. Son jeune âge a également été un frein. Mais rien n’intimide cette passionnée qui affiche la fougue et le cran que son talent lui permet d’endosser. Elle laisse le costume noir de chef d’orchestre dans le placard et arbore des robes qui mettent en avant toute l’étendue d’une féminité qu’elle assume totalement surtout lorsqu’elle offre à voir à son public le galbe d’un dos qui rappelle celui de Mireille Darc. « Je mets tout le temps des robes, en concert comme dans la vie de tous les jours », assure Yasmina Sabbah, qui a l’art de s’approprier des répertoires d’origines multiples auxquels elle ajoute une touche personnelle. On se souvient notamment de l’African Sanctus de David Fansahawe qui avait exalté un public emporté par la ferveur du Chœur de l’USJ et de l’orchestre des Jeunesses musicales du Liban, ainsi que de Colors of India plus récemment où elle revisitait This Love Between Us de Reena Esmail et de grands succès cinématographiques du compositeur indien oscarisé A.R.Rahman.
Les 13 et 14 juillet, elle présente Symphonic Rock, un répertoire rock des incontournables du genre qui marquent les mémoires collectives afin d'établir une voie à deux sens entre la musique classique et le rock qui permette une incursion des aficionados de l’une dans le monde de l’autre et vice versa.
L'affiche du concert. DR
Du rock version symphonique
Yasmina Sabbah revisitera donc sur la scène du Casino du Liban les tubes des Queen, Led Zeppelin, Pink Floyd, Bon Jovi, et autres légendes du rock. Pour ce faire, les chants ont été réinventés, réorchestrés et arrangés spécialement pour le Chœur de l’USJ par les compositeurs Ayad et Sary Khalifé, Vincenzo De Filippo et Nadim Tarabay. « Je cherche toujours des programmes audacieux qui vont à contre-sens des attentes du public. Nous nous sommes donc tournés vers le rock et avons choisi des incontournables que nous avons déconstruits et réinventés pour chœur et orchestre symphonique en intégrant un processus de composition qui ne touche pas à la mélodie initiale afin qu’ils soient écoutés avec une oreille totalement nouvelle », explique la musicienne qui précise que trois modèles de composition ont été adoptés tout en travaillant avec des compositeurs différents. La première direction, celle de Ayad et Sary Khalifeh, passe par un procédé de déconstruction où les tubes mythiques du rock ont été repensés dans un clin d’œil aux grands maîtres de la musique classique, mais avec une empreinte très nette des Khalifeh. La deuxième direction est celle de Vincenzo de Filippo, et consiste à opérer une fusion avec des pièces symphoniques existantes. « Imaginez donc Eye Of The Tiger sur le concerto pour piano de Rachmaninoff », s’exclame, enjouée, Yasmina Sabbah. La troisième direction endossée par Nadim Tarabay consiste à rester fidèle au morceau tout en y apportant une orchestration élaborée pour l’enrichir en conservant son énergie. « Nous ne sommes pas les premiers à puiser dans ce répertoire, mais nous essayons d’aller au-delà de l’élargissement de l'orchestration, nous faisons une refonte, nous réécrivons pour donner naissance à quelque chose d’innovant qui rende justice à ces deux mondes de la musique », ajoute Yasmina Sabbah.
Les chansons ont été choisies en fonction de leur marge d’adaptation, en donnant la priorité aux medleys qui permettent des connexions textuelles, thématiques, de genre ou de groupe. Plus de 100 artistes seront donc sur scène avec le Chœur de l’USJ et l’orchestre des JML, dont le soliste Kristian Abouanni.
La cheffe d'orchestre espère avec ce concert abattre les barrières qui emprisonnent aujourd’hui la musique classique dans un écrin sacré, savant, voire intouchable alors qu’elle peut être constamment revisitée, toute musique évoluant dans le temps.
« La musique classique nous en apprend tellement sur la complexité de l’écriture de l’orchestration, mais mon objectif a toujours été de créer une musique pour le futur, de collaborer avec des musiciens contemporains notamment libanais qui ont un énorme atout à offrir vu le riche héritage culturel et classique occidental que nous avons étudié », poursuit-elle. Pouvoir contribuer avec des arrangements ou des compositions à de la musique nouvelle est l’une de mes plus importantes missions avec le Chœur de l’USJ.
Cheffe d’orchestre devenue également productrice de ses performances, Yasmina Sabbah mène d’une main de fer cette entreprise, rendue plus compliquée par la crise, qu’est l’organisation de concerts, et qui survit grâce aux soutiens des amis du Chœur de l’USJ, des sponsors ainsi que de la vente de billets.
*Symphonic Rock les 13 et 14 juillet au Casino du Liban. Billets en vente chez Virgin Ticketing Boxoffice.