Un vendredi après-midi d'avril 2023, Béchara Keserwani, 23 ans, originaire de la localité de Aïchiyé au Liban-Sud, se rend à la plage publique de Jbeil. Il faisait chaud en cette journée de printemps. Il décide alors de se baigner. Béchara aimait la mer et nageait souvent, se souvient son amie Nour el-Hoda Khoury. « Il avait un très bon rapport avec l'eau » raconte-t-il. Deux semaines auparavant, Béchara et Nour étaient allés ensemble en bord de mer. « Je pourrais rester ici pour toujours », avait dit le jeune homme à son amie, en regardant l'horizon. Mais ce jour-là était particulièrement venteux. Tout en restant près du rivage, Béchara s'est enfoncé dans la mer, et n'est jamais revenu.
Une baignade qui tourne à la tragédie
Il est l'une des 49 personnes qui se sont noyées l'année dernière dans la mer et les cours d'eau au Liban, selon les données des Forces de sécurité intérieure. Cette année, ces incidents sont en augmentation, prévient le chef de l'unité de sauvetage maritime de la Défense civile, Samir Yazbeck. Depuis janvier, 47 personnes sont mortes noyées au Liban, ce qui correspond presque au chiffre total pour l'ensemble de l'année 2023, dont au moins 22 le long de la côte, selon le décompte de L'Orient Today.
La plage publique de Jbeil est réputée pour ses eaux claires et ses longues plages de sable, mais aussi pour ses courants et ses vagues. Depuis le début de l'année, 11 personnes sont mortes au large de la ville, selon nos chiffres. « Béchara était avec une amie », raconte Nour. « Ils nageaient ensemble et un tourbillon est apparu. Il a été pris dans les vagues et a disparu. On a appelé les services d'urgence qui ont tenté de le retrouver pendant deux ou trois heures ». Ce soir-là, Nour reçoit un appel d'une amie. « Nour, sois forte. Béchara est mort. Son corps a été retrouvé non loin de l'endroit où il s'est noyé. »
Les zones dangereuses du littoral libanais
Selon notre décompte, la plupart des 22 noyades survenues sur le littoral cette année se sont produites sur les plages publiques de Jbeil, Kesrouan-Jbeil, Batroun (Nord), Ramlet el-Baïda (Beyrouth) et Tyr (Sud). Le 30 juin, un Palestinien s'est noyé et un autre est toujours porté disparu au large de Kfar Abida (Batroun). La Défense civile avait émis un avertissement le matin même, indiquant que les vents violents et les vagues augmentaient le risque de noyade. Le 12 mai, trois personnes âgées de moins de 20 ans se sont noyées entre Jbeil et Fidar. Jason Habchi, 16 ans, originaire de Deir el-Ahmar, figurait parmi les victimes.
« La plage de Jbeil est l'une des zones les plus dangereuses de la côte libanaise », explique Fadi Eddé, propriétaire de la station balnéaire Eddé Sands, située sur la plage publique de Jbeil. « Il y a des courants qui se déplacent rapidement du nord vers l'ouest. Ces courants peuvent changer rapidement et sont particulièrement dangereux sur les plages de sable. La plupart des gens paniquent lorsqu'ils sont pris dans un courant et essaient de nager jusqu'au rivage, ce qui les épuise », explique-t-il.
Mesures de sécurité sur les plages
Samir Yazbeck conseille pour sa part les baigneurs de fréquenter les plages où il y a des sauveteurs. Il s'agit de celles de Ramlet el-Baïda, Jbeil, Saïda et Tyr. Les sauveteurs sont toutefois présents uniquement pendant la saison estivale. À Jbeil, ils sont embauchés et payés par les stations balnéaires privées et ne sont présents que pendant la haute saison. Le fait que la municipalité ne fournisse pas de sauveteurs pour l'ensemble de la plage est un « problème de taille », déplore M. Eddé.
« Les parties restantes de la plage publique où il n'y a pas de clubs privés sont laissées sans surveillance et deviennent des zones de baignade dangereuses en cas de mauvais temps », explique-t-il. « Nous ne pouvons pas faire plus que ce que nous faisons », estime le président de la municipalité de Jbeil, Wissam Zaarour. « Ceux qui ne respectent pas ces directives se noieront », dit-il à L'Orient Today.
Prendre en compte les risques
Après le décès de son cousin Béchara, Perla tente de sensibiliser la population aux risques de la baignade en mer. Quant à la Défense civile, elle a déjà émis de nombreux avertissements cette année pour conseiller aux baigneurs de ne pas nager dans des conditions difficiles. « Quand il fait beau, beaucoup d'adolescents téméraires se jettent à l'eau (...). Cette année, les vagues et le vent étaient forts (...). Même nos volontaires auraient pu se noyer », raconte Samir Yazbeck.
« Avant la mort de Béchara, je pensais que j'étais une bonne nageuse », explique Perla. Aujourd'hui, elle veut rappeler que personne ne peut vaincre une forte marée. Quant à Samir Yazbeck, il insiste à ce que les personnes qui n'ont pas de formation de sauveteur n'essaient pas de sauver les autres car cela risquerait de faire se noyer plus d'une personne. Le responsable raconte qu'une fois, ses équipes ont dû récupérer les corps de cinq personnes qui s'étaient toutes noyées en essayant de se sauver les unes les autres. Il conseille également aux nageurs de bien réfléchir à ce qu'ils consomment avant de se baigner. « La consommation d'alcool, les repas copieux et la chicha sont autant de facteurs qui favorisent la somnolence et augmentent le risque de noyade. »