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Culture - Cimaises

De Dali aux artistes libanais d'aujourd'hui, six interprétations visuelles de « La Divine Comédie »

Illustrés par le peintre surréaliste espagnol, les célèbres « Chants de L’Enfer, du Purgatoire et du Paradis » de Dante sont réinterprétés par cinq de nos artistes contemporains à travers le prisme des conflits régionaux. Au Mina Image Center.

De Dali aux artistes libanais d'aujourd'hui, six interprétations visuelles de « La Divine Comédie »

Au Mina Image Center, les 33 gouaches sur le purgatoire et la vidéo sur l’enfer de Rabih Mroué. Avec l’aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler.

Parce qu’en période de grand fracas existentiel, comme celle que nous vivons, l’homme va chercher dans la littérature, l’art et les textes religieux fondateurs des réponses aux interrogations sur le sens de la vie et l’après-vie. Le Mina Image Center* vous propose une plongée dans L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis de Dante à travers un corpus d’œuvres visuelles inspirées de sa Divine Comédie. Histoire de (re)découvrir, outre l’universalité du propos de ce poète du XIVe siècle, l’écho contemporain de sa vision religieuse dévoyée par les peurs, les superstitions et la cruauté humaine.

Et cela par le biais d’une double exposition présentant, d’une part, une série d’estampes signées Salvador Dali inspirées de ce long poème du Moyen Âge dépeignant le voyage imaginaire du poète italien dans les champs célestes et les arcanes de la mort. Et d’autre part, leurs réinterprétations protéiformes effectuées par cinq artistes contemporains libanais.

Un coin de l'exposition des gravures de Dali sur le thème de « La Divine Comédie » au Mina Image Center à Beyrouth. Photo DR

Des estampes de Dali dans une collection libanaise

Au début des années 1950, Salavador Dali est invité par l’Institut polygraphique de l’État italien à illustrer une édition renouvelée de La Divine Comédie de Dante Alighieri, un monument de la littérature universelle, inspirateur de nombreuses œuvres picturales, théâtrales, cinématographiques et dont Botticelli fut le premier illustrateur.

Pendant deux ans, l’artiste espagnol s’attelle à capturer avec son style distinctif l'atmosphère onirique et irréelle du poème dans 100 estampes destinées à accompagner les 100 chants de ce long poème médiéval. Mais au moment de la mise sous presse, les nationalistes italiens s’insurgent et son travail n’est pas retenu. Le peintre surréaliste en tirera néanmoins une série de gravures dont il éditera et signera 100 exemplaires.

C’est la série numéro 55, appartenant au collectionneur Ghassan al-Maleh, qui sera donc le point de départ de cette double exposition baptisée « On the Human Comedy » (À propos de la comédie humaine) actuellement sur les cimaises du Mina Image Center.

« Le fait qu’on ait eu accès à cette collection en ces temps de violences surréalistes, où la mort domine le monde faisant resurgir les questionnements sur le sens de la vie et de l’après-vie, n’était pas anodin. Il fallait que j’en tire quelque chose », indique la curatrice Manal Khader. Laquelle décide ainsi de recourir à Dante et à sa Divine Comédie pour explorer au moyen de l’art visuel la propension de la nature humaine à revenir aux représentations religieuses de l’au-delà en période de chamboulements, de guerres et de crises.

« J’ai demandé à des artistes contemporains de travailler cette thématique, en s’appuyant sur les illustrations qu’en a faites Salvador Dali », explique la jeune femme dont le choix se portera sur Ayman Baalbaki, Abdulrahman Katanani, Rabih Mroué, Rayyane Tabet et Chaza Charafeddine. Cinq artistes libanais qui, bien que s’exprimant dans différents médiums, ont en commun une pratique qui questionne en profondeur les réalités humaines dans notre région en crise.

Des cercles de l'enfer  …

Si, de prime abord, le lien entre l’œuvre de Dante et celles de ces artistes ne semble pas toujours d’une évidence criante, le visiteur de l’exposition est cependant rapidement happé par la force d’évocation littéralement infernale de certaines des pièces exposées.

La sculpture en fil barbelé de Katanani. Photo DR

À commencer par l'impressionante installation du sculpteur libano-palestinien Katanani : une sorte de grand tapis circulaire en fil de fer barbelé qui met en corrélation les Cercles de l’enfer de Dante avec l’état psychologique d’une population palestinienne emportée depuis 75 ans dans un tourbillon sans fin, un gouffre de violence et de souffrances.

Idem pour la spectaculaire acrylique sur toile de 200 x 600 cm d’Ayman Baalbaki représentant un paysage d’immeubles éventrés et écroulés intitulée Ghaza.

Vous l’aurez deviné, c’est l’enfer appréhendé essentiellement à travers le prisme des conflits régionaux qui se taille la part du lion dans ces réinterprétations libanaises contemporaines de la vision moyenâgeuse de Dante de l’au-delà.

L'enfer de Gaza par le pinceau d'Ayman Baalbaki. Photo DR

Cela se ressent dans l’ensemble d’œuvres multimédias de Rabih Mroué. L'acteur et plasticien au discours engagé déroule sa vision à la fois intime et politique des trois destinations de l’après-vie à travers de petits dessins et collages reprenant la symbolique conventionnelle rattachée à l’idée de paradis (angelots et femmes nues), des peintures abstraites (gouache et encre sur papier) exprimant son incompréhension du purgatoire ainsi qu'un impressionnant travail de collage d’images vidéos tirées entre autres de reportages et documentaires de guerre.

C'est L’Enfer, encore et toujours, qui revient avec une ironie sous-jacente dans les dessins et calligraphies de Chaza Charafeddine, artiste pluridisciplinaire qui aborde souvent dans ses œuvres l'imagerie religieuse. Et qui, dans ce cas précis, fait le rapprochement entre la vision de l’auteur de La Divine Comédie des différents cercles de l'enfer correspondant aux sept péchés capitaux qui façonnent l'image de la vie après la mort dans l'imaginaire chrétien et les descriptions de l’échelonnement des peines et des châtiments après la mort dans l’Islam, telles que décrites par le Isra wa Miraj, récit du voyage nocturne du prophète Mohammad dans les arcanes de l’enfer puis son ascension au paradis d’Allah à bord de son étalon ailé, le bouraq.

…au faux paradis

Quasiment le seul à avoir choisi de traiter la facette paradisiaque de cette thématique de l’après mort, Rayyane Tabet met en scène dans ce qui ressemble à une nef de cathédrale, banc d’église et diffusion d’un chant religieux à l’appui, des vitraux bleus issus d’un travail précédent, Six Nights, qu’il avait présenté il y a quelques mois à la galerie Sfeir-Semler de Beyrouth.

Les « Six Nights » de Rayyane Tabet s'accordent avec les estampes de Dali, dans une des salles du Mina Image Center. Photo DR

Mais sous la trompeuse atmosphère spirituelle et apaisante qui s’en dégage transparaît un discours plus sulfureux. Car ces vitraux bleus, l’artiste visuel les avait créés pour évoquer la guerre israélo-arabe de juin 1967, dite guerre des Six Jours, quand les habitants de Beyrouth ont calfeutré les lumières de leurs habitations pour ne pas se faire repérer par les avions bombardiers en peignant leurs vitres en bleu. Tout comme le chant de Mayssa Jallad, aux sonorités angéliques, égrène en réalité les paroles dénonciatrices de la « guerre des hôtels », l’un des premiers épisodes des combats civils libanais.

Voilà une œuvre fortement évocatrice de ce que représente désormais le Liban : un faux paradis devenu territoire privilégié de l’enfer… Celui de La Comédie humaine que jouent ses dirigeants pourrait-on ajouter pour reprendre le titre (quelque peu équivoque) de cette exposition d’esprit muséal, réalisée avec le support de l’ambassade d’Espagne. À voir.

« On the Human Comedy » au Mina Image Center, secteur du port, jusqu’au 29 mai.


Parce qu’en période de grand fracas existentiel, comme celle que nous vivons, l’homme va chercher dans la littérature, l’art et les textes religieux fondateurs des réponses aux interrogations sur le sens de la vie et l’après-vie. Le Mina Image Center* vous propose une plongée dans L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis de Dante à travers un corpus d’œuvres visuelles inspirées de...
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