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Politique - Spectacle

Quand le Hezbollah se met (seul) en scène

Brisant les murs du théâtre conventionnel, « La Frontière » revisite la bataille de Boukamal contre l'Etat islamique. 

Quand le Hezbollah se met (seul) en scène

Les quatre (faux) combattants du Hezbollah dans la pièce expérimentale "La Frontière", jouée dans la banlieue sud jusqu'à fin janvier. Joao SOUSA

Ils sont quatre. Quatre combattants plus vrais que nature retranchés dans leur abri militaire couleur sable. Al-Hamza, le spécialiste en hijab, Salah, l’intello citant Michel Foucault, Fawzi, le fils d’ancien prisonnier des geôles israéliennes et Rani, leur chef pas commode, n’ont plus d’eau potable depuis que leur citerne a été visée par des combattants de l’Etat islamique postés à quelques kilomètres du passage syro-irakien de Boukamal. Doivent-ils prendre les devants et attaquer le point d’eau d’en face ou s’en tenir aux ordres de leur hiérarchie, qui leur demande d’attendre des renforts qui tardent à venir… ?

Entrer en pleine banlieue sud sous la tente C, flanquée de drapeaux à l'effigie du commandant iranien Kassem Soleimani et où se déroule l’une des trois scènes jouées en simultané, de la pièce « La Frontière », c’est s’immerger dans un univers où la limite entre le réel et la fiction est poreuse. Chaque groupe de spectateurs, à qui on distribue un foulard palestinien floqué du portrait du militaire iranien, assiste séparément à un acte différent relié à l’intrigue, puis finissent par se retrouver ensemble à l’épilogue. Le public est d’emblée prévenu : que les cardiaques et les âmes sensibles se retirent, il y aura des tirs de balles factices.

Extrait de la pièce expérimentale "La Frontière", jouée dans la banlieue sud, sur la place Achoura. Joao SOUSA

Alors que les combats entre le Hamas et Israël à Gaza, démarrés le 7 octobre, se poursuivent, que le Liban-Sud vit au gré des échanges de feu entre le Hezbollah et l’armée israélienne, que le numéro deux du Hamas a été tué en pleine banlieue sud de Beyrouth il y a deux semaines, que l’Irak s’électrise, que le Yémen bout, bref, que tout « l’axe de la Résistance » (sauf la Syrie), est chauffé à blanc, il pourrait paraître absurde de présenter en ces temps un spectacle de théâtre expérimental en hommage à Soleimani, tué il y a quatre ans dans une frappe américaine à Bagdad. Mais pas pour Rayane, Hamza, Zeinab ou Fatima, qui travaillent sur le projet depuis six mois. Metteuse en scène, comédiens ou costumière, ils sont on ne peut plus convaincus du bien fondé de leur « création artistique » et de son timing. « On a fait quelques aménagements dans le texte. On nous a recommandé de parler un peu plus de la Palestine, alors qu'initialement dans l’intrigue on la mentionnait mais de manière plus vague », raconte Fatima Baz, costumière et directrice du lieu.

Il s’agit de galvaniser la base populaire du Hezbollah en revisitant des faits historiques, au plus près des combattants, en rejouant la bataille de Boukamal. En novembre 2017, à la tête d’une troupe expéditionnaire, dont des combattants du Hezb, le patron de la force al-Qods, le « roi Soleimani », comme l’avait dépeint le quotidien iranien Afkar, parvient à chasser l’EI de la dernière ville syrienne sous son emprise. L’enjeu de la bataille ? L’achèvement du corridor de la résistance chiite, qui ouvrirait à Téhéran un accès terrestre à la mer Méditerranée jusqu’à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas. Un message martelé d’ailleurs tout au long de la performance, dont l’objectif politique est très clair : « Quand Boukamal sera libéré, on pourra faire parvenir les armes d’Iran jusqu’à al-Qods (Jérusalem) », lance, sous les applaudissements de la salle, l’un des quatre combattants qui piétinent sous leur guitoune camouflage.

L'épilogue de la pièce lors de la prise de Boukamal. Joao SOUSA

Obnubilés par leur héros Soleimani, jusqu’à porter comme lui une bague sertie d’une agate rouge, ils espèrent se montrer dignes et célébrer la victoire à ses côtés. Loin d’être présentés comme de féroces guerriers, les quatre compères ont plutôt l’air de scouts lâchés dans le désert, tirant des coups de feu à crever les tympans, en se rapprochant du public et alternant entre le tragique et le comique. « Dans cet hommage au 'Hajj' Kassem, on voulait que le public ressente au plus près les sons, les odeurs et les sensations de la guerre », raconte Rayane Kheireddine, la metteuse en scène. Comme pour démystifier la guerre et attirer des volontaires au martyre ? Nul mention en tout cas dans le texte des pertes dans les rangs du Hezb lors du conflit syrien (plus de 2 500 selon des estimations de 2017). « C’est une pièce qui parle de nous, de notre environnement, et on veut faire passer un message. Avec tout ce qui se passe actuellement, on veut montrer que la résistance ne faiblit pas, mais qu’elle est plus forte que jamais », raconte avec ferveur Hamza Karaki, un étudiant en 3ème année de théâtre à l’Université libanaise, qui joue le rôle de Fawzi.

La pièce "La Frontière", en hommage au commandant iranien Kassem Soleimani, tué en 2020. Joao SOUSA

L’acte I se termine et les spectateurs sous les trois tentes différentes sont invités à emprunter un tunnel vers un espace plus large représentant la frontière syro-irakienne de Boukamal où se déroule l’épilogue. A l’époque des faits, la course pour la victoire contre l’EI se joue entre l’armée syrienne (dont le rôle n’est même pas évoqué dans la pièce) et ses alliés iraniens et libanais d’une part, et les Forces démocratiques syriennes soutenues par la coalition internationale menée par les États-Unis, de l’autre. La victoire revient aux loyalistes. Dans la pièce, un groupe de journalistes, dont on vante « la liberté d’informer », joue un rôle crucial pour faire parvenir au monde entier les premières images de la défaite de Daech et la consécration de Kassem Soleimani. Le spectacle se termine dans un cheminement de tunnels gazaouis et une galerie de portraits de martyrs célèbres, iraniens, libanais et palestiniens. Zeinab Berjaoui, l’une des comédiennes (et aussi journaliste à la chaîne de télévision al-Mayadeen), exulte à la sortie. Participer au spectacle lui permet de « revivre cette victoire historique », et de se sentir « à Gaza », à chaque fois qu’elle emprunte les « tunnels » lors des répétitions ou des représentations. D’un ‘théâtre’ à l’autre, la frontière est mince…

Ils sont quatre. Quatre combattants plus vrais que nature retranchés dans leur abri militaire couleur sable. Al-Hamza, le spécialiste en hijab, Salah, l’intello citant Michel Foucault, Fawzi, le fils d’ancien prisonnier des geôles israéliennes et Rani, leur chef pas commode, n’ont plus d’eau potable depuis que leur citerne a été visée par des combattants de l’Etat islamique...

commentaires (12)

"""D’un ‘théâtre’ à l’autre, la frontière est mince"""… Mais quel cynisme ! Le "théâtre" des opérations terrestres, aériennes de Gaza, le "théâtre de ce génocide" ne peut être réduit à un théâtre de marionnettes. Entre le réel et la représentation, la frontière est énorme, aussi longue que le métro de Gaza. Des morts en direct, des paysages de désolation, mais comment peut-on faire une représentation, et rendre au spectateur l’odeur d'un corps calciné… Nous sommes à la centième journée, pour en faire un spectacle de quelques minutes… C'est mince...

Nabil

09 h 36, le 15 janvier 2024

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • """D’un ‘théâtre’ à l’autre, la frontière est mince"""… Mais quel cynisme ! Le "théâtre" des opérations terrestres, aériennes de Gaza, le "théâtre de ce génocide" ne peut être réduit à un théâtre de marionnettes. Entre le réel et la représentation, la frontière est énorme, aussi longue que le métro de Gaza. Des morts en direct, des paysages de désolation, mais comment peut-on faire une représentation, et rendre au spectateur l’odeur d'un corps calciné… Nous sommes à la centième journée, pour en faire un spectacle de quelques minutes… C'est mince...

    Nabil

    09 h 36, le 15 janvier 2024

  • Les FL ont eu des victoires bien plus glorieuses que le Hezbollah, qui en fait n'en a presque pas, sinon pas du tout, et ne se sont jamais permit de monter des pièces de théâtres ou de faire des films a leur gloire. Il faut que le parti de Dieu soit bien dans la mouise pour chercher, comme vous dites, a "galvaniser la base populaire" qui apparemment se désolidarise réalisant que ses enfants meurent pour rien, qu'ils vivent un mensonge et des victoires qui n'existent pas et en plus le héros n'est même pas Libanais! Peut être aussi c'est pour les préparer pour ce qui vient? Plus de morts?

    Pierre Christo Hadjigeorgiou

    08 h 53, le 15 janvier 2024

  • Zauraient du faire du stand-up comedy... plus clévert et a tad plus rigolo surtout avec, en épilogue, un mot du lidère sousprime...

    Wlek Sanferlou

    16 h 29, le 14 janvier 2024

  • Vomitif !

    LeRougeEtLeNoir

    11 h 34, le 14 janvier 2024

  • A mourir de dégoût. C est de la magie noire. On pendait ces gens avant. Simple.

    Marie Claude

    11 h 13, le 14 janvier 2024

  • L'Israël safavide vante ses victoires mythiques, tout comme l'Israël sioniste avait ses "victoires divines": guerre des six jours etc... Au moins pour l'Israël sioniste, malgré des livraisons d'armes américaines sans lesquelles ils n'auraient pas vu l'ombre d'une victoire, on peut dire que sur le terrain ses victoires sont bien les siennes. Ce qui n'est nullement le cas de l'Israël safavide: sur le terrain ce sont les USA et les FDS qui ont fourni le gros de l'effort de guerre, en Syrie sans les bombardements de l'aviation russe ils auraient été largement embourbés, etc etc...

    Citoyen libanais

    20 h 48, le 13 janvier 2024

  • Un excellent reflet de la politique culturelle du Hezbollah qui a toujours défendu la liberté d'expression dans l'expression artistique. Le seul parti qui a œuvré dans la défense des intérêts des artistes et qui permet à l'art libanais de rayonner dans le monde

    Georges Olivier

    19 h 01, le 13 janvier 2024

  • Affligeant! Pauvre Liban.

    Zebouni Joelle

    15 h 10, le 13 janvier 2024

  • Même leur culture est à base de guerre, de morts, de tueries et réservé aux spectacteurs hommes . Cette culture que nous refusons. La culture intégriste où la violence ( qu'elle soit défensive ou offensive),les morts et la mort c'est tout ce qu'ils savent faire et répandre: La culture de la mort.Pour nous, la culture,c'est la vie, la création, la beauté, la paix, les lettres, les peintures, les sculptures, la mixité, le sourire, les rires, la joie, les joyeuses soirées en famille ou entre amis, les éclats de rire, l'autodérision, la critique.Tout ce que ces gens ne connaissent pas et refusent

    LE FRANCOPHONE

    14 h 07, le 13 janvier 2024

  • Bravo le Hezballah. Il écrit au sens propre et au sens figuré l'Histoire. Il se substitue encore une fois à l'Etat. Trente ans que l'Etat est absent. Trente ans que l'on attend la mise à jour des livres d'Histoire qui se sont arrétés à l'indépendance. Pourtant le ministère de l'Education Nationale a été occupé à la fois par des ministres nationalistes et des ministres de la moumana3a. Bien fait pour le camp (qui était connu par le nom du 14 mars) que l'on n'a pas entendu ne serait ce qu'une fois au parlement ou au gouvernement appeler à l'unification de l'histoire récente.

    Moi

    13 h 53, le 13 janvier 2024

  • ouvert au public? details svp

    Carla Korkmaz

    13 h 18, le 13 janvier 2024

  • Complètement givrés les mecs. Probablement que dans "l'au-delà" ils se diront "ah, si j'avais su" . En rire ou en pleurer ?

    Remy Martin

    12 h 57, le 13 janvier 2024

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