Malgré le vent qui se lève, Walid remonte sans plus tarder au sommet de son échelle. À moins d’une heure du début des festivités, il n’y a plus une minute à perdre pour régler l’incident qui préoccupe la petite assemblée massée à l’entrée du souk de Rachaya. Avant de commémorer un événement censé resserrer les liens de tout un pays toujours sous la menace d’une nouvelle guerre, il faut s’occuper de ceux de la banderole spécialement prévue pour l’occasion. « Bienvenue aux invités de l’indépendance », peut-on lire à côté d’un des portraits de l’homme que tout le monde attend : Nagib Mikati.
Un hôte inédit pour les résidents de cette bourgade druzo-chrétienne du sud de la Békaa. « Ce matin, on entendait encore des bombardements, confie Moufid, un vendeur de spécialités locales. Mais même si nous ne sommes qu’à trente kilomètres de la frontière, nous n’avons pas peur. » Abritant près de 4 500 âmes, Rachaya – et sa célèbre citadelle dont les premières pierres remontent à l’époque romaine – n’avait encore jamais vu la couleur d’un Premier ministre sur ses rues pavées. Depuis le 22 novembre 2011 et la venue du président Michel Sleiman, aucune haute personnalité de l’État ne s’était déplacée jusqu’aux confins du mont Hermon pour commémorer l’événement qui marquait l’indépendance du Liban du mandat français il y a 80 ans.
Pourtant, difficile de cerner l’effervescence au sein de l’allée marchande dont les boutiques sont désespérément vides. Hormis ce petit drapeau libanais accroché par Valya en devanture de son échoppe de souvenirs, pas l’ombre d’un élan de fierté nationale à l’horizon. « D’habitude, la semaine de l’indépendance est la plus joyeuse de l’année : il y a des décorations dans toute la rue, des écoles de tout le pays viennent visiter le village et la citadelle… raconte la commerçante. Mais avec tout ce qui se passe dans le Sud, nous n’avons pas l’esprit à la fête. Encore plus après ce qu’il s’est passé hier (mardi), avec ces deux journalistes (Farah Omar et Rabih Maamari) qui se sont fait tuer » beaucoup plus au sud.
Un autre attroupement bien plus jovial vient cependant briser la morosité ambiante. Alignés sur le parvis de la mairie, les scouts du Parti socialiste progressiste, toutes tranches d’âge confondues, entonnent en chœur leur large répertoire de chants. Les officiels locaux se tiennent quant à eux en tête de cortège, tandis que les habitants s’empressent d’investir la grande salle de réception, où des centaines de chaises ont été disposées.
Marche rapide
Soudain, le vrombissement d’un hélicoptère annonce l’arrivée du convoi. Georges Bouchikian, député de Zahlé, ouvre le bal, suivi du ministre de la Culture, Mohammed Mortada, ou encore de Leila Solh Hamadé, présidente de la Fondation al-Walid ben Talal, qui a financé les récentes rénovations de la citadelle et annoncé l’inauguration d’un nouveau musée de l’Indépendance prévue le 22 novembre 2024.
Derrière, M. Mikati fend la foule au milieu de son escorte personnelle. Une fois tout le monde installé à l’intérieur, l’assistance se dresse au son de Koullouna lil Watan. S’ensuit une allocution d’un édile du village, dont la voix flanche par moments compte tenu de la solennité de l’instant, que prolonge le Premier ministre sous les applaudissements fournis : « Les Libanais, en tant que gouvernement et que peuple, sont déterminés à commémorer leur indépendance parce qu’ils croient au sens qu’elle revêt pour eux en termes de liberté, de souveraineté et d’unité nationale. » Nouvelle ovation.
Une minute trente plus tard, l’allocution arrive déjà à son terme. La délégation prend congé à bord d’un défilé de jeeps aux vitres teintées et se dirige vers la citadelle, à quelques centaines de mètres. « Avant, les gens remontaient la rue, tous ensemble, et se rendaient à pied jusqu’au château, regrette Ismaïl, un autre commerçant. Aujourd’hui, ils ne veulent plus marcher avec nous et passent sans même nous saluer. »
Devant les grilles de l’édifice, sous haute surveillance militaire, une petite centaine de curieux observe de loin les personnalités et multiples représentants communautaires se joindre à la célébration. Emmitouflée dans son drapeau du Liban alors que les bourrasques redoublent d’intensité, Aya, 19 ans, venue de Beyrouth avec ses compagnons de « Spotlight », une association d’aide à la jeunesse, patiente sagement avant d’être autorisée à mettre un pied dans le château : « On pensait qu’ils nous laisseraient au moins entrer à l’intérieur pour participer un peu à la fête… » soupire-t-elle.
Rendez-vous au sommet
L’attente durera environ une heure et demie, le temps que se déroule le cérémonial auquel les simples curieux ne sont pas conviés. Ils ne pourront pénétrer dans l’enceinte qu’une fois acté le départ de tous les officiels. Ces derniers quittent un à un les lieux dans un défilé de vitres fermées. « Je suis surtout déçue pour mes enfants », lâche Nour, qui tient dans ses bras son petit dernier, enroulé dans une couverture. « Je voulais qu’ils puissent voir le Premier ministre, entendre l’hymne national, qu’ils puissent comprendre pourquoi cet endroit est hautement symbolique pour le Liban », regrette-t-elle.
Dans le sillage de cet interminable chassé-croisé, les visiteurs pénètrent enfin dans la forteresse. En particulier dans sa partie la plus récente, aménagée par l’armée française en 1920, où l’on retire désormais micros, pupitres, rangées de chaises et de drapeaux aménagés pour l’occasion. C’est ici même que furent emprisonnés les « hommes de l’indépendance » : Béchara el-Khoury, Riad el-Solh, respectivement président et Premier ministre de la République libanaise naissante, Camille Chamoun, Adel Osseirane et Salim Takla, qui s’offrirent le 22 novembre 1943 un retour triomphal jusqu’à Beyrouth après onze jours de captivité.
Le lointain successeur de Riad el-Solh n’y sera, lui, resté que deux heures, avant de regagner la capitale à la hâte. Un rendez-vous de la plus haute importance l’attend en début de soirée au Grand Sérail, où il doit s’entretenir avec un interlocuteur inévitable, qui plus est en temps de guerre : Hussein Amir-Abdollahian, ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Iran...
commentaires (6)
Des polichinelles au pouvoir, heureux de pavaner et de se faire appeler Monsieur, ou Monsieur le ministre, fiers de leurs titres usurpés, alors qu’ils savent pertinemment qu’ils ne le valent pas et ne le vaudraient jamais. Tant que le peuple les tolère, ils resteront jusqu’à ce que leur pays pays obtienne la palme d’or de la mascarade qui distingue désormais notre feu pays depuis qu’ils l’ont pillé pour mieux le gouverner. Du jamais vu, même dans les pays les plus sous développés. Welcome to Lebanon
Sissi zayyat
11 h 25, le 27 novembre 2023