L’armée fait-elle réellement tout ce qu’il faut (et tout ce qu’elle peut) pour lutter contre l’afflux massif de migrants syriens au Liban ? La question est devenue pressante depuis que ce qu’on appelle « la dernière vague » d’exode syrien vers le pays du Cèdre a réveillé toutes les angoisses des Libanais. Ce dossier est même devenu un sujet polémique, les différents acteurs se lançant des accusations réciproques sur les responsabilités.
Pourquoi ce thème, qui existe depuis des années, est-il soudain revenu à la une de l’actualité ? Les réponses à cette question sont multiples. Elles commencent avec l’augmentation impressionnante des chiffres de la présence syrienne au Liban (certains parlent de 2,8 millions de personnes) et la multiplication des incidents entre Syriens et Libanais dans de nombreuses localités, et se poursuivent avec les dernières recommandations internationales d’intégrer les Syriens dans le tissu social libanais, pour finir avec la course présidentielle, dans laquelle le chef de l’armée, Joseph Aoun, est en bonne position.
Comme toujours au Liban, les enjeux politiciens ne sont jamais très éloignés des dossiers chauds. C’est dans ce contexte que certaines parties, notamment le chef du CPL, Gebran Bassil, commencent à faire assumer à la troupe la responsabilité de ce nouvel afflux de migrants. Selon des rapports sécuritaires, près de 7 000 personnes seraient entrées clandestinement au Liban au cours des deux derniers mois, et il s’agirait en grande partie d’hommes dont l’âge varie entre 25 et 40 ans. Ce n’est plus l’exode familial des années précédentes dû à la guerre qui ravageait la Syrie, mais d’un flux motivé par les conditions économiques de plus en plus difficiles. En même temps, comme ce sont des hommes jeunes, certains au Liban craignent qu’ils soient en mesure de prendre les armes et de créer des troubles sécuritaires, dans un timing particulièrement délicat. De fait, les craintes augmentent au Liban concernant l’existence d’un plan de déstabilisation générale, de Kahalé à Aïn el-Héloué, en passant par d’autres localités.
Toutefois, dans certains milieux politiques très critiques à l’égard du chef de l’armée, la perspective de troubles sécuritaires ainsi que la possibilité d’un embrasement généralisé pourraient n’être qu’un plan visant à favoriser les chances présidentielles de ce dernier. En effet, on a l’habitude de dire au Liban que lorsque les menaces sécuritaires se multiplient, les gens se tournent vers l’armée, la seule institution qui paraît en mesure de les protéger et de défendre le pays. C’est un peu ce qui a eu lieu dans le passé, à chaque grande crise qui a secoué le pays. Les partisans de cette théorie rappellent que depuis 2019, les crises successives qui ont secoué le pays n’ont pas entamé la confiance des Libanais dans leur armée. Au point qu’on dit désormais que l’armée est la seule institution de l’État encore debout. Mais est-ce une raison suffisante pour accuser l’armée de ne pas être assez ferme dans le dossier des migrants syriens ?
Des sources militaires rejettent totalement ces accusations et les placent dans le cadre des attaques politiciennes. Selon ces mêmes sources, l’armée fait de son mieux pour contrôler la frontière avec la Syrie, mais il faut avoir en tête le fait qu’il s’agit d’une frontière longue et que les zones frontalières sont étendues et difficiles d’accès. Pour pouvoir contrôler une telle frontière, l’armée a besoin de moyens technologiques qui ne sont pas actuellement disponibles. Elle a aussi besoin d’effectifs, car il ne faut pas croire que tous les soldats enrôlés au sein de l’armée font partie des unités combattantes. Celles-ci ont un nombre d’effectifs limité et elles sont déjà déployées en plusieurs endroits, sachant que la multiplication des incidents oblige l’armée à poster ses unités de terrain un peu partout. Certes, l’armée mène actuellement une politique d’enrôlement, mais il faut du temps pour augmenter le nombre des effectifs opérationnels.
Dans ce même contexte, les sources précitées affirment que l’armée fait de son mieux pour contrôler les voies de passage clandestin et dès qu’elle aperçoit ou soupçonne l’existence d’arrivées illégales, elle agit immédiatement. Elle arrête et refoule les migrants illégaux, et cela arrive pratiquement tous les jours. Mais pour pouvoir dresser un plan global de lutte contre les entrées illégales, il faudrait une décision des autorités concernées, qu’il s’agisse du Conseil supérieur de défense ou du Conseil des ministres. Depuis Taëf, ce genre de décision ne relève plus seulement de l’état-major de l’armée. C’est ainsi par exemple que pendant la période de vacance présidentielle entre 2014 et 2016, lorsque l’armée a été attaquée par les jihadistes dans l’arrière-pays de Ersal, elle n’a pas reçu l’ordre de lancer une vaste action contre les attaquants, se contentant de prendre des mesures de protection, alors que ses soldats avaient été pris en otage. Il a fallu attendre l’élection de Michel Aoun et la formation d’un gouvernement présidé par Saad Hariri pour que l’armée puisse mener ce qu’on a appelé par la suite la « guerre des jurds », en 2017.
De plus, poursuivent les mêmes sources, si le Liban souhaite vraiment que la lutte menée par l’armée soit efficace, il faudrait que de l’autre côté de la frontière, des mesures soient prises pour lutter contre les départs clandestins. Pour cela, il faudrait donc que des contacts soient établis avec les autorités syriennes afin d’établir une coordination concrète qui rendrait la lutte contre le passage clandestin à la frontière plus efficace.
Enfin, toujours selon les mêmes sources, le contrôle des frontières entre deux pays est toujours une entreprise complexe et elle est rarement efficace à cent pour cent. Par exemple, l’ancien président américain Donald Trump avait décidé de fermer la frontière avec le Mexique face aux migrants vers les États-Unis, mais en dépit des moyens de son pays, il n’a pas réussi à empêcher totalement leur entrée.
commentaires (3)
C’est ds l’intérêt du général Joseph Aoun que la situation sécuritaire s’aggrave. Raison de plus de mettre les partis au pied du mur et de les acculer à élire, en désespoir de cause, le chef l’armée comme président de la république.
Hitti arlette
13 h 00, le 27 septembre 2023