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Moyen-Orient - PORTRAIT

Ebrar Karakurt, la « Sultane du filet » qui dérange les conservateurs turcs

L’attaquante de l’équipe nationale féminine de volley-ball, qui vient de remporter le championnat d’Europe, est la cible d’attaques en raison de son orientation sexuelle.

Ebrar Karakurt, la « Sultane du filet » qui dérange les conservateurs turcs

Ebrar Karakurt (à gauche) célèbre sa victoire avec sa coéquipière Mélissa Vargas, après la victoire de l’équipe nationale de volley-ball turque face à la Serbie, le 3 septembre 2023. John Thys/AFP

Elles ont beau avoir été accueillies en héroïnes à l’aéroport d’Istanbul. Elles ont beau avoir suscité l’effervescence du pays en remportant dimanche dernier la finale du championnat d’Europe féminin de volley-ball, premier titre jamais décroché par une équipe turque dans une compétition sportive européenne. Il fallait que l’opprobre tombe sur les « Sultanes du filet ». Après avoir arraché à Bruxelles la coupe à la Serbie, triple championne d’Europe, l’équipe nationale féminine s’est retrouvée au centre d’un débat récurrent en Turquie, où la société est fortement polarisée entre le camp laïc et la frange partisane d’un islam conservateur.

Et cette dernière ne voit pas d’un très bon œil le succès flamboyant des joueuses turques, qui ont célébré lundi leur victoire à domicile, acclamées par une foule en liesse. Un indice en témoigne : seules les villes aux mains de l’opposition ont choisi de diffuser le match en plein air, tandis que les municipalités rangées du côté des alliés islamo-conservateurs de l’AKP (Parti de la justice et du développement, la formation présidentielle) ont préféré passer en sourdine l’événement. À Istanbul par exemple, où les joueuses sont arrivées lundi soir, le très populaire maire kémaliste Ekrem Imamoglu s’est mêlé à la liesse, dansant sur les airs de victoire alors que les « Sultanes du filet » marquaient le point décisif pour s’imposer 3 à 2 face aux Serbes.

Si la quasi-totalité de l’échiquier politique a salué la victoire de l’équipe – le président Recep Tayyip Erdogan a même passé un appel à l’entraîneur du groupe quelques heures après le match –, de nombreuses voix ultranationalistes y ont vu l’expression d’une décadence féminine dévoyée de son rôle traditionnel. Des critiques qui ont plusieurs fois visé les volleyeuses. En 2021, alors que l’équipe participait aux Jeux olympiques de Tokyo, Ihsan Senocak, un célèbre théologien de l’islam rigoriste, s’était insurgé contre les tenues vestimentaires des joueuses, dénonçant leur participation aux compétitions sportives : « Fille de l’islam ! Tu es la sultane de la foi, de la chasteté, de la moralité et de la modestie... pas des terrains de sport », avait-il tweeté à ses centaines de milliers d’adeptes.

« Honte de la nation »

Mais celle sur qui la foudre s’abat presque systématiquement se nomme Ebrar Karakurt. Car la smasheuse d’à peine 23 ans et son imposant mètre quatre-vingt-seize dérangent. Charismatique, connue pour pouvoir sauter jusqu’à 3,21 mètres sur le terrain, l’étoile montante du volley-ball est ouvertement lesbienne. Depuis la publication en 2021 sur son compte Instagram d’une photo où elle pose en compagnie de sa petite amie, elle est régulièrement attaquée. « Le plus grand secret d’Ebrar Karakurt a été révélé », titrait dans la foulée le quotidien Takvim, aligné sur la politique du président turc, parsemant l’article de remarques homophobes. « Elle n’a jamais déclaré publiquement qu’elle était homosexuelle, soutient pourtant Umut Uzun, membre de Kaos GL, une association qui lutte pour les droits LGBTQ+. Mais elle vivait ouvertement sa relation lesbienne sur ses réseaux sociaux. En fait, elle vivait juste librement sa vie. » Et c’est sûrement ce qui irrite le plus ses détracteurs : Ebrar Karakurt ne se dégonfle pas. En 2021, face à la vague lesbophobe qui la cible, la volleyeuse née le 17 janvier 2000 à Balikesir supprime la publication jugée « scandaleuse » par bon nombre de médias réactionnaires, mais continue de cultiver son look critiqué et se pointe avec une coupe ultracourte teinte en rose aux Jeux olympiques. Elle reçoit par ailleurs un élan de soutien de la part de ses coéquipières, de personnalités du monde du sport mais aussi artistique, dont certaines ne cachent pas leur soutien au président Recep Tayyip Erdogan.

La Turque Ebrar Karakurt se prépare à jouer un point lors du match du tour préliminaire féminin entre l’Italie et la Turquie aux Jeux olympiques de Tokyo, le 27 juillet 2021. Angela Weiss/AFP

En juillet dernier, quand le journal progouvernemental Yeni Akit la qualifie de « honte de la nation », elle répond par un message publié sur Twitter, reprenant le poète turc Ismet Özel : « Autour de mon cou se trouvent des bijoux faits de la honte de ceux qui m’imposent un jugement, la médaille d’or. » Umut Uzun veut y voir le symptôme d’une « génération Z plus sensibilisée aux enjeux actuels » et qui n’a pas honte de dévoiler son orientation à son cercle familial, présume-t-elle. « Après ces attaques haineuses, Ebrar Karakurt ne rejette ni ne renie son identité », selon la militante. Lorsqu’un internaute écrit il y a quelques jours sur le réseau X (anciennement Twitter) : « Réjouis-toi que nous, peuple musulman turc, continuions à te tolérer », l’attaquante publie dans la foulée une photo d’elle avec une pancarte portant le message « Lâche l’affaire, Abdulhamid », provoquant une onde de choc dans les milieux conservateurs, persuadés d’une attaque contre le dernier sultan de l’Empire ottoman. Surnommé le « sultan rouge » en raison des nombreux massacres qu’il a commandités, notamment à l’encontre des Arméniens, Abdulhamid II (1842-1918) est érigé en figure centrale auprès des nationalistes conservateurs turcs, voire en modèle du président actuel, adepte du néo-ottomanisme.

Nationalismes

La joueuse a beau corriger sa sortie médiatique, arguant qu’elle a choisi le prénom au hasard, la polémique s’impose comme l’illustration d’une société aux référentiels irréconciliables. « En fait, il ne s’agit pas seulement d’orientation sexuelle. C’est une guerre entre la laïcité et le conservatisme en Turquie. Ceux qui s’en prennent à Ebrar sont les mêmes qui s’attaquent à la consommation d’alcool, à l’organisation de concerts et de festivals ou à tout autre mode de vie laïc », avance Umut Uzun. D’autant que l’alliance ultraconservatrice que forme la majorité présidentielle s’empare régulièrement du sujet des minorités sexuelles comme d’un argument politique. Le président Recep Tayyip Erdogan a misé une bonne partie de sa dernière campagne sur ce thème, multipliant les sorties homophobes et s’alliant au parti d’extrême droite Yeniden Refah, dont l’une des promesses électorales était de fermer les associations pro-LGBTQ+.

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À leur arrivée à Istanbul, les Sultanes du filet n’ont pourtant pas hésité à flatter la fibre nationaliste chère à l’exécutif. « En tant que femme turque, je suis très fière de hisser notre drapeau à l’occasion du centenaire de notre République », a déclaré la volleyeuse Cansu Ozbay. Mais les joueuses ont préféré rendre hommage à Mustafa Kemal Atatürk, père de la Turquie moderne, au projet résolument laïc et tourné vers l’Occident, responsable aussi de massacres visant les minorités du pays au nom d’un nationalisme imposé. « Ebrar Karakurt est en fait une personne très nationaliste qui a été critiquée par certains segments de la communauté LGBTQ+ », précise Umut Uzun. Un trait de la volleyeuse qui a sans doute échappé à ses pourfendeurs.

Les joueuses de l’équipe de Turquie célébrant leur victoire après avoir remporté la finale de l’EuroVolley 2023 de volleyball féminin contre la Serbie, à Bruxelles, le 3 septembre 2023. Photo AFP

Elles ont beau avoir été accueillies en héroïnes à l’aéroport d’Istanbul. Elles ont beau avoir suscité l’effervescence du pays en remportant dimanche dernier la finale du championnat d’Europe féminin de volley-ball, premier titre jamais décroché par une équipe turque dans une compétition sportive européenne. Il fallait que l’opprobre tombe sur les « Sultanes du...

commentaires (1)

Euh... nous faudra-t-il donc une censure, type barbie, des matchs de basket turcs ou autre? Quel avenir réservons nous à nos bambins dans cet atmosphère ? Devrions-nous donc faire des équipes mixtes pour éviter la répétition de ce type de situation menaçante pour l'avenir de l'espèce bipède à l'intellect fragile....??... ché po...

Wlek Sanferlou

14 h 44, le 07 septembre 2023

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Commentaires (1)

  • Euh... nous faudra-t-il donc une censure, type barbie, des matchs de basket turcs ou autre? Quel avenir réservons nous à nos bambins dans cet atmosphère ? Devrions-nous donc faire des équipes mixtes pour éviter la répétition de ce type de situation menaçante pour l'avenir de l'espèce bipède à l'intellect fragile....??... ché po...

    Wlek Sanferlou

    14 h 44, le 07 septembre 2023

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