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Culture - Photo

Arpenter le désastre beyrouthin, caméra au poing, pour en conserver la mémoire

Trois ans plus tard, Matthieu Karam,  journaliste et Chef du service Actualités de "L’Orient-Le Jour" emmène les visiteurs de l’exposition « Under The Rug », qu’il présente jusqu'au 11 août à Dar al-Mussawir*, dans son parcours inlassablement répété, jour après jour, nuit après nuit, des rues de la ville aux lendemains de l’explosion du 4 août 2020.

Arpenter le désastre beyrouthin, caméra au poing, pour en conserver la mémoire

Une vieille Dodge de 1948, survivante de l’explosion du port, n’a pas bougé de son emplacement, comme figée dans le temps. Photo Matthieu Karam

Aurait-on tous oublié ces images de rues désertes et dévastées, de chaussées recouvertes de verre brisé, de bâtiments écroulés, de façades défoncées exhibant à travers leurs trous béants l’intimité de vies parties en vrille ?

Pensait-on avoir définitivement calfeutré, sous les couleurs pimpantes des bâtisses restaurées et l’apparent dynamisme retrouvé des quartiers impactés, les stigmates de cette tragédie qui a ravagé il y a trois ans la moitié de la capitale libanaise ?

Certes, pour survivre dans ce pays il faut aussitôt se relever, réparer, rebâtir et repartir - à chaque fois - à nouveau de l’avant… Mais qu’en est-il de la mémoire collective ? Quelles traces physiques conserveront les Libanais de l’une des plus grandes déflagrations (non nucléaires) au monde qu’aura subie leur capitale ? Quels vestiges, quelles empreintes mémorielles de cet événement meurtrier d’une ampleur inégalée parviendront dans 10, 15, 20 ans à la nouvelle génération, celle qui n’aura pas elle-même vécu l’explosion au port ?

C’est dans cette démarche entre photojournalisme et documentaire que le jeune Chef du service Actualités à L’OLJ Matthieu Karam, 33 ans, a élaboré l’exposition photographique Under The Rug (Sous le tapis) qu’il présente jusqu’au 11 août à Dar al-Mussawir, Hamra.

Beyrouth, ville fracassée. Photo Matthieu Karam

Une exposition dans laquelle il entraîne le public, à sa suite trois ans plus tard, dans le parcours allant de la rue d’Arménie aux rues Gouraud et Pasteur qu’il a réitéré, jour après jour, nuit après nuit, au cours des semaines et des mois qui ont suivi le funeste 4 août 2020.

Le verre brisé en fil conducteur

Mû par le besoin de saisir l’ampleur de la destruction de la capitale, de documenter sa dévastation, de garder trace du désastre, Matthieu Karam a sillonné, caméra au poing, les quartiers de Mar Mikhaël, Gemmayzé et Sursock, durement impactés par la double explosion au port. Il en a ramené une vaste collection de photos capturées en août, septembre et octobre 2020, avant le déclenchement des grands chantiers de restauration, dont il a choisi de dévoiler, dans ce premier accrochage sur cimaises, 13 uniquement.

Treize clichés de rues, en noir et blanc, souvent des vues nocturnes (réalisées après les horaires de bouclage du journal), qui ont pour fil conducteur la présence de débris de verre brisé… Et pour parti pris de ne jamais montrer directement le port ni les silos.

Car ce sont les séquelles urbaines que Matthieu Karam veut exhiber de l’oubli… En replongeant les visiteurs de son exposition directement dans le souvenir de la catastrophe qui a frappé le cœur de la ville, il y a trois ans. Et dans cet objectif, le journaliste n’a pas hésité à confronter 6 photos de cette série de 2020 avec leurs répliques (en plus petit format) prises au cours de ces derniers mois de 2023. Une manière paradoxale de mettre l’accent, à travers le témoignage de la vie qui a repris en apparence son cours normal, sur un quotidien beyrouthin qui a gardé d’imperceptibles lésions.

 Une voiture, une chaise et d’autres témoins muets…

Ces traces qui, d’une certaine façon, auront été trop hâtivement balayées sous le tapis – ce qui aura sans doute contribué au sentiment d’irresponsabilité des pseudo-responsables ! – le photographe les évoque subtilement dans les clichés de rues aujourd’hui passantes mais toujours porteuses d’un détail qui met l’œil en alerte.

Photo prise à la lueur d'une rare voiture de passage. Photo Matthieu Karam

Parmi les œuvres qui se détachent du lot : le « portrait » d’une vieille Dodge de 1948 garée directement en face du port de Beyrouth, symbolique survivante d’une explosion qui a tout emporté autour d’elle, et que l’on retrouve encore aujourd’hui dans son même emplacement à la rue Pasteur, comme éternellement figée dans le temps… Mais aussi des images prises de nuit, sans flash, à la lueur des phares d’une voiture ou des rares réverbères allumés, d’une chaise abandonnée sur la chaussée ou des échafaudages d’une ville - à jamais ? - fracassée… Des clichés qui, au-delà de leur visée de secoueurs de mémoire, dégagent une certaine aura poétique, comme une mise en relief de la puissance envoûtante du désastre… A découvrir absolument.

*« Under The Rug » de Matthieu Karam à Dar al-Mussawir, Hamra, jusqu’au 11 août ; du lundi au vendredi de 11h à 19h.

Aurait-on tous oublié ces images de rues désertes et dévastées, de chaussées recouvertes de verre brisé, de bâtiments écroulés, de façades défoncées exhibant à travers leurs trous béants l’intimité de vies parties en vrille ?Pensait-on avoir définitivement calfeutré, sous les couleurs pimpantes des bâtisses restaurées et l’apparent dynamisme retrouvé des quartiers...
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