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Culture - Concert

La « Missa Solemnis » de Beethoven, venue du cœur, qu’elle aille au cœur

L’une des dernières compositions du génie de Bonn, également l’une de ses plus monumentales, a figuré au menu de deux concerts présentés les 4 et 5 juillet à l’Assembly Hall de l’AUB par le chœur de l’USJ, l’orchestre des Jeunesses musicales au Liban en collaboration avec l’Orchestre philharmonique de l’Arménie, conduits par Yasmina Sabbah.

La « Missa Solemnis » de Beethoven, venue du cœur, qu’elle aille au cœur

Yasmina Sabbah, chef du chœur de l'USJ. Photo Vartan Seraydarian

Curieuse que cette Missa Solemnis qui n’est, au fond, pour moi, ni messe ni solennelle, mais plutôt colères et palpitations humaines. La composition de Beethoven a été interprétée lors de deux soirées consécutives, les 4 et 5 juillet, à l'Assembly Hall de l'Université américaine de Beyrouth (AUB) par le chœur de l’Université Saint-Joseph (USJ),  l’orchestre des Jeunesses musicales au Liban en collaboration avec l’Orchestre philharmonique de l’Arménie, conduits par la chef Yasmina Sabbah.

Les voix solistes sont reléguées dans la masse orchestrale. C’était, de toute évidence, l’intention de Beethoven (comme plus tard de Brahms en son requiem allemand). Ces passages où la voix s’isole ne sont jamais des solos d’opéra – même dans le Sanctus où le lyrisme est plus présent que nulle part ailleurs chez Beethoven –  mais seulement des voix isolant un bref instant les aspirations ou les craintes de l’humanité tout entière symbolisée par le chœur.

Ce dosage vocal inhabituel rend à l’œuvre tout son sens et trouve notamment sa justification dans le Dona nobis pacem, où l’on sait que le « soliste » va être submergé par l’assaut guerrier de l’orchestre avec trompette et timbale.

Dans une lettre datée du 5 juin 1822, Beethoven parle de la Missa Solemnis comme « l’œuvre la plus grande que j’ai composée jusqu’ici », soulignant lui-même le mot « grande ». Du point de vue du sentiment religieux, la Missa Solemnis a pu soulever bien des réserves. Il est clair que la religion du natif de Bonn n’est pas d’un catholicisme strict. Héritière de certaines théories philosophiques du XVIIIe siècle, elle procède d’un déisme influencé par Jean-Jacques Rousseau. Alors que le luthérien Bach n’éprouvait aucune gêne à développer largement le verset Et unam sanctam catholicam, le catholique, lui, l’expédie rapidement. De même, le Confiteor est escamoté au profit du Credo. Également insolites peuvent paraître les bruits de guerre qui soulèvent le Dona pacem et la finit plus interrogative que plutôt conclusive de cette messe.

Alexandru Constantin (baryton ), Béchara Moufarrej (ténor), Sofia Pavone (mezzo soprano) et Bénédicte Tauran (soprane). Photo Vartan Seraydarian


Avec cette belle interprétation ample et naturelle, Yasmina Sabbah nous a surpris par sa gestique métrique. Sa conception avant tout chorale (normal, elle est chef de cœur) et orchestrale répond certes aux intentions du compositeur. Mais tous ceux qui s’étaient habitués à une conception moins austère de l’œuvre pouvaient déchanter. La masse chorale était trop imposante par rapport à l’orchestre réduit par M. Joachim Linckeman (il est normalement constitué de deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, trois bassons, deux cors, quatre trompettes, trois trombones en plus des cordes et orgue), ce qui provoquait un déséquilibre et faisait qu’on n’entendait pas l’orchestre sauf lorsque le chœur ne chantait pas.

Il fallait, par conséquent, réduire le chœur aussi pour rétablir un meilleur rendu sonore. La chef impose à ses collaborateurs une sévérité de style. Plus de phrasés exquis, ni de nuances mielleuses, mais une direction ardente même presque prosaïque. Une trame sonore décortiquée, mais dénuée de sourires. Cela avance sans la lourdeur mais aussi sans autre souci que d’animer des masses sonores. L’émotion n’est pas le premier but et même dans le Sanctus on atteint une rigueur d’où l’effusion est bannie.

Quelques imprécisions rythmiques dans les énormes fugues du Gloria et du Credo, et il m’a semblé que le départ du Gloria n’était pas exempt de quelque bousculade.

Mais c’est là un signe de vie et son interprétation n’en est pas moins animée d’un élan intense et convaincant. Reste que sa version est d’une grande beauté avec des moments culminants de recueillement comme l’Incarnatus est, avec la flûte de Kevork Kechichian, symbolisant l’Esprit Saint par un oiseau. Le prélude instrumental du Benedictus est l’une des pages les plus géniales de Beethoven avec le violon solo de Mario Rahi. Et quelle ferveur Mme Sabbah sait prêter à la supplication du Qui tollis et à l’indicible cri de souffrance du premier Agnus et surtout avec quelle pénétration elle éclaire le sens si controversé de la double irruption militaire du « Dona nobis pacem ». Certes, le quatuor vocal n’est pas miraculeux mais au moins leur ensemble est homogène. Béchara Moufarrej (ténor) est d’une grande musicalité. Sofia Pavone possède un joli timbre de mezzo. Belles envolées lyriques de Madame Bénédicte Tauran (soprane). Quant à Alexandru Constantin (baryton et non basse), il nous a conquis par sa prestance et sa belle émission vocale. Leur rapport avec le chœur était remarquable, surtout lors de ce très beau moment où, à la fin du Credo, les guirlandes des voix solistes se déploient au-dessus des coups sourds du chœur homophone.




Le chœur de l’Université Saint-Joseph (USJ), l’orchestre des Jeunesses musicales au Liban en collaboration avec l’Orchestre philharmonique de l’Arménie, conduits par la chef Yasmina Sabbah à l'Assembly Hall (AUB). Photo Vartan Seraydarian

Quiconque a écouté d’une oreille attentive les confessions musicales du génial sourd de Bonn à travers sa Messe comprendra la simple grandeur des mots qui figurent en tête du manuscrit de ce chef-d’œuvre : « Von Herzen—Möge es wieder—Zu Herzen gehn ! » (Du cœur, puisse-t-elle revenir au cœur !).

Ainsi, ce qui est venu du cœur, n’est jamais revenu au mien.  






Curieuse que cette Missa Solemnis qui n’est, au fond, pour moi, ni messe ni solennelle, mais plutôt colères et palpitations humaines. La composition de Beethoven a été interprétée lors de deux soirées consécutives, les 4 et 5 juillet, à l'Assembly Hall de l'Université américaine de Beyrouth (AUB) par le chœur de l’Université Saint-Joseph (USJ),  l’orchestre des...

commentaires (2)

Cher Monsieur, Je vous trouve sévère et permettez moi de le dire, subjectif dans votre critique et vos commentaires. Vos 2 places réservées sont restées libres, et j’étais assis juste devant. Je me suis posé la question. Est-ce une réaction à un manque d’organisation de la part de l’accueil, ou est-ce une arrivée tardive ? Votre avis et article nous intéresse, mais j’ai l’impression qu’une pointe de subjectivité a empêché la pièce de toucher le cœur. Dommage. Le chœur de l’USJ et Yasmina ont été à la hauteur de l’œuvre, et bien évidemment, au delà du niveau du Liban. Ziad Mouawad Burgundy

Mouawad Ziad

10 h 45, le 06 juillet 2023

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Commentaires (2)

  • Cher Monsieur, Je vous trouve sévère et permettez moi de le dire, subjectif dans votre critique et vos commentaires. Vos 2 places réservées sont restées libres, et j’étais assis juste devant. Je me suis posé la question. Est-ce une réaction à un manque d’organisation de la part de l’accueil, ou est-ce une arrivée tardive ? Votre avis et article nous intéresse, mais j’ai l’impression qu’une pointe de subjectivité a empêché la pièce de toucher le cœur. Dommage. Le chœur de l’USJ et Yasmina ont été à la hauteur de l’œuvre, et bien évidemment, au delà du niveau du Liban. Ziad Mouawad Burgundy

    Mouawad Ziad

    10 h 45, le 06 juillet 2023

  • Sublime,on y a assisté ! Un demi-Dieu catholique,Beethoven!

    Marie Claude

    07 h 51, le 06 juillet 2023

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