La mort est au cœur de son recueil. Et l’amour. Dans les plis du jour, au creux des mots, dans l’ombre et la fureur, dans l’éclat du silence. Dans la joie aussi « se terre » la mort. Et l’amour pour la conjurer. Celle – irrémédiable, définitive – d’un frère parti trop tôt et qui revient de son enfance au moment où elle attend les résultats de ses analyses médicaux qui lui annonceront ou non sa propre mort – éventuelle, possible. Mais aussi celle de son pays. La poésie est au cœur de cette trinité. Dans le silence de chaque mot, dans les échos de chacune des lettres de l’alphabet qu’elle égrène à l’envers, du z jusqu’au a, pour ne pas « se taire », pour que la poésie remonte à la surface, comme pour confondre la source de toute chose avec son ultime finalité. L’origine, le chemin et la fin ; la mort qui fonde, la voie à la fois ténue et royale de la poésie et l’amour qui sauve.
Le recueil dont le titre annonce, ou plutôt interroge, la résurrection est lui-même un triptyque. Dans une première partie, le poète qui se trouve chez l’analyste entend la mort accidentelle et prématurée de son frère frapper trois coups à son propre miroir. Dans la deuxième, l’auteure écrit des lettres à son analyste pour l’interroger sur les mystères de l’écriture. Dans une troisième partie, elle entre en correspondance vivante avec Paul Éluard qui lui insuffle « une urgence poétique » à l’âge où elle « se cachait pour rêver ». Paris et Beyrouth échangent leurs mots et leurs morts. Paris, capitale du surréalisme et de la poésie ininterrompue. Beyrouth, capitale de la douleur et de la mort perpétuelle mais aussi de la résurrection par l’amour.
Tu me réveilleras lorsque je serai morte ? n’est pas un recueil de poésie dans le sens conventionnel du terme. Nayla Chidiac invente un subtil mélange, « buvard d’écolière », à la fois détonnant et paisible, qui lui est propre. Il est fait de récits, de souvenirs, de rêves, d’échanges épistolaires, d’évocations, de méditations dont le rythme singulier est poétique et dont les mots sont révélés/réveillés par la poésie.
Dans son abécédaire à reculons ainsi que dans la lettre à l’analyste, une pléiade impressionnante de poètes, d’écrivains et de musiciens est convoquée avec un naturel qui exclut sans équivoque tout pédantisme. On y rencontre des amis familiers, dont Soljenitsyne qui mangeait des champignons de Sibérie, Omar Khayyâm qu’elle oppose aux Islamistes, Hector Berlioz et sa symphonie fantastique et Jack London, et Samuel Becket, et Antonin Artaud, et Françoise Sagan, et Alain Robbe-Grillet et tant d’autres pour ne pas énumérer l’infini de la pensée… « Mon journal intime désormais sera ma peau avec dessus les baisers des hommes pour seule écriture. »
Tu me réveilleras lorsque je serai morte ? est le cinquième recueil de Nayla Chidiac. Elle invite les Libanais de l’intérieur à mieux connaître les talents inouïs de leurs frères et sœurs de l’exil qui sont peut-être l’avenir viable du Liban.
Tu me réveilleras lorsque je serai morte ? de Nayla Chidiac, Librairie-Galerie Racine, 2022, 150p.