Quelques jours après l’accord historique passé entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, c’est au tour de la Russie de tenter de s’imposer au cœur du jeu diplomatique entre deux pays brouillés : la Syrie et la Turquie. Depuis le début de la guerre civile syrienne, les tensions entre les autorités turques, soutien des forces rebelles syriennes, et le président Bachar el-Assad n’ont cessé de se multiplier. Mais à l’approche des élections générales en Turquie, les promesses faites par Recep Tayyip Erdogan d’organiser le retour des réfugiés syriens ainsi que de lutter contre les forces kurdes à la frontière turco-syrienne ont poussé le reis à envisager la reprise du dialogue avec son ennemi d’antan. Un scénario qui semble de plus en plus irréaliste sur le court terme. Très attendu sur le sujet, le dirigeant syrien a en effet posé de nombreuses conditions avant un potentiel rapprochement avec son homologue turc.
Les faits
• Le président syrien Bachar el-Assad s’est rendu mercredi à Moscou pour rencontrer son homologue russe Vladimir Poutine. La réunion a débuté à midi par un entretien entre les délégations, avant un tête-à-tête entre les deux dirigeants.
• Il s’agissait de la première visite officielle du dirigeant syrien à Moscou depuis septembre 2021.
• Au menu des discussions, entre autres : la reconstruction de la Syrie, la guerre en Ukraine (le dirigeant syrien a affirmé son soutien à l’offensive militaire menée par la Russie) et le rétablissement des relations turco-syriennes.
• Bachar el-Assad semble pour le moment fermer la porte à toute possibilité de normalisation avec son homologue turc, déclarant à l’agence de presse russe Ria Novosti l’envisager seulement « quand la Turquie sera prête, de manière claire et sans hésitation, à un retrait total (de ses soldats) du territoire syrien, à la cessation du soutien au terrorisme et au rétablissement de la situation telle qu’elle était avant le début de la guerre en Syrie ».
• « Pour qu’une telle rencontre (entre MM. Assad et Erdogan) se tienne, il faut d’abord plusieurs réunions préparatoires, qui sont en cours. Ce processus continue », a déclaré jeudi Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin.
Contexte
• Le Kremlin cherche à réconcilier Ankara et Damas, brouillés depuis le début de la guerre civile syrienne, participant ainsi au processus de normalisation de Bachar el-Assad. Une rencontre entre les deux présidents turc et syrien serait en outre appuyée par Téhéran, soutien du régime de Damas.
• La rencontre intervient dans un contexte de bouleversement de la géopolitique régionale. L’Iran et l’Arabie saoudite, deux ennemis historiques, ont signé vendredi 10 mars un accord bilatéral de normalisation, sous l’égide de Pékin. Une médiation qui avait échappé à la Russie qui voulait se poser en alternative au modèle américain dans la région.
• Dans le cadre de ce rapprochement, Moscou devait accueillir les vice-ministres des Affaires étrangères syrien, turc et iranien en vue de discussions quadripartites avec leur homologue russe dans le but de préparer une rencontre entre leurs ministres des Affaires étrangères, avant un éventuel sommet présidentiel. Une rencontre reportée à une date encore incertaine, a déclaré hier une source du ministère turc des Affaires étrangères. Le 28 décembre, les ministres de la Défense russe, turc et syrien s’étaient rencontrés à Moscou pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie.
• Le rapprochement turco-syrien a été initié par le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il était prêt à s’entretenir avec Bachar el-Assad. À l’approche des élections présidentielle et législatives en Turquie, le chef de l’État pousse pour un retour des réfugiés syriens dans leur pays au sein d’une zone tampon. Il avait menacé il y a quelques mois d’une incursion terrestre chez son voisin pour en repousser des groupes kurdes qualifiés de « terroristes », qu’il accuse notamment d’avoir mené l’attentat d’Istanbul en novembre dernier.
• Depuis 2016, la Turquie a mené quatre opérations militaires majeures en Syrie, ciblant notamment les zones contrôlées par les groupes kurdes, soutenus par Washington. La dernière intervention en novembre 2022 avait bénéficié du feu vert de Moscou en échange de la reprise des pourparlers entre les deux dirigeants turc et syrien.
• En janvier, M. Assad avait déclaré qu’un rapprochement avec la Turquie sous l’égide de la Russie devrait viser « la fin de l’occupation » par Ankara de certaines parties de la Syrie, une condition réitérée à l’issue de sa rencontre avec le président russe.
Enjeux
• La Turquie compte sur la médiation de la Russie, avec laquelle elle entretient de bons rapports, d’autant plus depuis l’invasion de l’Ukraine, pour se rapprocher de son ennemi syrien. En plus du retour des réfugiés syriens, dont le nombre s’élève à 3,6 millions depuis le début de la crise syrienne, le président turc espère ainsi pouvoir sécuriser sa frontière sud en repoussant les groupes kurdes qu’il voit comme une menace sécuritaire.
• En fermant la porte à la Turquie, Bachar el-Assad inflige cependant un camouflet au reis. L’animosité entre les deux dirigeants avait pris une autre tournure après que Recep Tayyip Erdogan avait qualifié en 2017 le président syrien d’« assassin » en lui imputant la responsabilité d’attaque chimique qui a fait des dizaines de morts. Alors que le reis joue sa réélection en mai prochain, son homologue syrien semble ne pas vouloir lui faire de cadeau et mise sur la défaite de celui qu’il accuse d’être à la tête d’un « État occupant ».
• De son côté, Moscou encourage la réconciliation entre les deux ennemis afin de bénéficier des retombées d’une victoire diplomatique, alors que la Russie est isolée sur la scène internationale depuis son offensive en Ukraine. En contribuant ainsi à la réhabilitation de Bachar el-Assad, Moscou espère aussi le voir réintégrer le giron arabe, ouvrant la porte à des investissements et à des fonds pour la reconstruction du pays, dont il pourrait bénéficier.
• Les deux pays pourraient trouver un point d’accord sur leur ennemi commun : les forces kurdes, notamment les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par Washington dans la lutte contre Daech. Une offensive turque pourrait ainsi permettre au régime syrien de se débarrasser progressivement de la présence américaine, quelque 900 soldats étant déployés dans le nord-est de la Syrie. « Poutine compte sur l’opposition turque et syrienne aux Kurdes soutenus par les États-Unis pour “unir” Erdogan et Assad », soutient Eleonora Tafuro, spécialiste de la Turquie et chargée de recherche à l’Institut italien pour les études en politique internationale.
• En fermant la porte à la Turquie, le dirigeant syrien semble avoir voulu profiter de l’affaiblissement de la Russie du fait de la guerre en Ukraine pour imposer ses conditions. Mais le régime reste encore très dépendant du soutien russe : « La Russie n’est pas affaiblie au point qu’Assad puisse sérieusement tirer parti de la situation. Il a encore beaucoup besoin de Poutine militairement, économiquement et politiquement. Et pourtant, il n’est pas prêt à céder à toutes ses demandes, surtout si ce dernier subit de plus en plus de pertes sur le champ de bataille en Ukraine », avance Eleonora Tafuro.
commentaires (7)
Bacharmout*
Tania
23 h 47, le 17 mars 2023