Dans l’ouest de l’Arabie saoudite, des pèlerins musulmans se rendent à la ville sainte de La Mecque à bord d’un train à grande vitesse conduit par une femme, sur fond de réformes sociales dans ce pays ultraconservateur qui cherche à accroître sa main-d’œuvre féminine.
Dans la riche monarchie du Golfe qui suit une application rigoriste de la loi islamique, les femmes n’ont obtenu le droit de conduire qu’en 2018. Mais, à 25 ans, Tharaa Ali a voulu passer à la vitesse supérieure, après s’être contentée de sillonner, avec la berline familiale, sa ville natale de Djeddah, près de La Mecque. « Le premier jour de travail ici a été comme un rêve pour moi : entrer dans le train, dans la cabine », confie cette ancienne prof d’anglais. Tharaa Ali figure parmi les 32 nouvelles conductrices retenues par les autorités sur une liste de 28 000 candidates.
Objectif de la mission : parcourir en deux heures les 450 kilomètres séparant les villes saintes de La Mecque et de Médine à une vitesse pouvant atteindre 300 kilomètres par heure. La jeune Saoudienne a d’abord pris « peur ». « Mais, Dieu merci, avec le temps et une formation intensive, j’ai pris confiance en moi », raconte-t-elle.
La part des femmes saoudiennes dans la population active a plus que doublé depuis 2016, passant de 17 % à 37 %, à la faveur du nouveau discours officiel plus favorable à l’inclusion des femmes, promu par le prince héritier Mohammad ben Salmane dont le pouvoir réprime parallèlement les militantes féministes.
Aucune différence
Le taux de chômage des Saoudiennes reste néanmoins élevé, atteignant 20,5 % l’an dernier, contre 4,3 % pour les hommes, poussant les autorités à privilégier l’embauche de leurs citoyennes au détriment des nombreux immigrés qui, jadis, effectuaient les métiers les moins qualifiés.
Le « défi » qui était d’abord « d’encourager des femmes à rejoindre la population active » ayant été relevé, il s’agit désormais de « créer un nombre suffisant d’emplois pour les milliers de Saoudiennes qui entrent sur le marché du travail », explique Meshal Alkhowaiter, économiste saoudien basé aux États-Unis. Mais certains usagers restent à convaincre. À la fin d’un voyage à Médine, une passagère a refusé de croire que les femmes pouvaient conduire un train jusqu’à ce qu’elle le voie de ses propres yeux, raconte Raneem Azzouz, une conductrice récemment recrutée. « Elle a dit : “Franchement, quand j’ai vu l’offre d’emploi, j’étais totalement contre. J’ai dit que si ma fille devait me conduire, je ne monterais pas avec elle” », se souvient la jeune femme. Une fois le voyage terminé, la passagère sceptique l’a félicitée, l’assurant qu’elle n’avait ressenti « aucune différence » par rapport à la conduite masculine.
Les conductrices sont « hautement qualifiées et ont prouvé leur valeur pendant leur formation », se réjouit Rayan al-Harbi, vice-président de la Saudi Railway Company, l’entreprise publique des chemins de fer. « C’est la preuve que les femmes saoudiennes ont toutes leurs capacités lorsqu’on leur donne les moyens de remplir les mêmes fonctions que leurs frères », poursuit le responsable.
Majorité favorable
D’autres ne sont toujours pas convaincus. Mohammad Issa, un pèlerin qui a récemment pris le train depuis l’aéroport de Djeddah, estime que les femmes devraient se consacrer aux tâches ménagères. « Si la femme est absente du foyer, et évidemment le travail l’en éloigne, qui jouera son rôle ? » s’interroge ce fonctionnaire des Émirats arabes unis voisins.
Mais de telles réactions sont rares, estiment les observateurs de la société saoudienne, bien que les sondages indépendants soient impossibles à réaliser dans le pays. « On ne peut pas s’attendre à ce qu’une population entière soutienne toutes les politiques du pays », fait remarquer Najah Alotaibi, chercheuse au King Faisal Center for Research and Islamic Studies, un centre de réflexion. « Mais la majorité des gens sont favorable au changement », assure-t-elle.
Les nouvelles conductrices de train préfèrent elles aussi se concentrer sur les retours positifs, comme les nombreux voyageurs qui leur demandent des selfies après chaque voyage. À Djeddah, Tharaa Ali se félicite : les passagers la remercient souvent car « le voyage s’est passé sans encombre ».
A quoi sert de commenter si on est incapable de changer ce qui nous choque ! Je suhaite que les responsables comprennent leur devoir envers notre nation !
10 h 53, le 01 février 2023