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Culture - Performance

Quand Alaa Minawi vous invite dans une maison qui n’est pas la sienne...

Dans sa dernière création « 2048 – Identité en dissolution », l’artiste libano-palestinien partage avec son public les questions qui le taraudent sur les notions d’appartenance, de non-appartenance et d’auto-invisibilisation des minorités...

Quand Alaa Minawi vous invite dans une maison qui n’est pas la sienne...

Alaa Minawi, une identité souvent vécue dans l’ombre. Capture d’écran d’une vidéo réalisée par Alaa Minawi

Il est 19h dans le « jardin Laziza » face au Kalei Café à Mar Mikhaël : une douzaine de personnes entament une déambulation silencieuse dans l’obscurité pluvieuse de cette nuit de janvier. Trois minutes de marche, guidées par Google Maps à travers un dédale de petites rues, et les voilà qui s’engouffrent dans l’entrée d’un immeuble banal, grimpent au second étage, où une clef laissée dans la serrure leur donne librement accès à un appartement… Vide de toute présence humaine.

C’est là que Alaa Minawi a décidé de réunir, par petits groupes successifs, tous ceux qui répondront, au cours de ce week-end encore*, à son étrange invitation formulée comme suit : « Alaa vous invite dans une rue qui n’est pas sa rue, dans une maison qui n’est pas sa maison, dans un pays qui n’est peut-être pas son pays. » Une invitation inhabituelle pour une performance dramatique assez singulière, au cours de laquelle l’artiste jouera les hôtes invisibles et cependant omniprésent, guidant ses « invités » au moyen de textos WhatsApp (en mode messagerie groupée) pour les amener à agir et interagir ensemble à ses injonctions de visiter les lieux, de se les approprier et de s’y installer confortablement… Pour mieux ressentir, au fil des souvenirs personnels qu’il partagera avec eux, l’impact des notions d’appartenance et de non-appartenance sur nos destinées individuelles…

« 2048 – Identité en dissolution », une performance immersive de l’artiste visuel libano-palestinien Alaa Minawi. Photo Chiara Ferilli

« Fattouche » et autres appartenance…

Au cœur de toutes les œuvres de cet artiste visuel se profile une inlassable quête identitaire. Sensible à cette thématique qui le concerne particulièrement, Alaa Minawi, né de père palestinien et de mère libanaise, explore depuis 2018, à travers différents projets, la notion d’espace identitaire. Cette quête développée sous des approches diverses et variées (politique, sociale, philosophique) a donné naissance à un cycle de 3 installations performatives réunies sous le titre générique de 2048 qui vont aboutir à cette dernière performance « 2048 – Identité en dissolution » au ton, cette fois, éminemment personnel. Car le jeune homme qui ne cesse de s’interroger sur la teneur de son sentiment d’appartenance (Suis-je un Palestinien au Liban ? Un Libanais aux Pays-Bas ? Un Libano-Palestinien aux yeux de certains ? Un Palestinien à 80 % et Libanais à 20 % pour d’autres ?) va livrer dans cette nouvelle pièce, à un public qu’il prend en quelque sorte pour témoin, toutes ces questions qui le taraudent sur les notions d’appartenance identitaire et d’auto-invisibilisation des minorités…

Que signifie vraiment appartenir ?

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Est-ce important d’appartenir à un pays, un lieu, une communauté ? Et si cette notion d’appartenance et de non-appartenance n’existait pas, quel genre de vie aurions-nous ? Ce concept s’incarne-t-il nécessairement dans un espace physique ? Et dans ce cas, quel serait cet espace : celui où s’est déroulée notre enfance ou celui d’où viennent nos parents ?

Et qu’est-ce qui trahit l’appartenance : une couleur de peau ? Un accent ? Une attitude en retrait ou pas ?

Un goût ou une façon particulière de préparer le fattouche par exemple ?

Autant de questions que Alaa Minawi va soulever, directement ou indirectement, au moyen de souvenirs personnels marquants de son enfance, son adolescence, puis de sa vie de jeune adulte, égrenés comme autant de bornes émotionnelles qui exposent au public les ramifications de l’incapacité des mères libanaises à accorder la citoyenneté à leurs enfants.

Une performance qui commence par une déambulation nocturne du public dans les ruelles de Mar Mikhaël. Photo Chiara Ferilli

De la force de l’invisibilité

Car tout part de là chez Alaa Minawi. Du fait qu’« au Liban, les gens ne veulent pas parler du droit des mères à donner la citoyenneté à leurs enfants. Et s’ils le font, ils ne veulent sûrement pas parler du droit des enfants palestiniens d’avoir la citoyenneté de leurs mères libanaises », martèle le jeune homme. Une ostracisation qui va entraîner chez certains une attitude de retrait, un comportement d’effacement. Gommer son accent, ne pas révéler ses origines, surtout ne pas se faire remarquer… « Oui, j’ai dû cacher mon identité pendant de nombreuses années et cela donne presque l’impression qu’être invisible est une bonne chose, avoue l’artiste. Le théâtre et l’art de l’installation étaient un excellent moyen de briser cela et d’être visible. Mais, reprend-il, je repense encore à toutes les fois où je me suis caché et j’ai pensé qu’il y avait beaucoup de gens dans différents contextes qui faisaient la même chose. Qui créent un monde et une communauté invisibles qui les protègent des systèmes et des rhétoriques oppressifs. Sauf que l’invisibilité conduit à la dissolution des identités minoritaires… »

Et se clôture par un dîner partagé. Photo Chiara Ferilli

Dans cette pièce où l’artiste, absent physiquement, mène totalement le jeu, la notion de pouvoir traditionnellement liée à la visibilité est ainsi totalement renversée. Grâce à cette performance immersive et interactive, partageuse d’expériences et d’émotions sensibles, mais aussi ludiques avec son public-acteur et témoin, Alaa Minawi prend enfin conscience du pouvoir de l’invisibilité… Volontairement choisie et assumée. Avec « 2048 – Identité en dissolution », la boucle est bouclée. L’artiste a fait sa catharsis en douceur. Il pourra désormais passer à d’autres thèmes. Peut-être...

* Jusqu’au 22 janvier puis du 7 au 18 février.

En semaine : deux représentations par jour à 19h et 21h. Et les week-ends (trois représentations) : 17h, 19h et 21h. Billets en vente : dans toutes les branches de la Librairie Antoine ou sur Antoine Ticketing Online. Les places sont limitées.

Beyrouth-Amsterdam-Beyrouth

Alaa Minawi a étudié l’informatique, la communication et la scénographie à Beyrouth. Il travaille depuis de nombreuses années dans le domaine du théâtre en tant que concepteur lumière, scénographe, artiste d’installation et performeur. Les contextes sociopolitiques ont toujours été au cœur de son travail, que ce soit directement ou indirectement. Basé depuis quelques années aux Pays-Bas, il revient régulièrement présenter ses créations au Liban. Dont cette dernière « 2048 – Identité en dissolution », quatrième et dernière partie d’une série d’installations performatives qu’il a entamée en 2018. Et qu’il présente alternativement à Beyrouth, Amsterdam et à nouveau Beyrouth.

Il est 19h dans le « jardin Laziza » face au Kalei Café à Mar Mikhaël : une douzaine de personnes entament une déambulation silencieuse dans l’obscurité pluvieuse de cette nuit de janvier. Trois minutes de marche, guidées par Google Maps à travers un dédale de petites rues, et les voilà qui s’engouffrent dans l’entrée d’un immeuble banal, grimpent au second...

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