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Monde - Témoignages

À Kaboul, les femmes privées d’avenir

Dernières restrictions en date pour poursuivre l’effacement des Afghanes de l’espace public : l’interdiction d’accès aux études universitaires et du travail au sein des ONG.

À Kaboul, les femmes privées d’avenir

Manifestation à la suite des restrictions imposées aux femmes aux universités. Photo AFP

Donya* se doutait que quelque chose se tramait. Chez elle, occupée à passer son temps sur Twitter, la jeune résidente de Kaboul tombe sur l’annonce. Elle n’y croit pas ou plutôt ne veut pas y croire. Puis les messages de ses collègues et de ses amis abondent. C’est officiel. Dans le sillage de mesures visant à réduire à néant le droit des femmes, les talibans ont interdit samedi dernier aux Afghanes de travailler au sein d›organisations non gouvernementales.

Immédiatement, Donya et ses cinq collègues appellent leur employeur qui leur demande de ne plus venir jusqu’à nouvel ordre. La jeune femme de 22 ans s’effondre devant sa mère. « Je n’arrivais plus à me contrôler », affirme-t-elle. Sa mère étant atteinte d’un cancer, Donya était la seule à subvenir aux besoins de sa famille, alors que l’Afghanistan s’enfonce dans une crise économique et humanitaire qui s’est accélérée depuis la prise du pouvoir par les talibans le 15 août 2021. Cette interdiction met à risque de nombreux foyers, alors que, selon l’ONU, 95 % de la population ne mange pas à sa faim, soit deux fois plus que la moyenne des trois années précédentes. Pour les foyers où la femme est la seule à subvenir aux besoins, il atteint presque les 100 %. Plus largement, c’est aussi la société qui en paiera le prix. Dans un rapport publié en octobre 2022, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a estimé que la perte liée aux restrictions de travail des femmes pourrait atteindre sur le court terme un milliard de dollars, soit 5 % du PIB du pays.

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« Deux tiers de la population ont besoin d’assistance humanitaire en Afghanistan », explique Adam Combs, directeur Asie et Amérique latine du NRC. Au moment de la transition des talibans, l’économie afghane reposait essentiellement sur les aides internationales qui représentaient 75 % des dépenses gouvernementales et 40 % du PIB. Mais nombre de donateurs étrangers ont cessé leurs aides depuis, et les retombées de cette dernière interdiction, fustigée par la communauté internationale, ne se sont pas fait attendre. Nombre d’ONG internationales ont décidé de suspendre temporairement leurs opérations dans le pays, notamment CARE, Save the Children et le Norwegian Refugee Council, mais aussi Afghanaid et le International Rescue Committee. « Nous avons pris cette décision car il nous est impossible de continuer à aider les Afghanes sans nos employées », continue Adam Combs, rappelant la séparation forcée des activités dédiées aux femmes et aux hommes.

Un groupe de femmes voilées dans la capitale afghane, le 28 décembre. Photo AFP

« Nous n’avons plus rien »
Alors que les opportunités d’emploi pour les Afghanes étaient déjà minces, cette décision est vécue comme un coup de massue. Même si elles s’y attendaient. « Ils nous ont empêchées de travailler en politique, au sein du gouvernement, dans les banques… Maintenant, nous ne pouvons plus exister… Ce qu’ils font n’a rien à voir avec l’islam. C’est une guerre contre la femme », déplore Donya. Cela faisait cinq mois qu’elle était employée dans une ONG locale. Depuis une semaine, la jeune vingtenaire reste cloîtrée chez elle. « Je ne vais pas bien… Nous n’avons plus rien. »

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Depuis la chute de Kaboul, les talibans font tout pour effacer la femme de l’espace public, malgré leur promesse de ne pas revenir à leur pratique ultrarigoriste de la charia. Mais le naturel est vite revenu au galop. Depuis le 18 novembre, plus de 100 femmes et hommes ont été fouettés dans les stades. Il y a trois semaines, la première exécution en public a eu lieu. Au fil des mois, graduellement, ils ordonnent que femmes et hommes soient séparés à l’université, qu’elles se couvrent de la tête aux pieds et soient accompagnées par un gardien pour les longs trajets. Parcs, salles de sport et bains publics leur sont interdits. Au mois de mars, les Afghanes n’ont plus le droit d’aller au collège. Selon les chiffres de l’Unicef, environ 850 000 Afghanes ont dû arrêter leur éducation. Un énième coup fatal tombe le 20 décembre : les talibans interdisent aux Afghanes les études supérieures. Les professeures, elles, sont privées de donner des cours.

Une femme et sa fille dans une rue de Kaboul. Photo AFP

« Le pire reste à venir »
Sana n’a pas pu s’empêcher d’accourir à son établissement quand elle apprend avoir été bannie des bancs universitaires. Comme si elle devait le voir pour le croire. Arrivée sur place, l’accès lui est bloqué. « C’est comme si on me plantait un couteau dans le cœur », raconte la jeune femme de 22 ans inscrite à l’Université de Kaboul en économie. Sana avait déjà été interdite de poursuivre son stage au ministère de l’Économie lors de la prise de la capitale. L’étudiante tente maintenant de s’inscrire auprès d’une université en ligne pour contrer cette décision. Pour sa part, c’est dans la rue que Khatira tente de changer la donne. La jeune femme de 21 ans a participé à une manifestation pour protester contre cette décision près de l’université. « Ils ont arrêté des activistes et frappé toutes les femmes. Mon amie et moi avons pris la fuite par peur des représailles », raconte celle qui a perdu son emploi et tout espoir d’éducation. Depuis, c’est son père, malade, qui est le seul à pouvoir subvenir aux besoins de sa famille de six. A l’instar de Khatira, Zahar*, étudiante en langue russe, ne peut pas poursuivre ses études. Pas de surprise pour cette dernière. Toutes les mesures en amont laissaient présager de la suite. Lorsque les talibans arrivent au pouvoir, les Afghanes étaient toujours autorisées à continuer leurs études universitaires à condition qu’elles dissimulent leur chevelure sous un voile, leur visage derrière un masque noir et leur corps par des habits sombres et amples. « Un taliban est venu en classe et nous a dit : «Oubliez tout ce que vous faisiez dans le passé, maintenant, il y a de nouvelles règles. Vous devez porter le hijab pour être de bonnes musulmanes»… » se remémore Zahar, qui se plie aux règles. Elle était prête à tout accepter, du moment qu’elle pouvait poursuivre ses études. « Malheureusement, ce n’était pas suffisant pour eux », s’insurge-t-elle. Déjà, certains masters avaient été supprimés des universités. C’est pour cela que Freshta, étudiante en sociologie âgée de 24 ans, a dû arrêter ses études. Seul un master en littérature était accessible aux femmes dans son université. Depuis plus d’un an, Freshta sort à peine de chez elle. « Mes parents ont peur pour moi », raconte-t-elle. Dans les ruelles, près de chez elle, les talibans armés sont partout. Depuis la chute de Kaboul, ses journées se résument à prier, faire le ménage, peindre et lire. « C’est un cauchemar éveillé », dit-elle. Dans les rues, les gens osent à peine murmurer, la musique est interdite et les couleurs ont disparu. La jeune femme pense parfois au suicide.

Zahar, Sana, Khatira ou Donya le savent : « Le pire reste à venir. » Donya se rêvait journaliste, comme sa mère qui travaillait pour un média américain avant que Kaboul ne tombe aux mains des talibans. Avec sa famille, elles ont essayé de fuir le pays. Mais en vain. Pour toutes ces femmes, fuir semble être la seule issue à cet « enfer sur terre ». « Je ne veux pas que ma vie soit contrôlée par des hommes. J’ai peur et j’en deviens malade rien qu’en pensant à ce qui nous arrive et à ce qui nous attend », souffle Donya.

* Les prénoms ont été modifiés

Donya* se doutait que quelque chose se tramait. Chez elle, occupée à passer son temps sur Twitter, la jeune résidente de Kaboul tombe sur l’annonce. Elle n’y croit pas ou plutôt ne veut pas y croire. Puis les messages de ses collègues et de ses amis abondent. C’est officiel. Dans le sillage de mesures visant à réduire à néant le droit des femmes, les talibans ont interdit samedi...

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