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Sport - Disparition

Et le football fut...

Le Roi Pelé, de son vrai nom Edson Arantes do Nascimento, est décédé ce jeudi à 82 ans, des suites d’un cancer du côlon. Ce n’est pas une icône parmi d’autres que le monde du sport vient de perdre, mais certainement la plus grande d’entre elles. Outre ses buts, ses titres et ses records qui ont forgé sa légende sous les couleurs du FC Santos et de la Seleção, le numéro 10 brésilien est surtout l’initiateur du phénomène culturel planétaire qu’est devenu le football.

Et le football fut...

Pelé, sous le maillot de Santos, avant de participer à un match amical contre le Racing Club de Paris, à Colombes, en banlieue de la capitale française en 1961. Photo d’archives AFP

On dit souvent que les meilleurs partent les premiers. Chaque règle a son exception. À 82 ans, Pelé a longtemps lutté avant d’abdiquer face à la maladie. D’ailleurs, depuis un mois, et le début de sa nouvelle admission en soins intensifs à l’hôpital Albert-Einstein de São Paulo, on ne savait plus très bien s’il fallait espérer ou non que son règne se prolonge encore un peu.

Son cœur aura tenu juste ce qu’il faut pour passer un dernier Noël entouré de ses proches, qui se sont succédé à son chevet ces derniers jours. Juste ce qu’il faut aussi (onze jours très précisément) pour assister à une ultime finale de Coupe du monde, l’événement qui convoquait tous les quatre ans depuis un demi-siècle le souvenir de sa gloire éternelle.

Il ne s’agit pas seulement de pleurer la disparition du « meilleur » joueur de tous les temps, mais bien du « plus grand ». Malgré les sempiternelles empoignades à ce sujet, dont le verdict varie au gré des nationalités et des générations auxquelles appartiennent les participants, ce matin, la réponse a rarement paru aussi limpide.

Deux ans après le décès de Diego Maradona, le seul à avoir tutoyé des cimes équivalentes, Pelé rejoint celui avec qui il restera éternellement associé. « J’espère qu’on pourra jouer ensemble au ciel », avait écrit le Brésilien après l’annonce du décès du « Pibe de Oro », de vingt ans son cadet. Et comme l’avait décrété le gouvernement argentin à l’époque, trois jours de deuil national seront observés à compter de ce vendredi au Brésil.


Pelé et Diego Maradona dans un hamac lors d’une réception à Rio de Janeiro, au Brésil, en 1995. Photo Reuters

À jamais le premier

Unis dans la grandeur, celle d’avoir atteint le rang de mythes vivants du ballon rond auquel Cruyff, Zidane, Platini ou même Messi, tout juste auréolé de sa première couronne mondiale, ne peuvent encore prétendre, ils resteront, peut-être pour toujours, une sorte de valeur-étalon à l’aune de laquelle seront jugés tous leurs soi-disant successeurs. Si on fait le bilan des courses, la décennie et demie de duel entre « la Pulga » et « CR7 » pèse-t-elle si lourd que ça dans la balance ? Pas sûr.

Trêve de digressions, dans tous les cas personne ne fera l’unanimité aujourd’hui. À défaut, nul ne pourra nier que le natif de Três Corações (« Trois Cœurs »), cité minière du sud de l’État de Minas Gerais où il vit officiellement le jour le 23 octobre 1940, restera « à jamais le premier ».

De très grands noms l’avaient déjà précédé, plus encore, comme on l’a dit, lui ont emboîté le pas, mais Edson Arantes do Nascimento n’est autre que celui qui a impulsé le changement de dimension du football. Celui qui l’a, par un subtil alliage de technique, d’adresse, de vitesse, de force athlétique et de charisme devant les caméras, fait entrer de plain-pied dans la modernité, tout comme son pays, qui n’était qu’alors qu’un simple exportateur de produits agricoles.

À l’heure où s’invitent les tubes cathodiques dans un nombre croissant de salons et de salles à manger (en France, environ 10 % des foyers en étaient équipés), la Coupe du monde 1958 fait office de premier souvenir footballistique universel. Et quelle ne fut la surprise du public suédois et des millions de téléspectateurs en voyant danser avec autant d’aisance un môme d’à peine 17 ans au milieu des solides défenses européennes.

Plutôt habitué à la robustesse du « English Game », le Vieux Continent voyait soudainement débarquer Pelé, Garrincha, Zagallo, Vavá et consorts avec leur « futebol » (avec l’accent s’il vous plaît). Un éveil, parachevé d’un chef-d’œuvre individuel qu’aucun autre but inscrit lors des finales suivantes n’est sans doute parvenu à égaler sur le plan esthétique.

Pas grand monde peut en effet s’asseoir à la table de ce coup du sombrero (désignant le fait de dribbler son adversaire en faisant passer le cuir au-dessus de sa tête) conclu par une reprise de volée permettant au Brésil d’égaliser à un but partout face à la Suède. Et ainsi d’ouvrir la voie à la première étoile mondiale des auriverde, effaçant quelque peu le drame national de la finale perdue à domicile contre l’Uruguay huit années plus tôt.

« Trésor national »

On l’aura compris, Pelé est l’homme des premières fois. Le premier, d’abord (et le seul jusqu’à ce jour), à avoir glané trois titres planétaires, dont deux d’affilée, en 1958 et 1962 (bien qu’il n’ait que modestement contribué au deuxième, blessé dès le second match de poules contre la Tchécoslovaquie).

Le premier, aussi, à avoir battu presque tous les records, dont certains tiennent encore près de 50 ans plus tard. En empilant les titres et les buts sous la tunique du FC Santos, qu’il rejoint en 1956 et fait passer d’un club de seconde zone en un rouleau compresseur raflant pléthore de sacres nationaux, continentaux et internationaux, il atteint le 19 novembre 1969 au stade Maracana la barre mythique du millier de buts inscrits en carrière.

La scène fut des plus incongrues : après avoir transformé le penalty qu’il avait lui-même obtenu, une nuée de flashes et de micros débarquent en plein milieu de la pelouse, l’obligeant à répondre à une série d’interviews interrompant la rencontre contre Vasco de Gama pendant de 30 minutes.

En réponse aux convoitises des plus prestigieuses écuries européennes, le Brésil balaye même la possibilité de voir son joyau évoluer dans un championnat étranger. « Tant que je serai président, Pelé ne sera pas à vendre. Il est un trésor national », avait clos le président du FC Santos.

Mais ce dernier est néanmoins loin d’être assigné à résidence. Dans le cadre des multiples tournées promotionnelles organisées par la direction du club de la banlieue de São Paulo, Pelé et ses coéquipiers traversent les mers et les océans tels de véritables ambassadeurs du football auriverde.

1 281 buts

Des tours du monde quasi annuels qui les amèneront à se produire en spectacle sur les pelouses de tous les continents, y compris celles du Moyen-Orient : Le Caire, Doha, Dubaï, Koweït City, Khartoum, Riyad... toutes les capitales s’arrachent les services de ces nouveaux VRP du ballon rond. Érigé en icône absolue du premier sport mondialisé, Pelé remplit les stades partout où il passe, et ce jusqu’au crépuscule de sa carrière.

En plus des 1 281 buts qu’il affirme avoir inscrits en 1 363 rencontres (un total revu à la baisse par la FIFA qui n’a homologué « que » 767 sur 831 matchs officiels), Pelé peut surtout revendiquer la paternité de toute une panoplie de gestes techniques ayant, à quelques exceptions près, inspiré des générations entières de dribbleurs.

Au Mexique en 1970, à l’occasion de sa quatrième et dernière Coupe du monde – à laquelle il prit part après avoir été « convaincu » de sortir de sa retraite internationale par la junte militaire ayant pris le pouvoir au Brésil depuis le coup d’État de 1964 –, il s’illustrera, une dernière fois, en mondovision, à l’aube de sa trentaine.

Toutefois, ces premières retransmissions en couleur à la télévision sont loin d’être les témoins les plus fidèles de l’étendue de son génie inégalable, tant l’organisme de « la perle noire » était déjà, à vingt-neuf ans, esquinté par les saisons à rallonge, frôlant parfois la centaine de matches. Mais s’il n’a plus le coup de rein de ses jeunes années, personne ne lui arrive encore à la cheville.

Ses nouvelles fulgurances seront justement à l’origine des tentatives manquées les plus folles de l’histoire. De quoi pousser les commentateurs à employer des expressions à la frontière de l’oxymore, seule façon de qualifier avec justesse ses prouesses, telles que : « Quel raté magnifique ! » Comme ce fut le cas en demi-finale du Mondial 1970, où le public du stade de Guadalajara a eu la chance d’admirer le plus beau des « grands ponts ».


Pelé célébrant son but ouvrant le score en faveur du Brésil lors de la finale de la Coupe du monde 1970. Photo Action Images/Sporting Pictures

« Ce but que Pelé n’a pas marqué » Cette feinte génialissime improvisée par Pelé pour dribbler Mazurkiewicz, le gardien uruguayen, sans même toucher le ballon, avant de le récupérer quelques mètres plus loin et de manquer le cadre pour quelques centimètres. Une action d’anthologie à laquelle on doit cette expression devenue célèbre : « Ce but que Pelé n’a pas marqué. »

Dans la même veine, sa frappe du milieu de terrain frôlant le montant du portier tchécoslovaque tentée quelques jours plus tôt lors du match inaugural de la Seleção avait provoqué un ébahissement similaire. Aujourd’hui, tout le monde a déjà vu, au moins une fois dans sa vie, un joueur lober le gardien adverse à longue distance. Mais à l’époque, peu étaient celles et ceux qui avaient assisté à un geste d’une telle audace.

S’il l’était souvent sur le terrain, audacieux n’est pas le premier qualificatif que les Brésiliens ont employé pour qualifier son comportement en dehors. Surtout lorsqu’il s’agissait d’aborder l’épineuse question de ses rapports avec la junte militaire. Apolitique, trop parfois, il n’a jamais refusé les mains tendues par les généraux, dont celle de Garrastazu Médici (président entre 1969-1974) lors des célébrations de ce troisième titre mondial acquis au terme de ce qui était unanimement considéré comme la plus grande finale de tous les temps : 4-1 contre l’Italie, avec un but et deux passes décisives pour Pelé, et un niveau de jeu rarement atteint par une sélection nationale.

Le France-Argentine édition 2022 au Qatar viendra peut-être remettre en cause cette hiérarchie solidement établie. D’autant qu’avec son triplé retentissant, Kylian Mbappé continue de s’inscrire dans les temps de passage de son glorieux aîné, dont il n’a pas manqué de saluer la mémoire, comme l’intégralité de la planète football sur laquelle pleuvent les messages d’adieu et les hommages en tout genre depuis l’annonce de son décès jeudi soir.

Alors qu’il vient de souffler ses 24 bougies, le Parisien a certes déjà égalé son total de 12 réalisations sur la scène mondiale, mais la route est encore longue pour s’approcher des hauteurs atteintes par Sa Majesté, que seul Messi peut prétendre avoir touché du doigt. Mais on ne va pas rouvrir le débat...

Escale beyrouthine

Dans le sillage ce troisième sacre mondial, l’accomplissement ultime de sa carrière avec la Seleção qu’il pouvait dès lors quitter avec le sentiment du devoir accompli, le Roi a continué de faire fructifier son immense notoriété jusqu’au moment de raccrocher les crampons. Grâce notamment à l’intervention de plusieurs membres de l’administration américaine, dont celle d’un certain Henry Kissinger, pour négocier avec le gouvernement brésilien la levée de son interdiction d’évoluer dans un club étranger, il se laissa convaincre de participer à la première tentative d’implantation du « soccer » aux États-Unis.


Pelé, à gauche de la photo, en position de gardien de but, bloquant un ballon lors d’un match disputé avec l’équipe d’al-Nejmeh contre une sélection d’universitaires français au stade Camille Chamoun de Beyrouth, en avril 1975. Photo d’archives L’OLJ

Sur la route menant jusqu’aux New York Cosmos, avec qui il signera en juin 1975 pour deux saisons avant de tirer définitivement sa révérence, l’icône fit une escale dans l’une des rares capitales dans laquelle il n’avait pas encore mis les pieds. Début avril 1975, les 35 000 personnes venues garnir les travées du stade Camille Chamoun, dans la cité sportive de Beyrouth, pourront se targuer d’avoir vu, le temps d’une mi-temps, Pelé évoluer sous la tunique rouge bordeaux d’al-Nejmeh, de loin le club le plus prestigieux du Liban à l’époque.

Face à une sélection composée d’universitaires français, évoluant sous les couleurs du sponsor de la tournée, Pepsi-Cola, la faiblesse de l’enjeu n’invite pas forcément le Roi à se sublimer. La preuve, il se permet même de passer le premier quart d’heure dans les cages, avant de rejoindre le front de l’attaque sans parvenir à s’entendre suffisamment avec ses nouveaux compères pour trouver le chemins des filets.

Peu importe, il aura offert une bonne dose de souvenirs à ses coéquipiers d’un jour, qu’ils ont gardés à jamais dans un coin de leur tête. Un cadeau d’autant plus précieux à moins de deux semaines de l’éclatement d’une guerre qui ensanglantera le pays du Cèdre les quinze prochaines années durant. Le sens du timing, on l’a ou on ne l’a pas, et Pelé l’aura montré jusqu’à son dernier souffle.

On dit souvent que les meilleurs partent les premiers. Chaque règle a son exception. À 82 ans, Pelé a longtemps lutté avant d’abdiquer face à la maladie. D’ailleurs, depuis un mois, et le début de sa nouvelle admission en soins intensifs à l’hôpital Albert-Einstein de São Paulo, on ne savait plus très bien s’il fallait espérer ou non que son règne se prolonge encore un peu.Son...

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