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Culture - Scènes

À la recherche d'un espace à eux, dans une ville dévastée

Pendant le festival In Between, des artistes libanais ont tenté de composer avec une ville qui a abandonné ses habitants. 

À la recherche d'un espace à eux, dans une ville dévastée

Une scène du spectacle « Before you go » présenté au palais Sursock dans le cadre du festival In Between. Photo João Sousa/L'Orient Today

« Nous avons ressenti chez les citoyens le besoin de s'approprier véritablement l'espace (de la ville, NDLR), d'avoir un sentiment d'appartenance », indique d'emblée Romy Assouad, fondatrice et directrice de l'association socioculturelle Yaraqa, qui a organisé une performance au palais Sursock pour In Between.

Le festival pluridisciplinaire, organisé par le British Council, s'est déroulé du 16 au 20 novembre, et a accueilli des spectacles, des conférences, des pièces de théâtre et des concerts qui s'articulaient autour de deux axes/questions majeures : où trouver ou créer un espace dans une ville qui, en l'espace de trois ans, a été détruite par le Covid-19, la crise économique et la double explosion au port de Beyrouth ? Et comment ces trois dernières années ont-elles changé la relation entre les artistes et leur ville ?

Un palais familier, mais étrange

Parmi les lieux qui ont accueilli les événements de In Between, le palais Sursock, l'un des bâtiments historiques les plus emblématiques de Beyrouth, symbole d’une grandeur, d’une certaine élite culturelle qui semblent ne plus exister dans la ville – pour le meilleur ou pour le pire ? Le palais a été lourdement endommagé par la double explosion au port le 4 août 2020 et fait encore l’objet d’importants travaux de restauration.

L'installation « Beyrouth narratives » des sœurs Stephan n'a pas été réalisée pour être exposée sur les murs d'une galerie. Photo Céline Stephan

À l'extérieur, il faisait encore jour lorsque les quelque 80 invités de la représentation intitulée Before you go se sont infiltrés dans le palais et... dans un autre monde. Lorsque les portes ont rouvert une heure et demie plus tard, la nuit enveloppait les jardins alentour. Le temps avait passé dans un endroit étrange, un endroit connu de tous dans la ville et pourtant jamais rencontré de la sorte auparavant. Les fenêtres de la belle bâtisse étaient toujours condamnées, de sorte qu’aucune lumière n'y pénétrait. Les cadres vides avaient l'air fantomatiques ; les fissures et les trous dans les murs, et le verre brisé des lustres peu éclairés témoignaient de la destruction récente du palais. Ce lieu évoquait à la fois la terreur et le rêve. Quatre spectacles y ont été présentés. Dirigé par un maître de cérémonie charismatique, le public a pu assister à des œuvres très disparates de danse contemporaine, de ballet et même à un spectacle de travestis.

Cependant, si le contenu des quatre spectacles était intrigant et divertissant, c'est leur interaction avec l'espace dans lequel ils étaient présentés qui a véritablement créé un impact. « Nous voulions que les personnes qui se sentent habituellement chez elles dans cette ville s'y sentent cette fois comme des étrangers », relève Romy Assouad.

Redonner aux gens un sentiment d'appartenance, leur redonner un espace à eux, en les rendant d'abord étrangers – telle semble être la tâche à laquelle se sont attelés ces artistes.

La renaissance d'un vieux cinéma

Le cinéma Royal de Bourj Hammoud est resté fermé pendant de longues années. Entre son inauguration en 1952 et sa fermeture pendant la guerre civile libanaise de 1975 à 1990, il a projeté des films de tous les genres.

Assis au bord de la scène dans la salle faiblement éclairée, Karl Hadifé confie : « Nous croyons vraiment que pour opposer une sorte de résistance, nous devons assurer la culture et l'éducation. Et pour cela, il faut un espace avant toute chose. »

Une scène du spectacle « Before you go » présenté au palais Sursock dans le cadre du festival In Between. Photo João Sousa/L'Orient Today

Karl Hadifé, 25 ans, sait que cela peut paraître présomptueux. Mais il le pense vraiment. Avec sa compagne, il a fondé l'organisation Neighborhood, qui se chargera de gérer le cinéma. Pour In Between, ils ont ouvert l'espace provisoirement ; la grande ouverture est prévue pour le 21 décembre.

« Nous voulons un lieu pour tous les habitants de ce quartier. Nous voulons offrir de la culture à des prix abordables. Et nous voulons proposer des programmes pour les jeunes enfants, des ateliers après l'école », explique Karl Hadifé, peu avant que les lumières de la salle ne soient coupées – un fait devenu aussi commun que régulier dans un pays où le fournisseur public d'électricité ne parvient pas à assurer plus d'une à deux heures d'approvisionnement par jour. Allumant la lampe de poche de son téléphone, il ajoute avec sarcasme : « Nous devons être reconnaissants envers le gouvernement, car il nous apprend tant de choses. Comment calculer. Comment être patient. »

Pour mémoire

Et maintenant In Between, un festival sous l’égide des British à Beyrouth

Après avoir vécu à New York pendant un an, Karl Hadifé est revenu à Beyrouth en 2020, à un moment où, dit-il, tout le monde quittait la ville. « La plupart de mes amis ne sont plus là, dit-il. Mes amis d'aujourd'hui, je les ai rencontrés l'année dernière. »

Au cinéma Royal, il prévoit d'accueillir diverses performances artistiques : pièces de théâtre, concerts, danses. Mais il voit surtout les lieux comme un espace où les artistes peuvent penser librement.

Recueillir les séquelles de l'explosion du port

Devant leur œuvre intitulée Beirut Narratives 2.0, exposée à l'usine Abroyan de Bourj Hammoud, les architectes – et sœurs – Céline et Tatiana Stephan expliquent comment leur projet a vu le jour.

Quelques jours après le 4 août 2020, elles ont entrepris de recueillir, via courrier électronique et réseaux sociaux, des témoignages auprès de leurs amis et connaissances. Puis elles sont descendues dans la rue, ont discuté avec les habitants qui étaient en train de nettoyer, de tenter de reconstruire leur ville. Elles se sont rendues dans les hôpitaux et les casernes de pompiers. Les récits collectés ont été classés en trois catégories : la description, en rouge, « parce que c'était sanglant », dit Céline Stephan ; l'émotion, en noir, « parce que c'était graveleux » ; et les réflexions, en blanc, « parce que c'était parfois plein d'espoir ». Les deux jeunes femmes ont ensuite cousu les phrases sur des chutes de tissu, le même que celui utilisé pour fabriquer les sacs de grains. Et, pour les coudre ensemble, elles ont utilisé le même type de fils que les hôpitaux ont employé pour recoudre les plaies des victimes de l'explosion.

En résulte 160 m2 de citations telles que : « J'étais à moitié aveuglé par le sang » (rouge) ; « État de panique » (noir) ; et « Les médecins ont fait des miracles » (blanc).

Mais dans le contexte où elles étaient présentées lors de l'inauguration d'un festival, ces citations cousues semblaient quelque peu déplacées. En réalité, elles ne sont généralement pas accrochées dans des pièces fermées pour être appréciées par un public d'artistes. Depuis deux ans, elles sont affichées sur les façades des maisons et des hôpitaux de Beyrouth.« Les politiciens nous poussent à nous inquiéter pour d'autres choses », explique Tatiana Stephan. « L'électricité. L'eau. L'argent. Alors nous n'avons pas le temps de réfléchir à ce qui s'est passé. C'est pourquoi nous devons continuer à nous en souvenir de manière active. »

Avec Beirut Narratives, les deux artistes – qui ne veulent pas que leur travail soit compris comme de l'art, mais explicitement comme une forme de protestation silencieuse – semblent avoir réussi quelque chose de rare : une véritable communication entre la ville et ses habitants.

« Les bâtiments parlent alors que les gens ne peuvent pas le faire. Parce qu'ils sont encore traumatisés, ou qu'ils ont simplement appris par le passé à taire leurs sentiments et leurs souvenirs. Nous leur donnons donc la possibilité de partager. La ville les écoute. Et la ville leur sert de porte-parole. »

« Nous avons ressenti chez les citoyens le besoin de s'approprier véritablement l'espace (de la ville, NDLR), d'avoir un sentiment d'appartenance », indique d'emblée Romy Assouad, fondatrice et directrice de l'association socioculturelle Yaraqa, qui a organisé une performance au palais Sursock pour In Between.
Le festival pluridisciplinaire, organisé par le British Council, s'est déroulé...

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