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Lifestyle - Histoires de thérapies

Jacques et le deuil

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, comme les pièces d’un puzzle qui constituent une vie. Dans cette nouvelle rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

Jacques et le deuil

Illustration Noémie Honein

Jacques* vient me voir en demandant une thérapie. Il a quarante ans, en bonne condition physique, l’œil vif et curieux. Grand de taille, il est ici un peu malgré lui. Il souffre d’une insomnie rebelle et d’une forte angoisse au réveil. Marié à une femme qu’il aime et dont il est aimé, avec une situation professionnelle enviable, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Lorsqu’il débarque dans mon cabinet un mois de septembre, il est inquiet, silencieux et perdu.

Je l’interroge sur les derniers événements qui sont survenus dans sa vie. Il les minimise d’emblée et considère qu’il n’y a rien d’important à raconter. J’insiste en lui proposant de dire ce qui lui passe par la tête, y compris les détails, et de ne pas pratiquer une autocensure silencieuse. Comme souvent dans une psychothérapie.

Il parle alors d’un conflit avec un collègue qui s’oppose à lui. À chaque initiative que Jacques prend, ce collègue critique son idée. Jacques soulève que les remarques de ce collègue sont plutôt formelles et ne touchent pas au fond. Il y a même un niveau personnel à ces critiques, ce que Jacques ne supporte pas. Non pas parce qu’elles sont personnelles mais parce qu’elles ne sont pas professionnelles. Il évoque ensuite le cas de son fils. Il a trois enfants, un garçon, l’aîné, âgé de 12 ans et deux filles jumelles âgées de 9 ans. Le fils aîné a des problèmes à l’école et ça le préoccupe. Enfin, leur voisin de palier est emmerdant et difficilement gérable. Puis il s’arrête. Je lui demande si c’était tout, étant donné que les événements précités ne pouvaient pas justifier des nuits d’insomnie et une telle angoisse matinale, il fait signe de creuser sa mémoire et me dit : « Ah, mais ce n’est pas important, ma grand-mère vient de mourir. » Alors qu’il tente de changer de sujet, je l’interromps : « Parlez-moi de votre grand-mère. » Il éclate en larmes. « Je n’ai pas pu être présent à son enterrement, j’étais en voyage. En bonne santé jusque-là, elle est morte subitement, sans que l’on comprenne pourquoi. » Je lui demande alors s’il a été visiter sa tombe. « Non, je n’ai pas eu encore le temps. À mon retour de voyage, j’ai été très occupé. »

Il réalise alors qu’il est en deuil, tout simplement. Ses nuits d’insomnie sont occupées par elle, d’autant plus que sa mère est fortement bouleversée par la mort de sa propre mère. Elle ne dort pas également et se réveille angoissée tous les matins. En le disant, il remarque qu’il fait comme sa mère. En fait, il n’échappe pas à cette vieille coutume bien de chez nous qui dit : « On mesure le deuil aux pleurs des proches. » « J’ai aimé ma grand-mère plus que ma mère ne l’a aimée elle-même. » Il reprochait à sa mère de la négliger, de ne pas aller chez elle et de ne pas l’inviter non plus. « J’en ai voulu à ma mère au point d’avoir pensé qu’elle aurait dû mourir elle-même à sa place. Je sais, cette pensée est odieuse, mais je l’ai pensé. Ma grand-mère était beaucoup plus gentille que ma mère, elle n’oubliait jamais mon anniversaire et m’offrait souvent des cadeaux. » Elle aimait ses enfants plus que leur vraie grand-mère ne les aimait. Au point qu’ils la considéraient comme leur propre grand-mère.

À notre deuxième entretien, Jacques a regretté ce qu’il avait dit à propos de sa mère. Il s’est senti coupable d’avoir souhaité sa mort et s’est demandé si ses insomnies et son angoisse matinale n’étaient pas finalement liées à sa mère, plus qu’au deuil de sa grand-mère. En effet, par identification, il portait les symptômes de sa mère comme s’il portait un vêtement qui n’était pas le sien. Un peu comme si la voix de la conscience morale lui disait : « Tu seras puni d’avoir souhaité la mort de ta mère, tu souffriras comme elle. » D’où ses insomnies et ses angoisses, qu’il va, désormais, interroger autrement...

*Le prénom a été modifié par souci de confidentialité.

Jacques* vient me voir en demandant une thérapie. Il a quarante ans, en bonne condition physique, l’œil vif et curieux. Grand de taille, il est ici un peu malgré lui. Il souffre d’une insomnie rebelle et d’une forte angoisse au réveil. Marié à une femme qu’il aime et dont il est aimé, avec une situation professionnelle enviable, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Lorsqu’il...

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