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Monde - Focus

Armement : quand Kiev se sert sur les stocks ennemis

Les soldats ukrainiens récupèrent blindés, munitions et autres matériels sensibles abandonnés par l’armée russe.

Armement : quand Kiev se sert sur les stocks ennemis

Un soldat ukrainien devant un char russe capturé sur le champ de bataille dans la région de Kharkiv, le 15 octobre courant. Clodagh Kilcoyne/Reuters

C’est un classique de la guerre, mais qui n’est possible que si les armements antagonistes sont compatibles. Depuis quelques semaines, l’Ukraine récupère blindés, munitions et autres matériels sensibles abandonnés par l’armée russe lorsqu’elle bat en retraite.

Depuis fin août, le conflit est entré dans une nouvelle phase avec deux contre-offensives ukrainiennes autour de la ville de Kherson (Sud), une des premières à être tombée aux mains des Russes, et dans le nord-est du pays.

Après quatre mois de stagnation du front, des combats violents mais des gains territoriaux mineurs, ce sont les Ukrainiens qui ont revendiqué la reconquête de milliers de kilomètres carrés. Et si les Russes ont, eux, même saisi du matériel ennemi lors des mois précédents, la tendance est désormais fortement inversée.

En reculant, l’armée du Kremlin ne part pas toujours dans le bon ordre. L’institut privé de renseignement britannique Janes évoque la saisie ukrainienne de tanks, véhicules blindés, pièces d’artillerie, camions de transport de troupes, véhicules de commandement avancé, et autres radars et équipements électroniques.

Les chiffres sont sujets à caution, mais Janes a récemment établi la récupération d’au minimum 200 véhicules, 40 tanks, 70 blindés d’infanterie et 30 pièces d’artillerie.

« Beaucoup ont été saisis dans le Nord-Est et la poussée de Kharkiv à Izioum », précise un analyste de Janes sous le couvert de l’anonymat. Les Russes « semblent avoir considéré qu’ils pourraient fuir plus vite en véhicules civils qu’en blindés ».

Au nord de Kherson, les journalistes ont pu dénombrer en octobre une vingtaine de chars, lance-roquettes et véhicules de transport russes récemment détruits ou endommagés. Une demi-douzaine d’entre eux, aperçus en matinée, avaient disparu quelques heures plus tard.

Trésor de guerre

À une demi-douzaine de kilomètres de la ligne de front, trois lance-roquettes multiples Ouragan, un lance-roquettes multiples Grad et un véhicule de transport de troupes russes, presque tous irrécupérables, témoignaient de la violence des combats.

« Le blindé a le nez pointé vers le sud, observait un soldat ukrainien. Cela veut dire que ses occupants fuyaient. » Une douzaine de roquettes Ouragan abandonnées « seront bientôt chargées et transportées aux nôtres », ajoutait-il. « Le fait qu’ils aient laissé des obus et qu’une partie de la poudre ait été éparpillée pour que nous ne puissions pas l’utiliser témoigne qu’ils fuyaient, et très vite », confirmait un secouriste surnommé « Doc ».

Assurément, l’exploitation du trésor de guerre est organisée. Lundi, le ministère ukrainien de la Défense a diffusé sur Twitter les images du remorquage du « dernier modèle du T-90A », un tank resté trois mois sous les eaux. « Il est temps pour lui de rejoindre les rangs de l’armée ukrainienne », fanfaronnait le tweet.

De fait, cette guerre est terrible pour les hommes et les équipements. Et tout matériel est le bienvenu. « On voit toujours beaucoup de véhicules civils ou blindés légers utilisés dans des attaques. Ce n’est pas une tactique. L’armée ukrainienne manque toujours de véhicules blindés », remarque Michael Kofman, expert du think tank CNAS à Washington. Selon lui, « une partie des véhicules saisis venait déjà des chantiers de réparation, ajoutait-il dans le podcast du site War on the Rocks. Ils peuvent être utilisés en pièces détachées, mais étaient probablement inopérants. »

La compatibilité des armements constitue à cet égard un avantage majeur. Kiev a reçu bon nombre d’armes et munitions occidentales modernes, mais son équipement de départ est d’origine soviétique. « Souvent, des surblindages sont récupérés sur des blindés ennemis détruits, relève ainsi Pierre Grasser, historien au laboratoire Sirice à Paris. Un blindé détruit, c’est aussi important pour les pièces qui n’ont pas brûlé : les moteurs, les suspensions, les barres de traction, c’est précieux. Même la Russie n’en produit plus. »

L’histoire de la guerre est pleine d’exemples similaires. « Les Allemands avaient utilisé pas mal de matériel récupéré à droite ou à gauche » pendant la Seconde guerre mondiale, rappelle un haut gradé français, évoquant des « tanks français qui s’étaient retrouvés sur le front de l’Est ».

Mais dans cette guerre, les Russes facilitent la tâche de l’ennemi. Ils semblent dépourvus de « logistique de l’avant », qui permet d’aller récupérer du matériel endommagé ou en panne au milieu des combats. Et en principe, « on neutralise le matériel avant de l’abandonner », explique l’officier. Or, « le commandement russe ne donne probablement pas les consignes de le faire ou peut-être n’ont-ils pas les équipements pour ».

Assurément, le phénomène n’est pas anodin. « La perte d’équipement réduit nettement la puissance de combat russe, et le fait de perdre autant de terrain a eu un effet dévastateur sur le moral russe, relève-t-on chez Janes. Les Ukrainiens ont une plaisanterie soulignant qu’ils ont entamé l’offensive de Kharkiv dans une brigade mécanisée et l’ont terminée dans une brigade blindée. »

À terme, c’est l’ensemble des alliés de l’Ukraine qui s’en réjouissent. « Cela signifie aussi que les agences de renseignements occidentales et les techniciens pourront évaluer l’équipement russe. »

Didier LAURAS et

Joris FIORITI/AFP

C’est un classique de la guerre, mais qui n’est possible que si les armements antagonistes sont compatibles. Depuis quelques semaines, l’Ukraine récupère blindés, munitions et autres matériels sensibles abandonnés par l’armée russe lorsqu’elle bat en retraite.Depuis fin août, le conflit est entré dans une nouvelle phase avec deux contre-offensives ukrainiennes autour de la ville...

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