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Sport - Drame en Indonésie

Des héros anonymes au secours des victimes

Au milieu du gigantesque mouvement de foule ayant fait 131 morts samedi dernier lors d’un match de football dans la ville de Malang, certains témoins et survivants se sont distingués par leur bravoure.

Des héros anonymes au secours des victimes

Des spectateurs portant secours à un jeune supporter asphyxié par les gaz lacrymogènes envoyés par les forces de l’ordre à la fin du match de football ayant causé le décès d’au moins 131 personnes au Kanjuruhan stadium dans la ville de Malang, à l’est de l’île de Java. Photo AFP

« C’était traumatisant. » Témoin de l’un des pires drames de l’histoire du football, Adi Bowo Sucipto n’a pas hésité une seconde à quitter sa panoplie de photographes. Après avoir lâché son appareil, il s’est précipité hors de la tribune de presse pour porter secours aux innombrables spectateurs coincés dans les travées bondées du stade Kanjuruhan, dont les portes de sortie n’étaient pas encore ouvertes au moment du coup de sifflet final.

Tentant d’en extraire le plus possible de la cohue, Sucipto a porté sur ses épaules homme et des femmes de tout âge, étourdis et aveuglés par l’épais nuage toxique qui surplombait les tribunes. Ce dernier se souvient notamment d’un jeune homme pris de convulsions, asphyxié par l’air saturé de gaz lacrymogène qui finira par le faire succomber.

« J’étais choqué, c’était traumatisant. Après avoir vu ça, j’ai fini par m’éloigner », raconte cet Indonésien de 43 ans, photographe depuis plus de dix ans qui culpabilise de ne pas avoir secouru plus de victimes. « Pourquoi n’ai-je pas plus aidé ? » se reproche le quadragénaire.

Autour du stade, ceux qui ont été témoins de cette tragédie furent nombreux à aider comme ils le pouvaient les centaines de victimes de la bousculade, dont au moins 131 d’entre elles sont décédées.

Le petit stand d’Edy Tanto, situé à l’extérieur du stade, était plein de fans qui, faute de tickets, regardaient ce derby tant attendu entre l’Arema FC et Persebaya Surabaya sur un écran spécialement installé pour l’occasion. Ils ont ainsi assisté impuissants au chaos qui a envahi l’enceinte javanaise après le coup de sifflet final. Il est alors 21h57.

Jets disproportionnés de lacrymogènes

Furieux contre leurs joueurs, ayant concédé la première défaite à domicile de l’Arema FC contre l’équipe rivale depuis plus de deux décennies, certains fans n’ont pas hésité à leur faire part leur mécontentement. Mais ceux-ci n’ont pas pour autant assailli la pelouse tel que cela a pu être relaté dans certains rapports.

D’après les vidéos des caméras de surveillance, les joueurs avaient pris un temps de repos sur le terrain avant de traverser le terrain pour saluer des supporters qui les attendaient dans le gradin est. S’ils étaient nombreux à leur faire des doigts d’honneur, deux supporters sont entrés sur le terrain pour aller à leur rencontre. Semblant leur faire des reproches, l’un d’eux finit par enlacer un joueur dans ses bras.

Relativement calme jusqu’alors, la situation finit par dégénérer à 22h17. Après un troisième puis un quatrième, des dizaines d’autres supporters leur emboîtent le pas et descendent des gradins, provoquant la réaction des stadiers tentant de les en empêcher.

Tandis que certains joueurs sont escortés vers les vestiaires devant l’afflux de plus en plus massif d’intrus sur la pelouse, la police antiémeute pénètre à son tour dans l’enceinte, boucliers au bras et matraques en mains, depuis la tribune nord.

Sentant qu’ils étaient en train de perdre le contrôle de la situation, vers 22h25, la police envoie ses premières salves de gaz lacrymogènes vers les tribunes. Les supporters répondent avec des jets de projectiles vers les policiers et certains pénètrent sur le terrain pour les atteindre.

Après une deuxième salve de lacrymogène, bien plus importante, l’intégralité des spectateurs se précipitent vers les portes de sortie, mais la plupart d’entre elles sont restées fermées.

La porte 13, faisant la jonction entre les gradins ouest et sud, a été le théâtre d’une des principales bousculades ayant causé la mort de dizaines de personnes. À ce moment, les photographes et vidéastes ont arrêté de prendre des images pour venir en aide aux victimes, alors que des policiers restaient sur le côté, selon plusieurs témoins interrogés par l’AFP.

Quelques minutes plus tard, les images montrent que les policiers ont même disparu du terrain au moment où les supporteurs essayaient encore d’échapper à l’air devenu irrespirable.

« Il n’y avait rien dans les tribunes, pas d’émeutes »

Nombreux sont les témoins à dénoncer la riposte disproportionnée des policiers qui, en aspergeant les tribunes de gaz, n’ont fait qu’empirer la situation. « C’est à ce moment-là que tout a basculé, raconte Doni, un supporter présent dans le stade au moment du drame. Les policiers ont projeté du gaz lacrymogène sans réfléchir. Et les gens se sont aussitôt précipités pour sortir en se poussant les uns les autres », détaille-t-il.

Doni, qui a vu ses voisins de tribunes se faire piétiner au milieu du mouvement de panique, estime que la réaction des forces de l’ordre n’a fait qu’empirer les choses. « Il n’y avait rien dans les tribunes, pas d’émeutes, s’exclame-t-il. Ce qui m’a choqué, c’est qu’ils ont pas pensé aux femmes et aux enfants ! »

Les personnes parvenues à s’extirper de la bousculade se sont aussitôt précipités vers l’épicerie d’Edy Tanto, qui n’a pu faire mieux qu’offrir des bouteilles d’eau aux infortunés dont les yeux brûlaient à cause des gaz lacrymogènes.

« Je n’avais pas les idées claires », se souvient Tanto, assis les jambes croisées sur le sol de son commerce. « J’ai juste pensé à les aider. » Certains ont pris des bouteilles d’eau dans ses frigos, cherchant désespérément quelque chose pour soulager leurs yeux. « Je n’ai pas pensé à l’argent. On a eu pitié d’eux quand ils sont entrés dans le magasin en titubant et le souffle court », explique Tanto.

De l’autre côté du stade, les mêmes scènes se produisaient. La propriétaire d’un stand de nourriture décrit comment elle s’est précipitée pour aider les supporteurs victimes des gaz lacrymogènes se réfugiant dans son magasin, alors que les policiers ne faisaient rien.

Une femme est décédée dans sa petite boutique, raconte-t-elle, et des policiers ont commencé à éventer son corps sans vie à l’aide d’un carton. « J’étais émue et je les ai sermonnés. Je me moque de leurs grades », affirme la commerçante qui a requis l’anonymat par crainte de représailles de la part des autorités.

Elle dit leur avoir lancé : « Vous saviez qu’elle était morte, pourquoi avoir continué à l’éventer ? » Après ce moment surréaliste, la gérante dit avoir massé une femme pour tenter de l’apaiser.

Ces témoignages ne représentent qu’une partie des multiples actes exemplaires de ceux qui étaient présents samedi soir sur les lieux de la tragédie. Des hommes ont porté des victimes inconscientes jusqu’aux ambulances et des supporteurs ont tiré leurs amis de la cohue en refusant de les lâcher, leur sauvant ainsi la vie.

Comme Sucipto, d’autres journalistes, photographes et vidéastes, présents ce soir-là, ont arrêté de faire des images pour aider les supporteurs qui se sont retrouvés dans la bousculade en tentant de sortir du stade. « Il était urgent d’aider, c’était ça notre rôle », résume Sucipto.

Depuis lundi, une enquête a été ouverte par les autorités indonésiennes pour faire la lumière sur les nombreux dysfonctionnements ayant causé ce qui restera comme l’un des drames les plus meurtriers de l’histoire du football. Le chef de la police locale ainsi qu’une douzaine de membres de la brigade antiémeute de Malang ont déjà été suspendus et mis en examen.

G.B. avec AFP

(Marchio GORBIANO)

« C’était traumatisant. » Témoin de l’un des pires drames de l’histoire du football, Adi Bowo Sucipto n’a pas hésité une seconde à quitter sa panoplie de photographes. Après avoir lâché son appareil, il s’est précipité hors de la tribune de presse pour porter secours aux innombrables spectateurs coincés dans les travées bondées du stade Kanjuruhan, dont les...

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