
Dans le jardin de la Bibliothèque nationale, des photos prises postexplosion au port de Beyrouth. Photo DR
Le 4 août 2020. Depuis cette date fatidique désormais inscrite au fer rouge dans la mémoire de centaines de milliers de Libanais, Chérine Yazbeck se rend au port tous les jours. Son statut de journaliste lui donne accès au périmètre sécurisé. Ses gestes se répètent immanquablement. Elle place son objectif et capte le paysage environnant, puis se tourne vers les silos, ou plutôt ce qui en reste après la grande explosion dévastatrice survenue sur les lieux.
Le fruit de deux ans de travail est aujourd’hui présenté dans le cadre de la 2e édition du Beirut Image Festival (voir par ailleurs), organisé par l’Association du festival pour l’image Zakira, en collaboration avec la Fédération des photographes arabes et Dar el-Mussawir.À la Bibliothèque nationale de Beyrouth, Sanayeh, un collectif de photographes expose des clichés en mémoire de l’explosion au port de Beyrouth. Chérine Yazbeck y présente, elle, une série de 21 photos, mettant en scène des objets, des bouts de tissu, des traces de pas présents en bas des silos, autant d’« indices », comme elle les désigne, de son enquête sur la « vie » sur les lieux en ruine. L’artiste confie à L’Orient-Le Jour que son travail porte uniquement sur des preuves « matérielles », d’où l’absence de preuves « humaines » bien que le bilan humain fut lourd (plus de 200 morts et des milliers de blessés).
Chérine Yazbeck a réalisé un dossier pour mener sa propre « enquête » sur l’explosion du 4 août 2020. Photo DR
Mais l’artiste ne fait pas les choses à moitié, puisque en plus des photos exposées sur des panneaux en grand format plantés dans les jardins de la bibliothèque, elle a recréé « la scène de crime » avec du sable éparpillé au sol et les preuves mises en évidence. Une installation qui fait frissonner et laisse l’imagination vagabonder pour imaginer l’horreur au lendemain de l’explosion... En dernière partie de son exposition, la journaliste met à la disposition du public un dossier écrit en arabe, créé par ses soins, qui contient des photos des silos « avant » et « après », des notes ou encore des photos en infrarouge. Les dernières pages, laissées vides, témoignent du caractère bafouilleur et non concluant de l’enquête.
L’artiste, mue par un désir de justice et de vérité, martèle : « C’est ma maison, mon quartier, ma ville, mon noyau qui ont été endommagés. » Alors, afin que le coupable soit trouvé et que la justice soit rendue, la photographe donne vie aux éléments photographiés. « À qui appartenait ce blouson ? » « Quelles ont été ses dernières paroles ? » interroge-t-elle.
L’artiste a monté une installation reproduisant des scènes du crime au pied des silos ravagés. Photo DR
L’ampleur de la tragédie provoquée par l’explosion se ressent à travers les différentes images exposées, comme celle où l’on aperçoit un bout de tissu à pois. Chérine Yazbeck confie que ce vêtement appartenait à un employé du port qui a perdu la vie en ce 4 août, selon le témoignage d’un collègue ému rencontré sur place. Dans une autre photo, le cadavre d’une petite souris interpelle le visiteur qui ne peut s’empêcher de se demander, à l’instar de la photographe, si le rongeur est une victime de l’explosion ou s’il a succombé après avoir ingurgité le nitrate d’ammonium…
Des images qui semblent prendre vie sous l’œil du visiteur, et témoignent de la tragédie, des pertes humaines et de l’impunité de cet abominable crime.
Les accrochages du BIF
Dans le cadre du Beirut Image Festival 2022, sont également prévues plusieurs expositions.
Depuis le 2 septembre 2022, l’accrochage « Téhéran, Jérusalem, Beyrouth – Un périple par Alfred », par le photographe franco-iranien Alfred Yaghobzadeh est présenté dans les locaux du journal as-Safir (Hamra). Tous les jours de 9h00 à 21h00 jusqu’à demain samedi 18 septembre 2022.
Depuis le 8 septembre 2022, l’œuvre « Palestine... La vie à travers les yeux du photographe Khalil Raad : une exposition qui rend hommage » est exposée à Verdun dans les locaux et en collaboration avec l’Institut des études palestiniennes. Tous les jours de 8h00 à 16h00 jusqu’au 30 septembre 2022.
À partir du 22 septembre, Adnan Naji inaugure son exposition « Témoin des années d’or » présentant des stars arabes et libanaises, dont Feyrouz, Oum Kalsoum, Sabah. L’exposition se tiendra dans les locaux du journal as-Safir. Tous les jours de 9h00 à 21h00 jusqu’au vendredi 30 septembre 2022.
Ces photos signent l'horreur de la disparition d'êtres humains, conséquence de la négligence.
11 h 21, le 18 septembre 2022