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Moyen-Orient - Éclairage

La guerre en Ukraine plonge Le Caire dans la pénombre

Les autorités égyptiennes souhaitent baisser de 15 % la quantité de gaz naturel destiné aux centrales électriques sur une période d’un an afin de les exporter en devises.

La guerre en Ukraine plonge Le Caire dans la pénombre

Des billets en livres égyptiennes et en dollars US. L’épuisement des réserves pousse le gouvernement à atténuer les lumières dans l’espace public pour libérer de l’énergie à des fins d’exportation. Khaled Desouki/AFP

Le Caire a-t-il les moyens de ses ambitions ? D’un côté, il jure pouvoir contribuer à atténuer la crise du gaz qui frappe le continent européen depuis l’invasion russe de l’Ukraine; de l’autre, il a approuvé le 11 août courant un plan de rationnement de l’électricité pour préserver le gaz naturel. Objectif : détourner celui-ci vers le marché d’exportation afin de générer des devises étrangères. Selon ce projet, magasins et centres commerciaux doivent limiter leur recours à une forte luminosité et maintenir leur climatisation à une température supérieure à 25 degrés. Plus encore, l’éclairage public est désormais largement réduit. Il s’agit pour les autorités de baisser de 15 % la quantité de gaz naturel destiné aux centrales électriques sur une période d’un an afin de les exporter en dollars. Une situation qui, vue de loin, peut paraître contradictoire. Car avec la découverte en 2015 du champ d’al-Zohr par la société italienne ENI, l’Égypte se targue depuis 2018 d’être devenue autosuffisante. Mais, selon le Premier ministre Moustafa Kemal Madbouli, il s’agit dans les conditions actuelles de privilégier les exportations énergétiques plutôt que la consommation domestique du fait qu’il soit possible pour Le Caire de vendre dix fois plus cher son gaz à l’étranger – contexte de crise oblige – que sur le marché local où les subventions existantes bloquent les prix.

Cette nouvelle décision du gouvernement égyptien s’explique par les répercussions de la guerre en Ukraine, celle-ci n’en finissant plus d’influer sur l’économie du pays : les cours mondiaux des matières premières ont augmenté, le tourisme s’est effondré et le coût des emprunts a grimpé. Résultats : la croissance nationale a drastiquement chuté au cours des derniers mois – de 7 % il y a un an à 3,2 % pour le dernier trimestre – et l’Égypte est menacée par une crise alimentaire sans précédent, puisqu’environ 80 % de ses importations en blé proviennent de Russie et d’Ukraine, et que ses réserves ont dégringolé de 40,980 milliards de dollars en janvier à 33,132 milliards en juillet dernier.

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Dans ces circonstances, Le Caire se tourne naturellement vers ses alliés pétroliers du Golfe. Selon un article de l’AFP publié dimanche, Riyad « a même déposé fin mars cinq milliards de dollars à la Banque centrale égyptienne ». Pas de quoi cependant « empêcher la fonte des réserves, juguler une inflation à 14,6 % ou encore alléger une dette publique de 90 % du PIB ».

Le 23 mars 2022, le gouvernement égyptien a par ailleurs officiellement demandé le soutien du FMI pour l’aider à alléger les retombées économiques désastreuses liées à l’invasion de l’Ukraine. Depuis 2016, l’institution financière a déjà accordé trois prêts à l’Égypte d’une valeur combinée de 20 milliards de dollars US. Cette fois-ci néanmoins, les discussions traînent, même si elles seraient selon la presse locale sur le point d’aboutir. Au cœur des pourparlers, la nécessité d’un taux de change plus flexible pour la livre. Car la monnaie égyptienne est sous pression, malgré sa dévaluation d’environ 15 % en mars dernier. Pour nombre d’analystes, sa valeur doit encore baisser pour réduire le déficit de financement.

Crise de la dette

Au début du mois, le groupe Goldman Sachs a estimé que l’Égypte aurait besoin d’obtenir un paquet de 15 milliards de dollars du FMI, bien que le ministre égyptien des Finances Mohammad Maait ait affirmé dans une intervention télévisée négocier un montant bien moindre. Selon une source interrogée par le média indépendant Mada Masr, Le Caire aurait initialement formulé une requête de 10 milliards de dollars en mars. Des chiffres largement revus à la baisse en avril, le FMI ayant rétorqué ne pouvoir négocier au-delà d’une somme comprise entre 3 et 5 milliards de dollars. En cause : pour approuver un montant supérieur, il réclame en contrepartie des mesures d’austérités sévères telles que la réduction des subventions et la chute de la valeur de la livre égyptienne par rapport au dollar. Or cela entraînerait une flambée des prix pour une population déjà frappée de plein fouet par l’inflation et un risque de contestation sociale pour le pouvoir.

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Dans un communiqué datant du 19 août, l’organisation internationale de défense des droits humains Human Rights Watch signale que « les récents prêts du FMI à l’Égypte, d’une valeur combinée de 20 milliards de dollars, ont introduit un certain nombre de changements de politique économique qui ont augmenté le coût de la vie pour les personnes à faible revenu tout en faisant peu pour résoudre les problèmes structurels, notamment le manque de transparence, l’érosion de l’indépendance des institutions-clés de l’État, y compris le système judiciaire, et l’implication brutale de l’armée dans l’économie, qui est à l’abri de la surveillance civile ».

Fin juillet, le conseil d’administration de l’institution internationale basée à Washington déclarait que l’Égypte a besoin de « progrès décisifs sur des réformes budgétaires et structurelles plus profondes » pour stimuler la compétitivité et la rendre plus résistante aux chocs. Interrogé par l’AFP, l’économiste égyptien Hani Genena évoque pour sa part un problème de fond : « La valeur de la livre égyptienne est artificiellement élevée, cela force l’État à emprunter à l’étranger et fait courir le risque de se retrouver dans l’impasse au moment du remboursement », a-t-il expliqué. « Depuis une semaine, les banques ne peuvent plus fournir les importateurs en dollars », a-t-il ajouté. C’est dans ce contexte trouble que l’ancien gouverneur de la Banque centrale d’Égypte, Tarek Amer, a présenté sa démission le 17 août. Il a été remplacé par Hassan Abdallah, un ancien proche du président déchu Hosni Moubarak et un banquier renommé pour ses liens étroits avec les institutions internationales et régionales. Selon une source citée par al-Monitor, il s’agirait d’un geste du président égyptien Abdel Fattah el-Sissi visant à s’attirer les faveurs du FMI, celui-ci exigeant un changement de politique monétaire.

Selon Bloomberg, la probabilité que l’Égypte ne parvienne pas à rembourser sa dette en un an a récemment atteint son plus haut niveau depuis 2013, le pire de la région. « Les investisseurs, encore sous le choc des récents défauts de paiement de la Russie et du Sri Lanka, regardent l’Égypte comme une étude de cas pour évaluer si – et à quelle vitesse – il est possible pour des pays à l’économie fragile d’éviter une crise de la dette à grande échelle et naviguer dans l’ère à venir d’un resserrement des conditions de crédit. ».

Le Caire a-t-il les moyens de ses ambitions ? D’un côté, il jure pouvoir contribuer à atténuer la crise du gaz qui frappe le continent européen depuis l’invasion russe de l’Ukraine; de l’autre, il a approuvé le 11 août courant un plan de rationnement de l’électricité pour préserver le gaz naturel. Objectif : détourner celui-ci vers le marché d’exportation afin de...

commentaires (4)

Rome a conquit l'Egypte pour son grenier et son papyrus. Actuellement il ne faut plus une guerre pour une prédation quelconque, il suffit d'avoir une devise qu'on croit forte, pour obtenir les ressources des pauvres.

DAMMOUS Hanna

15 h 34, le 30 août 2022

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Commentaires (4)

  • Rome a conquit l'Egypte pour son grenier et son papyrus. Actuellement il ne faut plus une guerre pour une prédation quelconque, il suffit d'avoir une devise qu'on croit forte, pour obtenir les ressources des pauvres.

    DAMMOUS Hanna

    15 h 34, le 30 août 2022

  • J'ai toujours connu ce pays en faillite

    F. Oscar

    08 h 46, le 30 août 2022

  • "… maintenir leur climatisation à une température inférieure à 25 degrés …" - Psst! Supérieure…

    Gros Gnon

    03 h 59, le 30 août 2022

    • Bonjour, merci pour votre commentaire. L'erreur a été rectifiée.

      L'Orient-Le Jour

      13 h 55, le 30 août 2022

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