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Culture - Livre / Signature

À travers le récit de sa mère « Leila », Lamia Moubayed prône un État libanais de droit

La directrice de l’Institut des finances Basil Fuleihan vient de rédiger son premier opus littéraire aux éditions Dar al-Jadid. Un livre tendre et courageux, pétri d’amour et de refus du désespoir.

À travers le récit de sa mère « Leila », Lamia Moubayed prône un État libanais de droit

Même à travers un itinéraire familial, en contant l’histoire de sa mère, Lamia Moubayed Bissat se préoccupe de politique et d’équité sociale. Photos DR

Directrice de l’Institut des finances Basil Fuleihan, chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur française, Lamia Moubayed Bissat est connue pour ses séminaires, ateliers de travail, rapports, notes et interventions éducatives qui s’adressent aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels. Qu’est-ce qu’un État et comment fonctionne-t-il ? Comment définir et appliquer la véritable notion de citoyenneté ? Telles sont en gros les deux questions pivots qui inspirent le combat de cette Libanaise.

Aujourd’hui, en voulant rendre hommage à Leila el-Hage, sa mère octogénaire, Lamia Moubayed Bissat trempe sa plume non dans l’encre des finances et de l’administration, mais dans celle de la littérature.

Tout en jetant un regard ému et analytique sur le temps qui s’est écoulé, elle livre dans Leila(éditions Dar al-Jadid – 209 pages) un message d’amour à l’auteure de ses jours. Une œuvre qui se situe entre la biographie, la narration romanesque et le récit historique... avec des détails marquants, notamment pour les années 1950-1954, période durant laquelle le député Abdallah el-Hage, l’oncle de Leila, a tenté l’ébauche d’un État sans confessionnalisme avec un peuple qui paye ses taxes, ne vole pas l’électricité et ne détourne pas les canalisations d’eau...

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Au fil des pages se profilent ainsi l’itinéraire et la trajectoire d’une vie. Une vie mouvementée où les lieux et les êtres ont laissé leurs empreintes indélébiles dans l’esprit, et où la guerre a laissé des séquelles irréversibles sur une terre pourtant bénie des dieux.

En avance sur son temps

Née du côté de Ghobeyri-Haret Hreik, région qu’on appelle communément aujourd’hui Dahyé (banlieue sud de Beyrouth), Leila habite à présent dans le secteur Caracas à Ras Beyrouth. Cette mère de trois enfants (un garçon et deux filles), femme gauchisante et libre dans ses engagements, prête à défier frontalement sa communauté, a toujours agi avec droiture et exigence, notamment concernant l’éducation positive de sa progéniture qui a d’ailleurs eu de brillantes carrières. Leila est de toute évidence un personnage attachant et remarquable. Et bien sûr en avance sur son temps… Non seulement mère courage car elle affronte les tabous et les interdits, mais aussi mère tendresse et amour. Mère acharnement, aussi, à tordre le cou à ce qui dérange la logique et dépare l’avenir. On a le droit d’avoir une opinion en dehors d’une caste qui se veut monochrome sans être déloyale à une patrie et une nation, a-t-elle l’air de dire.

Même à travers un itinéraire familial, en contant l’histoire de sa mère, Lamia Moubayed Bissat se préoccupe de politique et d’équité sociale. Photo DR

Les chapitres aux titres malicieux et piquant la curiosité se succèdent et l’anecdote surgit en toute finesse et douceur. Entre le « Tatli Sert » (ces cigarettes d’autrefois goûteuses, au tabac corsé et à l’odeur tenace !) et la lampe de Diogène en plein jour pour trouver la vérité, le fil conducteur n’est pas forcément le cynisme ou la provocation. Mais plutôt la quête d’une gouvernance juste, probe, honnête et bien qualifiée.

« La révolution est mon testament »

Les pages filent à vive allure sous le choc des images et des métamorphoses sociales. Le lecteur est vite happé par le sifflement des balles, les horreurs des bombardements, la fuite devant les destructions, les quartiers qui changent de visage (tout comme les leaders et les (ir)responsables gouvernants pourtant inamovibles !), les inqualifiables et maffieuses liquidations miliciennes, la culture qui dégringole et change de main, les communautés qui se replient sur elles-mêmes, l’arrogance qui s’érige en loi et dictature…

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Tout cela est déballé et contesté sans management ni ambages dans ce livre au ton à la fois franc et compassionnel qui fait le procès à une société, à un État et à un système politique, avec une surprenante lucidité, à travers les paroles d’une femme au poing levé.

Si la conclusion de l’ouvrage a pour titre « La révolution est mon testament », ce n’est pas une invitation à une sédition bananière, une rébellion de pacotille, une dissidence folklorique, mais à une refonte des structures et des fondements d’un pays pour une meilleure humanité au sein d’un État protecteur et non saccageur.

Lamia Moubayed Bissat a certainement le goût de la littérature. Son emploi de la langue arabe est subtil, fluide et ne manque ni de coquetterie, ni de vivacité, ni d’élégance. Même si parfois on se perd entre la voix de la narratrice (Leila) et celle de l’auteure, dont les inflexions et les nuances souvent fusionnent…

Ses descriptions des personnages qui habitent ces pages sont pittoresques et hautes en couleur. Son évocation des lieux d’autrefois, une Dahyé heureuse et seule avec l’eau, comme les jardins traversés de colombes blanches de Georges Schéhadé, est toute en teintes poétiques et a quelque chose de proustien dans son entêtant désir de retour aux lieux de l’enfance. C’est clair, si la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, Dahyé non plus n’est plus ce qu’elle était.

Dans ce tableau familial joliment brossé, guère laissé à l’ombre, avec une impressionnante brochette de femmes, on croise aussi Balkis, figure tutélaire et grand-mère de Lamia.

La tristesse, le chagrin, la nostalgie, les larmes, la désolation sont des constantes dans cette plume qui ne s’attarde pourtant pas devant les malheurs, l’infortune ou l’adversité. Car par-delà tout marasme ou chamboulement, il y a toujours chez Leila el-Hage et Lamia Moubayed, dont les voix souvent s’unissent, la volonté d’aller de l’avant. Avec ce don et cette capacité d’aimer : avancer pour que cette terre refleurisse et que ce pays revive.

Au final, le lecteur constatera que même à travers un itinéraire familial, en contant l’histoire de sa mère, Lamia Moubayed Bissat se préoccupe de politique et d’équité sociale, ainsi que de la préservation des lieux où l’on grandit et qui forment le tissu de nos souvenirs les plus sacrés. Et c’est tout naturellement à Haret Kreik, dans les jardins de la villa Mohsen Slim, que Lamia Moubayed Bissat signera, ce dimanche 3 juillet 2022, son livre Leila(éditions Dar al-Jadid – 209 pages) à 17h.

Directrice de l’Institut des finances Basil Fuleihan, chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur française, Lamia Moubayed Bissat est connue pour ses séminaires, ateliers de travail, rapports, notes et interventions éducatives qui s’adressent aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels. Qu’est-ce qu’un État et comment fonctionne-t-il ? Comment définir et...

commentaires (2)

Un livre très touchant surtout quand on a grandi entre Chyah, Ghobayreh et Haret-Hreik. Merci Lamia !

michel honein

20 h 14, le 02 juillet 2022

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Commentaires (2)

  • Un livre très touchant surtout quand on a grandi entre Chyah, Ghobayreh et Haret-Hreik. Merci Lamia !

    michel honein

    20 h 14, le 02 juillet 2022

  • Il me semble que ce livre relate les sentiments de tout citoyen qui a vécu cette période sans vouloir quitter sa patrie !

    FAKHOURY Samira

    13 h 34, le 02 juillet 2022

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